LA TRIBUNE - Quels sont, selon vous, les éléments les plus saillants du dernier rapport du Giec publié en avril 2022 ?
François GEMENNE - Personne n'a vocation à lire réellement l'intégralité de ces rapports du GIEC qui servent plutôt de documents de référence. Mais je retiens trois éléments saillants. Le premier c'est que beaucoup se bercent encore aujourd'hui de l'illusion qu'un réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre nous permettrait de revenir au climat stable que nous avons connu au 20e siècle et au cours des 12.000 années précédentes. Très clairement, dans l'espace de nos vies, cela n'arrivera pas. Cela veut dire que, quoique nous fassions, les températures ne baisseront pas avant notre mort ! Et que donc nous devons apprendre à gouverner un climat de plus en plus instable, à gouverner l'irréversible en quelque sorte.
Faut-il baisser les bras face à ce constat ?
La bonne nouvelle c'est que nous avons encore la possibilité de déterminer quelle sera la hausse des températures et, évidemment, les impacts ne sont pas du tout pareils à deux, à trois ou à quatre degrés supplémentaires. Cela implique une conséquence importante pour le débat public puisque cela impose de sortir d'un binaire comme si c'était gagné ou perdu. En réalité, on est face à un problème graduel parce que chaque incrément de température va faire une énorme différence, chaque tonne de C02 qui n'est pas émise va faire une énorme différence. Donc cela permet aussi de contrecarrer l'argument de dire "pourquoi on devrait faire des efforts si les Chinois font ceci ou si les Indiens font cela".
Quel est le deuxième marquant de ce rapport ?
Le deuxième élément c'est l'urgence absolue de l'adaptation. Lorsqu'on regarde l'état du débat public en France, et plus largement en Europe et dans les pays industrialisés, l'accent est encore beaucoup mis sur l'atténuation, c'est-à-dire sur la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Pendant très longtemps, on a posé le débat en imaginant que revient aux pays du Nord la tâche de réduire les émissions et aux pays du Sud la tâche de s'adapter aux impacts du changement climatique. Très clairement, on le voit dans notre réalité quotidienne : nous n'échapperons pas au impacts du changement climatique, c'est trop tard ! Cela veut dire qu'il y a un impératif pour nos villes, nos régions, nos territoires, de mettre en place des politiques d'adaptation à ces impacts. Et là dessus on est très très en retard sur les pays du Sud qui se sont préparés beaucoup plus tôt.
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Vous insistez également sur le lien entre social et climat...
Enfin, le troisième élément c'est la nécessité d'articuler les politiques climatiques avec les politiques sociales. On le sait : les populations les plus vulnérables seront davantage touchées par les impacts du changement climatique. Ce qui est intéressant de noter aussi c'est que plus une société va être inégalitaire, plus les individus vont être isolés les uns des autres et plus cette société sera vulnérable aux impacts du changement climatique. Parce que les questions de cohésion sociale et de solidarité entre les individus vont être un élément essentiel de la résilience. Et donc cela veut dire que le risque c'est d'entrer dans un cercle vicieux où les impacts du changement climatique rendent la société plus inégalitaire ce qui la rend davantage vulnérable aux impacts du changement climatique et ainsi de suite... Donc, pour moi, ce sont ces trois messages clefs : l'irréversibilité du changement climatique qui est donc un problème graduel, l'impératif de l'adaptation et la question des inégalités.
La notion de sobriété, jusque-là réservée aux cercles écologistes, figure aussi pour la première fois en bonne position dans ce rapport du Giec. Pourquoi ?
Oui, c'est un élément qui apparaît en toutes lettres dans le rapport et qui, jusqu'à il y a quelques mois encore, jusqu'au début de la guerre en Ukraine, suscitait encore un peu d'ironie et de sourires narquois en imaginant que ça allait nous ramener à l'âge des cavernes et de la lampe à huile. Et puis, d'un coup, avec la guerre en Ukraine, ce concept de sobriété s'est imposé un peu comme un devoir civique de chacune puisque, sans cela, nous nous retrouvions à financer un peu malgré nous la guerre en Ukraine puisque l'Union européenne envoie à la Russie environ 700 millions d'euros par jour en paiement des hydrocarbures, le gaz et le pétrole.
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Sur le fond, qu'est-ce que suppose pour nous cette notion de sobriété énergétique ? Est-elle incontournable ?
La sobriété est un impératif absolu ! Aujourd'hui, dans le mix énergétique mondial, les énergies fossiles représentent encore 84 % du total ! C'était 86 % il y a 20 ans. Cela signifie qu'en 20 ans, malgré tous les messages, toutes les alertes et tous les efforts menés, nous n'avons réduit que de deux points la part des énergies fossiles ! Alors que, dans le même temps, les énergies décarbonées, c'est-à-dire les énergies renouvelables et le nucléaire, se sont développées. Les énergies renouvelables, en particulier, ont fait un bond spectaculaire et sont devenues moins chères et plus efficaces. Mais le problème c'est qu'elles n'ont pas remplacés les énergies fossiles, elles se sont ajoutées aux énergies fossiles pour combler notre surplus de consommation qui n'a pas cessé d'augmenter depuis 20 ans !
Mais si on continue à consommer autant d'énergie, jamais les énergies renouvelables ni même le nucléaire, quoiqu'on en pense, n'arriveront à remplacer les énergies fossiles. Or, c'est à ça qu'il faut arriver ! C'est ce que nous dit le Giec : pour atteindre les objectifs des Accords de Paris, il faut arriver à une consommation de charbon de zéro, c'est-à-dire une baisse de 100 %, une baisse du pétrole de 60 % et une baisse du gaz de 70 %. Et aujourd'hui, on n'y est pas du tout ! Il faut absolument qu'on aille vers une plus grande sobriété vers notre consommation énergétique et aussi vers une plus grande efficacité énergétique. En clair, il faut utiliser moins d'énergie pour les mêmes usages, c'est un impératif, sinon on n'y arrivera pas !
L'urgence est telle que ce thème de la sobriété est même désormais repris par les trois plus grands énergéticiens français, dans une tribune signée il y a quelques jours. Les temps ont changé très rapidement...
Oui, dans cette tribune, les patrons d'EDF, Engie et TotalEnergies, appellent à la sobriété, appellent à consommer moins d'énergie en disant : "si nous ne réduisons pas notre consommation d'énergie cet été, on va avoir du mal à passer l'hiver" ! C'est le monde à l'envers ! C'est comme si Gallimard publiait une lettre ouverte en disant "les amis, molo sur les librairies cet été ! Est-ce que vous êtres vraiment obligés de lire des livres à la plage sinon on va pas pouvoir assurer la rentrée littéraire ?" Effectivement les choses évoluent très vite et, quelque part, ce message de sobriété c'est un message que le gouvernement aurait du faire passer. C'est un peu le monde à l'envers que ce soit les énergéticiens, qui tirent leur profits de la consommation d'énergie, qui fassent passer ce message.
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