Le
rapport part certes d’un certain nombre de faits qui se veulent
objectifs : les faits, ce sont les émissions carbone aujourd’hui : 42
gigatonnes par an. Si nous ne freinons pas drastiquement les émissions
actuelles, le seuil à partir duquel nous dépassons de façon inexorable
1,5 degré de réchauffement sera atteint dès 2031. Les faits, ce sont des
montants d’investissements « qualifiés de verts » nécessaires pour
réaliser cette transformation : 1 à 2,5% du PIB par an, un ordre de
grandeur sorti d’autres rapports experts qui n’est pas hors de portée a
priori selon les rapporteurs. Les faits, ce sont des citoyens qui ont
pour principal défaut de ne pas être conformes à l’homo economicus des
modèles : opaques à la rationalité économique, averses à la taxe
carbone, incapable de percevoir les coûts cachés de mesures a priori
plus populaires, mais plus prohibitives et moins efficaces. Et inaptes à
valoriser correctement le bénéfice collectif et intergénérationnel des
sacrifices présents. Voilà le point de départ de ce rapport : l’effet
lampadaire des chiffres du GIEC qui permet de fixer un but d’émission et
le mur de l’ignorance des citoyens auquel le rapport consacre agacé
plus de lignes qu’à la finance ou aux entreprises, pourtant acteurs
décisifs des choix d’investissement.
L’innovation verte ne naitra pas de la taxation
Mais
est-ce vraiment cela la réalité qui nous intéresse ? Pour ces
économistes qui raisonnent en équilibre de marché, la réalité est d’une
simplicité qui effraie. La réalité, c’est une économie haut carbone au
départ, faible carbone à l’arrivée, puisque les émissions seront
tarifées et que la classe moyenne sera ralliée à la cause par des
chèques compensatoires. Ce monde unidimensionnel est bien confortable.
Pas d’histoire, pas de trajectoire, pas de dépendance au sentier dans
laquelle est engagée l’économie. Et des solutions qui naîtront
spontanément. Et de cette façon, ce qui devrait être au cœur de nos
préoccupations est totalement esquivé. Pour qu’une taxe fonctionne, il
faut que des solutions de substitution alternatives existent. C’est
essentiel. Il faut notamment que l’ensemble de la filière qu’engage
cette nouvelle solution soit réellement à faible émission. C’est peu
contestable dans certains cas (le passage du charbon au gaz pour la
production électrique). C’est parfois le cas avec des résultats très
disparates en matière d’isolation thermique. Le bilan est encore très
incertain concernant le véhicule électrique ou la production d’éoliennes
lorsque l’on prend en compte toute la chaine de fabrication et
d’extraction des terres rares, avec d’autres externalités
environnementales négatives que le carbone. C’est encore plus
contestable, lorsque l’on croit avec le télétravail et le numérique
détenir un sentier de dématérialisation et de décarbonation des
entreprises. Le soubassement matériel de l’économie digitale est
considérablement énergivore. Croire que l’innovation verte naîtra de la
taxation est une autre candeur. L’innovation n’est pas que technologique
: elle est marketing, elle est design. Elle s’ingénie à produire des
biens et services dont le prix est déconnecté du coût véritable et dont
la demande est très peu élastique aux prix et donc aux taxes. Elle est
fiscale, contournant les fiscalités nationales. Pour les géants du
numérique, quelle est la faisabilité d’une taxation carbone aux
frontières quand leurs fermes de données sont localisées là où les taxes
et l’énergie sont à plus faible coût ? La liste serait longue encore.
Et
c’est cela la réalité qu’il nous faut affronter en urgence. Non pas
ignorer l’appareil productif, la dynamique dans laquelle il s’engage
toujours plus loin sous l’impulsion des investisseurs financiers, mais
au contraire fouiller cette réalité. Oser des prospectives d’une
économie verte souhaitable, incorporant les technologies possibles,
pensant l’organisation du territoire, le design des villes, les filières
complètes. Car à force d’esquiver ces questions et d’évoquer une
transformation dont on ne connaît pas le contenu, de faire le pari de la
main invisible, on prend le risque de se réveiller trop tard sur
l’inefficacité d’instruments dont les promesses n’étaient que
théoriques.
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