Du côté des États
L’effet
délétère d’une remontée des taux est-il sûr cependant ? Si l’on se
cantonne au cas européen, tout dépend de la dose et de la pente de
remontée.
La première source d’inquiétude, ce sont les États,
qui portent la dette issue des deux méga crises rapprochées de 2007 et
2020. Avec 35 points de dette supplémentaire en pourcentage du PIB, le
risque d’un emballement de type « boule de neige », flotte comme une
menace. Les taux zéro, c’est ce qui a permis un endettement en toute
impunité, avec en prime un allègement paradoxal des charges d’intérêt
des États qui représentent moins de 1,2% du PIB en 2021 en zone euro,
soit plus de deux fois moins qu’en 2007. Derrière cela, le roulement de
la dette, qui peu à peu a remplacé des tranches émises à plus de 4-5%,
il y a 10 ou 15 ans par des tranches gratuites. Résultat, le taux
apparent de la dette, mesuré par le rapport des intérêts versés au stock
d’endettement, n’a cessé de fondre au fil des années. Et ce dans tous
les pays, même les plus critiques, avec pour résultat des ratios
inférieurs à 1% en France ou en Allemagne et compris entre 1 et 2% en
Europe du Sud.
Pour que la charge de l’endettement augmente,
il faut que les taux pratiqués sur les nouveaux emprunts passent
au-dessus du taux apparent que l’on observe aujourd’hui. 1 ou 2 points
de hausse des taux d’intérêt, cela aurait un effet de second ordre sur
la charge d’intérêt des États. En revanche, si les taux revenaient
durablement dans la zone des 4-5%, cela augmenterait graduellement les
charges d’intérêt, de l’ordre 3 à 4 points du PIB à horizon de 7 à 10
ans. Rigueur assurée donc avec des risques collatéraux sur tous les
autres secteurs de l’économie et des plans de relance climatiques qui
passent aux oubliettes. Cependant, pour qu’un effet « boule de neige »
se matérialise, il faudrait que les taux d’intérêt réels surplombent le
taux de croissance. Des taux nominaux à 4-5 sur fond d’inflation sur 2%,
cela génère un risque réel d’effet boule de neige. Des taux à 1-2%,
c’est absorbable sans douleur. Des taux à 3-4% sur fond d’inflation à
2%, ça complique l’équation budgétaire, mais en laissant place à une
légère érosion de la dette par l’inflation. C’est absorbable, même pour
les pays du Sud.
Une purge des créances douteuses a été opérée
Côté
agents privés, ce qui effraie, c’est la fragilisation des entreprises
surendettées. Des agents privés qui pourraient comme dans les années
80-90 se retrouver étranglées par leurs charges financières et
paralysées dans leurs projets d’investissement. Avec une explosion des
créances douteuses au bilan des banques et une sélectivité du crédit qui
aurait un effet aggravant. Avant d’entrer dans ce scénario critique, il
y a des marges cependant :
1. une purge des créances
douteuses a bel et bien été opérée durant les années d’argent gratuit,
sortant les pays du Sud de la zone rouge ;
2. un
désendettement des entreprises a bien été réalisé au Sud. L’idée que
l’Italie et l’Espagne seraient les maillons faibles en cas de remontée
des taux et l’épicentre d’un risque systémique est moins évidente que
dans les années 2010. En revanche, la France, où les grandes entreprises
et les start-up ont beaucoup plus abusé de l’effet de levier, auraient
plus de souci à se faire.
En cas de remontée brutale des taux, les assureurs constituent le maillon faible
Pour
que le risque prenne une tournure systémique, il faudrait enfin que les
intermédiaires financiers soient fragilisés en dernier ressort. Côté
banques, la baisse des taux et l’aplatissement de leur pente ont nui à
leur rentabilité. Elles ont été sauvées par le refinancement des banques
centrales, notamment à long terme. L’inversion du processus aurait des
effets ambigus. Du fait des dépréciations d’actif et la baisse de
performance de leurs créances. Mais ce scénario a très largement été
anticipé dans le cadre bâlois. Elles sont notamment armées en termes de
fonds propres et de ratio de liquidité pour absorber un double mouvement
de remontée des taux longs et courts. Selon, la Banque centrale
européenne, qui a étudié en 2017 les effets des variations de taux sur
le profil de risques des banques. En revanche, un resserrement brutal
des taux courts et une inversion de la courbe pour endiguer l’inflation
auraient un effet catastrophique sur leur rentabilité s’il s’étirait sur
plus d’un an. C’est le risque que prennent les banques centrales
aujourd’hui en laissant filer l’inflation. Celui de devoir sur-réagir si
elles se trompent de diagnostic. À cela s’ajoute le vrai point noir des
assurances vie et non vie. Une hausse des taux, cela veut dire une
forte probabilité de décollecte et de vente à perte des portefeuilles
obligataires. Avec des risques de faillite à la clé. Depuis 2016, la
réglementation applicable au secteur de l’assurance, dite Solvabilité 2,
est sensée border ce risque. Mais en cas de remontée brutale des taux,
les assureurs constituent le maillon faible.
In fine, une
remontée des taux, cela voudrait dire un dévissage du prix des actifs
mobiliers et immobiliers, une grande zone de fragilité du côté de
l’assurance… Une nouvelle décennie perdue sans doute. Mais pas forcément
une apocalypse systémique. Autrement dit, les marchés sont moins
protégés qu’ils ne le pensent du scénario qu’ils croient impossible.
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