Le séisme électoral des élections législatives risque-t-il de paralyser le travail parlementaire, d'entraver l'action du pouvoir exécutif et de bloquer l'administration du pays ? Faut-il s'inquiéter de cette « situation inédite », selon les propres termes de la Première ministre Élisabeth Borne. Il manque en effet 44 sièges au camp présidentiel pour bénéficier d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale ?
Cela ne s'est présenté qu'une seule fois sous la Ve République, de 1988 à 1991, sous François Mitterrand et Michel Rocard, et le déficit n'était alors que de 14 sièges. La France est-elle devenue ingérable ? Les réponses du politologue Pascal Perrineau, qui a récemment publié un Que sais-je ?, Le Populisme, aux éditions PUF.Le Point : La crise politique peut-elle se transformer en crise de régime ?
Pascal Perrineau : Elle le pourrait si cette situation compliquée aboutissait à un blocage absolu à l'Assemblée nationale. L'exécutif n'aurait plus les moyens de sa politique. Il y a un risque que le pouvoir se retrouve englué dans une guérilla parlementaire avec des oppositions, de gauche, de droite, radicales, modérées, qui se coalisent contre lui, sans sortir d'une attitude négative pour enliser le début du deuxième quinquennat d'Emmanuel Macron. Nous n'en sommes pas là. Il manque aux macronistes 44 sièges pour disposer d'une majorité absolue. C'est beaucoup, certes, à la lumière du précédent Rocard de 1988, où la différence n'était que de 14 sièges. Mais, pour l'instant, les oppositions ne semblent pas se placer dans une posture de rejet. La France insoumise, oui, mais, en ce qui concerne le Parti socialiste, le Parti communiste, les écologistes, on ne sait pas encore quelle attitude ils vont adopter. À droite, le parti Les Républicains dit non à une coalition de gouvernement, mais parle d'opposition constructive. C'est déjà un pas. Quant au Rassemblement national, l'opposition paraît moins radicale a priori que celle de La France insoumise. Quand on lit en creux les différentes déclarations du RN sur la sécurité, l'immigration, le pouvoir d'achat, on pourrait imaginer des votes ponctuels avec des majorités d'idées en soutien aux décisions du pouvoir actuel. Sur le régalien, l'économie, les macronistes peuvent s'entendre avec la droite et, sur le sociétal et le social, avec la gauche. Il pourrait aussi y avoir un accord plus pérenne avec un groupe parlementaire, en l'occurrence avec LR-UDI, il n'y en a pas 36. La politique est tellement fluide aujourd'hui que, si les rouages institutionnels se retrouvent grippés, si l'image de la France est abîmée, il n'est pas impossible que tout ou partie de ce groupe change d'avis et accepte le moment venu un accord autour d'un pacte de gouvernement.
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Y a-t-il en l'état un risque de paralysie institutionnelle ?Oui, bien sûr. Il faudrait alors en sortir en prenant le pays à témoin. Ce serait possible avec une dissolution de l'Assemblée, qu'Emmanuel Macron peut enclencher quand il veut dans les jours qui viennent, interpellant ainsi le pays et provoquant des élections législatives anticipées. Je n'y crois pas, pour le moment.
Emmanuel Macron peut-il démissionner et se représenter ?
Il le peut toujours, mais il courrait alors un très haut risque car les anti-Macron, nombreux dans le pays, se ligueraient contre lui. Juridiquement, ce serait aussi très compliqué : Emmanuel Macron a entamé son deuxième mandat, il ne pourrait donc pas prétendre à un troisième. Ce n'est pas une perspective à retenir.
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Lisez-vous dans les résultats des législatives une insurrection de type Gilets jaunes dans les urnes ?Oui, en ce qui concerne le succès en particulier du Rassemblement national. On pensait que le mouvement de Marine Le Pen aurait 40 à 50 députés, il en a le double. Il y a donc eu une insurrection électorale silencieuse. On l'avait déjà perçu au premier tour des élections législatives, elle s'est amplifiée. Reste à savoir ce que vont devenir ces protestations dans l'enceinte institutionnalisée du Parlement. Ces partis radicaux vont-ils se crisper dans une guérilla parlementaire permanente ? Ou bien, au contraire, basculer dans une opposition plus raisonnable ? Voilà l'enjeu.
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Que peut faire Emmanuel Macron ?Trouver des majorités d'idées, proposer un pacte de gouvernement avec une autre force politique… Mais il faut qu'il dispose d'un chef de gouvernement qui fasse le travail à l'Assemblée nationale. Le tout est de savoir si Élisabeth Borne va devenir une politique qui, par ses talents de négociation, parviendra à fédérer autour d'elle une ou des majorités ou si elle est incapable de le faire. Pour l'instant, nous n'en savons rien, et il ne faut pas insulter l'avenir. Mais il y a des décisions à prendre en termes de réformes sociales, économiques, régaliennes, éducatives. Il y a aussi un enjeu sur l'image de la France à l'étranger, à voir les réactions très négatives de la presse internationale. Les taux d'intérêt sur la dette française risquent de se dégrader, il faut donc faire très attention. C'est du sérieux.
Nous sommes dans une crise politique, pas encore institutionnelle.
La France est-elle devenue ingouvernable ?
Pour l'instant, on ne peut pas le dire. La Constitution donne des moyens à l'exécutif. Il y a l'article 49,3, même si son usage depuis la réforme constitutionnelle de 2008 est très limité. Le gouvernement peut aussi légiférer par ordonnance. Il dispose aussi de toutes les armes du « parlementarisme rationalisé » qui sont autant de techniques juridiques qui permettent d'éviter une trop grande instabilité gouvernementale. Nous sommes dans une crise politique, pas encore institutionnelle.
Quelle est la responsabilité d'Emmanuel Macron dans cette crise ?
Elle est immense. Depuis cinq ans, Emmanuel Macron a négligé l'implantation dans les territoires, il n'a pas créé un parti du président avec des relais locaux. Il n'a pas su établir une ligne idéologique claire ; on ne sait pas où il habite. Il a rendu la tâche très difficile sur le terrain à ceux qui défendent sa politique. Il n'a pas su non plus faire taire l'anti-macronisme dans le pays. On attend toujours le « nouveau président » et la « nouvelle méthode » d'exercice du pouvoir qu'il a promise. Il a mené une campagne législative déplorable en croyant que, s'il ne bougeait pas, s'il ne faisait pas de vagues, cela marcherait. Il a suivi une stratégie étrange de silence choisi. Est-ce la fatigue liée aux épreuves traversées au cours du premier mandat ? Est-ce le produit d'une déception générée par l'absence d'engouement qui a suivi sa réélection, qui n'a été saluée par aucun « effet de lune de miel » avec le pays ? Emmanuel Macron reste un homme qui a du mal à comprendre ce qui se passe en bas de la société. Des législatives, ce sont des élections dans 577 territoires différents. Ce sont des élections des sols français. Or Emmanuel Macron peut donner parfois l'impression d'être un peu « hors-sol ». Il y a peut-être de tout cela dans son relatif désarroi face à la situation politique actuelle.
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Vous qui avez une longue expérience d'observation de la vie politique, êtes-vous inquiet ?
Oui, on peut être inquiet. Certes, avec la présence de toutes ces radicalités, l'Assemblée nationale 2022 est le reflet plus juste des rapports de force politiques dans le pays. De nouveaux visages, souvent jeunes, vont faire leur apparition dans les débats parlementaires. C'est une bonne chose. Mais, si ces radicalités s'enferment dans une attitude négative, cela va conduire à une crise de la représentation politique. L'esprit de contestation doit céder la place à l'esprit de responsabilité.
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