10/09/2022

La Reine est morte, vive la reine ! - Votre Tribune de la semaine par Philippe Mabille

Ce devait être le grand coup d'envoi de la rentrée, le top départ du nouveau quinquennat, le symbole d'une volonté de changer vraiment la relation très verticale du président avec le peuple français qui l'a (très mal) réélu en mai et ne lui a pas donné de majorité, ce qu'il a, dit-on, très mal vécu. Le CNR, ou conseil national de la refondation, inspiré du conseil national de la Résistance, n'a pas résisté jeudi à l'annonce du décès de « La Reine ». L'opération « Tower Bridge is Down » a totalement éclipsé le grand rendez-vous gaullien d'Emmanuel Macron. Avec la disparition d'Elizabeth II, c'est la fin d'une époque autant que celle d'une icône pop et populaire qui a traversé deux siècles. Et la fin aussi du « cool Britannia », le Royaume-Uni renouant avec ses vieux démons sur fond de Brexit mal digéré.Boudé par les oppositions et par les syndicats, le CNR, succédané du CESE, est une belle idée mort-née. Elle court-circuite à la fois le Conseil économique, social et environnemental, dont ce serait normalement le job (et dont la disparition ou du moins la fermeture temporaire ferait faire des économies de chauffage et d'électricité cet hiver), mais aussi le Parlement dont la technostructure au pouvoir se défie. La suite de l'histoire reste bien floue : la consultation des Français se fera directement en ligne et Emmanuel Macron n'a pas exclu des référendums sur des sujets de société (la fin de vie ?) ou autres. Faut-il s'inquiéter de cette dérive populiste du pouvoir qui fait tout pour contourner une chambre introuvable ? L'épisode du CNR en dit long en tout cas sur les difficultés que va rencontrer dans les mois qui viennent le gouvernement pour faire adopter le budget de l'Etat et de la sécurité sociale : 49.3, nous voilà !

En réalité, et c'est tout le paradoxe de la situation, l'absence de majorité parlementaire serait plutôt en train de galvaniser Emmanuel Macron qui, sous couvert de consultations prétextes, veut accélérer les réformes sociales, qu'il s'agisse de l'assurance-chômage ou des retraites. Face aux syndicats et aux oppositions les plus radicales LFI et RN, le président de la République semble décidé à passer en force, raconte Fanny Guinochet.

Si le gouvernement veut aller vite, c'est aussi parce qu'il doit démontrer sa capacité à agir pour affronter une crise énergétique d'une violence sans précédent qui commence déjà à s'inviter dans notre vie quotidienne. Fermeture des piscines, collectivités locales étranglées par la renégociation de leurs contrats de gaz et d'électricité, fermeture possible de certaines stations de ski cet hiver, la liste des calamités s'allonge. Et cela risque de monopoliser assez vite l'attention.

L'Europe cherche la parade en prenant des mesures d'urgence sans précédent elles-aussi. Quitte à contourner les règles de l'économie de marché qui fondent son existence. Plafonnement du prix des hydrocarbures russes et de celui de l'électricité autour de 200 euros. Un cautère temporaire sur une jambe de bois : empêcher le marché de fonctionner même quand celui-ci dysfonctionne n'a jamais résolu un problème durablement. En fermant le robinet du gaz, ce n'est plus la diplomatie énergétique que manie Poutine mais bien une guerre du gaz. Il suffit de regarder le frigorifique clip promotionnel du russe Gazprom qui ne s'en cache même plus : Winter is coming. Nous voilà bien avertis. En nous coupant le gaz, quitte à le faire brûler à perte dans l'atmosphère, la Russie a bel et bien l'intention de nous asphyxier économiquement, comme un retour à l'envoyeur.

Du coup, nous voilà obligés de brandir à nouveau l'arme du quoi qu'il en coûte budgétaire. Berlin débloque 65 milliards d'euros et le Royaume-Uni avec Liz Truss met sur la table un plan massif de 150 milliards de livres pour non pas juguler, mais freiner l'inflation. La Première ministre britannique a aussi annoncé la levée des restrictions sur le fracking pour autoriser l'exploitation du gaz de schiste. On ne sait pas encore si d'autres pays européens se laisseront tenter par une technique qui a apporté l'abondance d'énergie aux Etats-Unis, devenus non seulement autonomes en pétrole et en gaz, mais même exportateurs, au prix d'un coût écologique qu'il sera difficile d'imposer en France.

La Reine Elizabeth est morte, vive la reine Christine. Heureusement que la présidente de la Banque centrale européenne est française. Christine Lagarde résiste vaillamment aux injonctions de ceux qui la poussent à accélérer la hausse des taux. La preuve, elle n'a relevé que de 0,75 point son taux directeur et non pas de 1 point comme les marchés le craignaient. Résultat, l'euro remonte un peu face au dollar. Exactement le contraire de ce qu'il faut, tonne l'économiste Patrick Artus : face à un choc de compétitivité majeur avec un prix de l'énergie qui ruine l'industrie européenne, notre seule option réside selon lui dans une dévaluation de la monnaie européenne. Ni trop, ni trop peu, l'équilibre est difficile à trouver pour la BCE dans un monde de plus en plus incertain.

En tout cas, ce n'est pas avec le nucléaire que la France va s'en sortir. N'en déplaise au gouvernement qui espère voir se rallumer 28 réacteurs sur 32 fermés actuellement d'ici la fin de l'hiver, le risque de black-out électrique demeure, sauf à changer drastiquement nos comportements de consommation. Furieux de la sortie de Jean-Bernard Lévy au Medef sur la responsabilité du fiasco du nucléaire français, Macron l'a joué « je suis votre chef » en affirmant que la fermeture de la centrale de Fessenheim et le projet d'éteindre 12 réacteurs supplémentaires d'ici 2035 n'avait rien à voir avec les problèmes de maintenance du parc existant. Macron refait l'histoire à son avantage, dénonce-t-on dans l'entreprise publique, qui attend son nouveau patron avec impatience. Ce pourrait être Luc Rémont, un des dirigeants de Schneider Electric et ancien conseiller ministériel à Bercy notamment auprès de Thierry Breton. Mais rien n'est fait encore, souffle-t-on à Bercy qui salue « un très bon candidat ».

Heureusement, Emmanuel Macron a enfin trouvé son nouveau communicant, en la personne de Frédéric Michel, comme l'a révélé dans La Tribune Marc Endeweld qui consacre un long portrait à cet homme de l'ombre, proche de la famille Murdoch et du New Labor de Tony Blair. Un bon « spin doctor » à l'Elysée ne sera pas de trop vu les temps troubles qui s'annoncent.

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