31/10/2021

Jean-Marc Jancovici: «Les éoliennes et les panneaux solaires n’ont pas servi à décarboner le pays»

ENTRETIEN - Il y a un an, on fermait la centrale de Fessenheim prématurément, au nom d’une montée en puissance des énergies renouvelables. Jean-Marc Jancovici dénonce depuis très longtemps cet entêtement antinucléaire de ses ex-amis Verts. À la tête du «Shift project», il prépare pour l’automne des propositions complètes de transformation de l’économie française pour tenter de peser sur le débat présidentiel qui vient.

LE FIGARO MAGAZINE. - Il y a quinze ans déjà, vous étiez de ceux qui essayaient d’influer sur le débat de la présidentielle. Quel bilan en tirez-vous?

Jean-Marc JANCOVICI. - Malheureusement, il est mince. L’opinion n’entend certes plus parler de réchauffement climatique, mais la proportion de ceux qui ont bien compris le problème n’est pas plus élevée. J’ai récemment découvert qu’un ministre croyait que la baisse des émissions de gaz à effet de serre dans un pays préservait avant tout le climat de ce pays. C’est un exemple parmi tant d’autres. Deux tiers des Français pensent que le nucléaire est aussi néfaste que les hydrocarbures pour le climat, et la plupart des gens pensent qu’une dizaine d’années suffirait pour que la planète retrouve un équilibre climatique si on cessait du jour au lendemain toute émission en CO2. En fait, c’est plus de dix mille ans.

Que dites-vous des efforts de verdissement de l’action publique?

Le climat n’est toujours pas un facteur premier des politiques publiques. Le dernier exemple qui me vient à l’esprit est le rapport de la Cour des comptes européenne qui estime qu’en dix ans les 100 milliards d’euros de la PAC n’ont pas eu d’effet sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture. De même, en France, les émissions des transports n’ont quasiment pas baissé, et les baisses ponctuelles sont venues d’un problème sur le pétrole, et non de décisions politiques. Rien n’a significativement changé non plus du côté du chauffage.EN BREF

En revanche, on a beaucoup développé les énergies renouvelables…

Les éoliennes et les panneaux solaires ont absorbé 150 milliards d’euros depuis quinze ans. C’est un effort très important, mais qui n’a pas servi à décarboner le pays. À ce prix-là, on pouvait mettre 1 million de kilomètres de pistes cyclables en France, ou sortir le fuel et le gaz du chauffage pour les remplacer par des pompes à chaleur. Outre que les moyens ne sont pas affectés là où c’est utile, nous avons continué à faire «comme avant» ailleurs. Donc le discours a changé, les actes très peu, et la schizophrénie a fortement augmenté

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Quel objectif vous fixez-vous pour cette présidentielle?

Au «Shift Project», nous travaillons depuis un an à un «plan de transformation de l’économie française», qui correspond aux accords de Paris «pour de vrai». Il inclura la construction automobile, la santé, l’alimentation, le logement, l’industrie, le tourisme…, et il sera consultable en ligne. On sortira notre synthèse cet automne. Personne dans le monde, à ma connaissance, n’a fait cet exercice de mise en cohérence de la totalité des pans de l’économie avec une baisse continue des émissions, ce qui signifie - pour des raisons physiques - la fin de la croissance. Tous les scénarios en place nous parlent en fait de croissance verte, même Greenpeace.

Je pense juste que la décroissance physique est une réalité qui va s’imposer de toute façon. La contraction des ressources énergétiques va mécaniquement nous emmener sur la voie d’une contraction du PIB

Jean-Marc Jancovici

Êtes-vous décroissantiste?

Oui, d’une certaine manière. Mais je n’annonce pas la fin du monde avec gourmandise, et je ne crois pas que la rupture avec le capitalisme est une solution politique miracle qui fera le bonheur de l’humanité. Je pense juste que la décroissance physique est une réalité qui va s’imposer de toute façon. La contraction des ressources énergétiques va mécaniquement nous emmener sur la voie d’une contraction du PIB. Maintenant, cette évolution est un peu comme vieillir: ce n’est pas un souhait, mais si on l’organise bien, ce n’est pas trop désagréable…

Mais pour quelle raison devrait-on renoncer à l’idée que l’on peut avoir une croissance vertueuse?

Moins de CO2, c’est moins d’énergies fossiles. Or, ce sont des énergies physiquement supérieures à toutes les autres. Elles sont denses, pilotables, faciles à exploiter et à transporter. Les énergies renouvelables, c’est souvent tout le contraire. Elles sont diffuses, partiellement ou non pilotables, et donc compliquées à exploiter. D’ailleurs l’humanité sait très bien à quoi ressemble un monde fondé sur les énergies renouvelables. Elle l’a pratiqué pendant des milliers d’années, avant la révolution industrielle. Ce monde-là ne connaissait pas la croissance du PIB, ni les 10 millions de références produits que nous avons aujourd’hui, et il n’abritait pas dix milliards d’individus, mais un milliard, dont l’espérance de vie était de 30 ans. Conserver le monde industriel sans ce qui a permis son essor, c’est une gageure.

C’est le moment de la conversation où un ange passe…

Je comprends que cette idée soit difficile, car dans les médias vous avez plus souvent des économistes que des physiciens, et les premiers raisonnent comme si la croissance était acquise pour l’éternité. Ce n’est pas mon analyse. Je pense que l’économie doit devenir sobre. C’est la version politiquement correcte de décroissance, et il est encore possible de gérer cette sobriété au lieu d’attendre qu’une succession de catastrophes nous l’impose de l’extérieur. Il faut anticiper car l’humanité urbaine ne pourra pas se réfugier «à la campagne» en cultivant son jardin. Selon qu’on y arrive ou pas, on protégera peut-être la paix dans le monde.

Il y a beaucoup de projections sur les mix énergétiques possibles, la dernière en date est celle de l’Agence internationale de l’énergie. Elle parie sur les renouvelables, et tolère une présence du nucléaire. Qu’en dites-vous?

L’AIE souffle le chaud et le froid: après avoir proposé la croissance verte basée sur l’électrification renouvelable massive, elle a indiqué que, pour y arriver, la production de nickel devrait être multipliée par vingt dans les vingt ans qui viennent, et celle de cuivre par trois. Il faut en effet 50 fois plus de métal pour faire un KWh solaire que charbon ou gaz (ou nucléaire). Qu’est ce qui nous garantit que ce métal sera disponible dans les quantités requises, alors que la teneur en métal des minerais baisse, au surplus dans un monde en contraction puisque les combustibles fossiles baissent? Car il faut des hydrocarbures pour produire les métaux qui composent éoliennes et panneaux solaires. Ces scénarios de déploiement massif des énergies renouvelables ne sont pas «bouclés», donc restent des souhaits non démontrés.

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui estiment que nous n’avons plus la capacité industrielle pour faire sortir de terre une nouvelle génération de centrales

Jean-Marc Jancovici

D’où vient cet aveuglement éolien et solaire?

Nous avons tous tendance à extrapoler les évolutions du moment. Or, il est facile de déployer des éoliennes et des panneaux solaires tant que leur rôle est encore marginal. Ce n’est qu’avec un certain volume qu’apparaissent les limites. Par exemple, le solaire et l’éolien sont très gourmands en foncier et donc en biodiversité, mais aussi en ressources minérales (métaux, ciment…). Tant que les volumes sont petits, la productivité du système industriel global permet de «porter» le déploiement de sources marginales moins performantes. Mais cela ne présuppose pas que nous irons au terme sans problème.

Qu’en est-il du nucléaire? La production d’électricité mondiale est assurée à 40% par le charbon et à 10% par du nucléaire. Il faudrait construire plus d’un millier de réacteurs en vingt ans…

Le nucléaire est souhaitable, mais il ne va pas nous dispenser des efforts massifs de sobriété. Même avec le nucléaire, on ne se déplacera plus dans des véhicules d’une tonne et demie, mais avec des vélos électriques. On mangera moins de viande, et on travaillera plus avec nos mains. En revanche, je suis convaincu que moins nous avons recours au nucléaire, plus nous faisons courir des risques à la société. Fermer prématurément des réacteurs, comme nous l’avons fait il y a un an exactement avec Fessenheim, c’est augmenter le risque de perdre la course contre le changement climatique. Et par ailleurs, plus on remplacera une part importante des 2200 GW de centrales à charbon mondiales par des centrales nucléaires, mieux on se portera. Mais on ne pourra pas tout remplacer dans les délais. Je suis donc un décroissantiste pronucléaire

Qu’en est-il du nucléaire en France? Faut-il se dépêcher de renouveler notre parc avec de nouveaux EPR?

On a très mal géré la filière nucléaire depuis vingt ans, à coups de stop-and-go, parce que nos responsables politiques, français et européens, s’imaginent - à tort - que nos hésitations sont sans conséquences graves. Malgré ce temps perdu, je ne suis pas d’accord avec ceux qui estiment que nous n’avons plus la capacité industrielle pour faire sortir de terre une nouvelle génération de centrales. Avec un fort consensus commandé par le sens de l’urgence, tout peut fortement s’accélérer.

Mais cette décision tarde à venir, par peur de brusquer l’opinion…

Si l’opinion comprend que l’énergie est ce qui permet à notre monde d’exister, et que les erreurs d’arbitrages sur la filière énergétique se paieront en destruction d’environnement, espérance de vie, chômage, santé… alors l’opinion bougera. Même notre système de soins dépend de l’énergie disponible!

 

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