La télé tourne en boucle sur l'écran géant qui occupe tout un mur du salon. Seul dans sa retraite de Rueil-Malmaison, Jean-Marie Le Pen ne peut détacher son regard des images consacrant le triomphe de sa famille politique, entrée en masse à l'Assemblée nationale dimanche soir, à la faveur d'un scrutin législatif « historique ». Ce mercredi, les 89 députés du Rassemblement national effectuant leur rentrée se pressent pour la photo de groupe, dans la cour d'honneur du Palais-Bourbon.
C'est à peine si le patriarche reconnaît un ou deux visages… Trente ans après la proportionnelle de 1986 qui avait permis l'entrée de 35 députés d'extrême droite dans l'hémicycle, le « Front » a changé d'allure, de nature, de style, admet le fondateur du parti à la flamme… Qui voit pourtant dans cette « victoire » la consécration de ses propres combats, portés en cinquante ans d'efforts politiques. Lorsqu'il reçoit Le Point cette semaine, ses lévriers d'Ibiza affalés à ses pieds, Jean-Marie Le Pen en minaude de plaisir : « Avoir 89 députés le jour de l'anniversaire de Jean-Marie Le Pen [il a fêté ses 94 ans le 20 juin, NDLR], c'est quand même une grâce de Dieu, non ? Il y a presque autant de députés que de bougies ! » Mais il ne concède rien : évincé du parti en 2015, victime de l'entreprise de « normalisation » engagée par sa fille, il peine à reconnaître le succès de cette stratégie.Le Point : Sans scrutin proportionnel ni alliances, Marine Le Pen a multiplié par presque trois le nombre de sièges à l'Assemblée que vous aviez obtenus en 1986. Comment avez-vous accueilli cette victoire ?
Jean-Marie Le Pen : Je ne suis pas tombé de ma chaise, mais j'ai été agréablement surpris. Cela m'a fait plaisir, pour Marine, et je lui ai dit d'ailleurs mon admiration : cela couronne quand même ses dix ans passés à la tête du Rassemblement national, ex-FN. J'ai encore un petit morceau du cœur tendre… Alors oui, c'est vrai, ça m'a fait plaisir pour les milliers de militants qui ont souvent été déçus dans leurs espérances. C'est une sorte de consécration. Et je constate que le RN a passé l'obstacle du mode de scrutin, qui lui était très défavorable, démontrant ainsi qu'il est une remarquable, et probablement la principale puissance politique dans le pays.
La ligne politique de Marine Le Pen, que vous avez longtemps contestée en disant qu'« un Front gentil, ça n'intéressait personne », serait-elle validée ?La « dédiabolisation » a permis de diminuer les agressions des adversaires, c'est vrai. Mais je ne crois pas qu'elle ait joué un rôle particulier. Le Rassemblement national a été élu dans le cadre politique qui était le sien depuis cinquante ans. Son programme n'a pas été sensiblement modifié. Ce qu'il y a de remarquable, me semble-t-il, dans le présent succès, c'est qu'il vient des profondeurs du pays, beaucoup plus que d'une organisation méthodique et bien léchée. Certes, il y a des efforts dont il faut reconnaître le mérite à Marine et aux dirigeants du RN, mais c'était sans proportion avec le résultat obtenu. C'est donc que le résultat est venu du fond de la population. Ce n'est pas un vote de protestation, mais un vote d'adhésion ; un vote calme, raisonné, en notant quand même que moins d'un Français sur deux s'est déplacé pour voter. La politique intéresse moins les Français, peut-être justement parce qu'elle est moins polémique. Mais je constate un élan qui peut être prometteur, si on sait s'en servir.
Pensez-vous que le plafond de verre soit tombé dimanche soir ?
Oui. Je ne sous-estime pas, comme d'ailleurs monsieur Bayrou, les immenses difficultés qui sont au-devant de la France. Et par conséquent, une formation bien calibrée doit être en mesure de conquérir le pouvoir lors des consultations suivantes. Car compte tenu des résultats, une prochaine dissolution de l'Assemblée nationale me paraît très probable, et cela peut être assez rapide si le projet proposé est clivant. Les nouveaux députés doivent d'ores et déjà s'organiser, améliorer leur implantation, et se préparer à un scrutin prochain, et ceci dans les 577 circonscriptions que compte le pays.
Pendant la campagne présidentielle, vous avez eu des sympathies pour Éric Zemmour, dont le style beaucoup plus offensif a pu vous paraître plus efficace. Vous êtes-vous trompé ?
J'ai de la sympathie pour Éric Zemmour, et son combat était parallèle à celui du Rassemblement national. Je me disais qu'à un moment, les affluents finiraient par se conjuguer… Marine a été surprenante, car elle a tenu face aux remarquables succès des rassemblements populaires d'Éric Zemmour. J'ai de la commisération pour lui, car il a dû ressentir une immense déception. Éric faisait un parcours personnel qu'il a sans doute surestimé, et Marine a continué sur sa ligne de responsable politique. Il n'y avait pas de place pour deux diables.
Quel conseil donnez-vous aujourd'hui à ces 89 députés ?
Tenez bon le manche. Travaillez, prenez de la peine. C'est le fond qui manque le moins. Votre ambition, c'est d'essayer de porter vos idées au pouvoir. Tout est possible dans une situation dont il ne faut pas se cacher qu'elle sera de plus en plus dramatique pour le pays, pour l'Europe, qui sont menacés par le phénomène déferlant de la démographie. Car nous sommes passés en cinquante ans, je le rappelle, de deux à huit milliards d'habitants sur la planète… Ce mouvement va, hélas, toucher l'Europe, qui est de plus en plus faible sur le plan démographique par rapport au reste du monde. Le conflit en Ukraine peut engendrer des mouvements très importants de famine, et des tentatives d'immigration dont nos gouvernants devront se protéger. Au fur et à mesure que la situation va s'aggraver, la proposition courageuse et intelligente de Marine va prendre de plus en plus de poids dans l'opinion, et s'étendre dans le pays tout entier.
Que conseillez-vous à Marion Maréchal, qui a rejoint Reconquête, le parti d'Éric Zemmour ?
« Errare humanum est, sed perseverare diabolicum ». On peut se tromper, mais il ne faut pas continuer dans l'erreur. Marion doit rejoindre le grand mouvement de rassemblement des Français. Éric aussi, d'ailleurs…
Aurez-vous l'occasion de célébrer ensemble cette victoire ?
Nous ne parlons plus de politique avec Marine, vous le savez… Mais peut-être qu'elle m'invitera à assister à une réunion de son groupe à l'Assemblée ? Ce serait une bonne idée. J'aimerais qu'on m'y invite, je suis toujours prêt à servir la cause.
Elle aurait donné pour consigne à ses députés de ne surtout pas se comporter comme vous en 1986, qui aviez chanté à la tribune, multiplié les coups d'éclat…
Elle ignore que son père est inimitable. Je ne vois personne autour d'elle capable d'initiatives originales comme celles-là.
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