CHRONIQUE. La crise sanitaire a révélé les failles de la globalisation.
Réindustrialisation, croissance, fin des hausses d’impôts : est-ce
vraiment envisageable ?
Nous nous intéressons à des
évolutions de l'économie française qu'on présente comme désirables et
réalisables et qui, en réalité, ont une probabilité infime de se
réaliser ; nous les appelons les utopies économiques de la France.
La première est la réindustrialisation, la deuxième est le redressement
de la croissance en raison de la digitalisation de l'économie, la
troisième est la capacité à éviter des hausses d'impôts.On entend souvent dire qu'après la crise du Covid, on a enfin compris, en France, qu'il fallait relocaliser, arrêter le transfert des emplois industriels vers les pays émergents, être indépendants pour les productions stratégiques ; que l'âge de la globalisation irréfléchie était terminé.
Double handicap
En réalité, on risque au contraire, en France, d'observer une accélération des délocalisations. D'une part, on sait que la France est caractérisée par un des coûts salariaux les plus élevés de l'OCDE (38 euros l'heure de travail, en incluant les cotisations sociales) et par les compétences de la population active parmi les plus faibles. Ce couple (salaire élevé-compétences faibles) est particulièrement pénalisant après la crise, alors que les entreprises essaient de redresser leur profitabilité. On risque donc de voir non des relocalisations, mais une nouvelle vague de délocalisations, les entreprises voulant absolument faire des économies de coûts.
D'autre part, le télétravail peut déclencher une autre forme de délocalisations qui ne concerne pas la production industrielle mais les jeunes diplômés, qui vont très facilement travailler dans des pays où le coût de la vie, le coût du logement sont beaucoup plus faibles qu'en France.
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Effets pervers
La deuxième illusion concerne la croissance potentielle, de long terme. On entend souvent dire que la crise du Covid conduit à une digitalisation accélérée de l'économie (télétravail, consommation en ligne), et que la digitalisation va redresser le progrès technique et la croissance de long terme.
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Mais il faut être prudent. D'une part, la crise fait aussi apparaître beaucoup d'évolutions qui vont, au contraire, réduire la croissance de long terme : perte de capital productif avec le recul de l'investissement, perte de capital humain avec le chômage et, pour beaucoup de salariés, la nécessité de changer de métier, dégradation des bilans des entreprises. D'autre part, digitalisation et robotisation ont pour effet de détruire des emplois assez qualifiés, de générer un supplément de revenu en rendant les entreprises plus efficaces et de stimuler l'emploi peu qualifié de services, puisque ces revenus supplémentaires servent surtout à acheter des services ; on voit que la digitalisation, au total, peut réduire la sophistication moyenne des emplois.
Pas d'autres solutions
Enfin, les assurances selon lesquelles il n'y aura pas de hausse d'impôts en France sont aussi du domaine de l'utopie. Le besoin de dépenses publiques va rester très élevé, avec la volonté d'accroître les investissements dans la transition énergétique, la recherche, la santé, le numérique, l'éducation, la lutte contre la pauvreté et les infrastructures. Dans le futur, la Banque centrale européenne arrêtera d'acheter des titres publics (financer les déficits publics par la création monétaire). De plus, il est très improbable qu'il y ait, en France, une réduction des dépenses de retraite ou une réforme de l'État qui le rende plus efficace. Il faudra donc réduire les déficits publics, avec un besoin de dépenses élevé et une efficacité de l'État restant faible, d'où la seule piste qui sera d'accroître la pression fiscale.
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Politique volontariste
Ne rêvons donc pas : l'évolution spontanée la plus probable de l'économie française va être l'apparition d'une nouvelle vague de délocalisations, l'affaiblissement de la croissance potentielle et la hausse des impôts. Pour éviter ces écueils, il faudrait des politiques très volontaristes : redressement des compétences, effort d'attractivité des territoires pour qu'il y ait décentralisation en France et non délocalisation à l'étranger des emplois qualifiés de services ; réforme des retraites et réforme de l'État, hausse de la productivité dans le secteur public.
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