Dans ce contexte, la note publiée par François Écalle sur Fipeco, un site Internet spécialisé sur les finances publiques, constitue un guide essentiel pour ceux qui n'ont pas renoncé à réformer l'État et le modèle social français pour le rendre plus efficace. Dans ce travail qui s'appuie sur les dernières données de l'Institut de statistiques européennes Eurostat, ce magistrat de la Cour des comptes en disponibilité a passé en revue les principaux postes de la dépense publique française et les a comparés à ceux du reste de la zone euro. Il a aussi remonté le temps pour rapprocher l'évolution de la dépense publique française entre 2001 et 2019, c'est-à-dire avant le déclenchement de la crise du Covid, à celle des pays qui partagent la monnaie unique.
8,6 points de dépenses en plus que la moyenne
Le constat de départ est archi connu. La dépense publique française représentait, en 2019, 55,6 % du PIB contre 47 % en moyenne dans la zone euro. Un écart considérable, de 8,6 points. D'où vient ce fossé ? Dit autrement, dans quel secteur la France pourrait-elle dépenser moins ou bien augmenter l'efficacité de ses politiques publiques ? La France consacre 31,9 points de PIB à sa protection sociale, contre 27 points dans la zone euro. Une part importante de la différence, soit 2,2 points, s'explique par les retraites. Pour financer des investissements écologiques – encore faudrait-il savoir lesquels –, la France pourrait donc allonger la durée des carrières.
Peut-elle s'aligner sur la moyenne des dépenses publiques de retraite de la zone euro pour autant ? À moins de changer complètement de système, non, prévient François Écalle. En effet, une partie de l'écart résulte « du caractère obligatoire et monopolistique des régimes complémentaires […] Agirc-Arrco pour les salariés du secteur privé, qui sont classés parmi les administrations publiques ». « Dans les autres pays, détaille-t-il, ces régimes complémentaires sont souvent des fonds de pension et font l'objet d'un choix, au niveau de la branche ou de l'entreprise, et ils sont donc classés en dehors du champ des administrations publiques. »
Il y a des tas d’inefficacités dans le système de santé.
Mais le spécialiste des finances publiques pointe aussi les effets d'un niveau de pension élevé comparé aux revenus des actifs en France, ou le « nombre relativement important de retraités en raison d'un âge précoce de départ en retraite et d'une espérance de vie élevée à cet âge en France ». On comprend ainsi pourquoi Emmanuel Macron tient à sa réforme des retraites, qu'elle ait lieu d'ici à 2022 ou au cours d'un éventuel second quinquennat.
De manière générale, relève François Écalle, tous les postes de dépenses publiques sont plus élevés ou égaux à la moyenne de la zone euro. « On dépense plus un peu partout, ce qui complique l'exercice de réduction des dépenses publiques par rapport à une situation où l'on surdépenserait sur un poste. » Sauf pour deux fonctions : « l'ordre et la sécurité publics » (police et prisons) et le service de la dette publique. La différence sur l'ordre et la sécurité vient surtout de la justice, dont tout le monde admet qu'elle est sous-financée. Emmanuel Macron a d'ailleurs décidé d'en augmenter les moyens. Pour la charge de la dette, la différence est liée « à des taux d'intérêt plus faibles que la moyenne de la zone euro ».
Contrairement à une idée en vogue, la France dépense déjà plus que ses partenaires de la zone euro en moyenne pour sa santé. « C'est difficile à dire en ce moment, mais il y a des tas d'inefficacités dans le système de santé, commente François Écalle. Il faut sans doute dépenser plus pour mieux payer les infirmières, mais il reste des actes inutiles considérables à l'hôpital ainsi qu'un manque de coordination des acteurs du système de soin. »
Les dépenses affectées aux familles, aux chômeurs et à la lutte contre l'exclusion sociale sont également plus élevées en France, ajoute François Écalle dans sa note. Mais l'un des principaux écarts vient de la politique du logement. « En additionnant les aides personnelles au logement, les aides à la pierre et les équipements collectifs associés, le coût de la politique du logement est deux fois plus élevé en France [1,9 % du PIB] que dans la zone euro [1 % du PIB] », constate le spécialiste.
L'écart est aussi remarquable sur les « affaires économiques » (1,7 point). Cette catégorie d'Eurostat « est très hétérogène et recouvre notamment les dépenses liées aux transports [construction et entretien des routes, etc.] ainsi que les aides aux ménages et subventions aux entreprises relevant de politiques publiques très diverses à finalité économique [aides à l'agriculture, aides à l'innovation, crédit d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile, etc.] », explique François Écalle. Il est souvent pointé du doigt par les économistes très à gauche pour expliquer que les écarts de dépenses publiques viennent des subventions aux entreprises et qu'il suffirait donc de tailler dedans. Mais cet écart devrait se résorber d'un point de PIB en 2020 avec la transformation du CICE de François Hollande, auparavant considéré comme de la dépense publique, en baisse de charges sociales. Resterait encore un surplus de dépenses hexagonales sur ce poste. « On prélève beaucoup sur les entreprises, mais on leur rend aussi beaucoup sous forme de subventions, aides, etc., décrypte François Écalle. Le problème, c'est que ces aides ne vont pas toujours à ceux sur qui on prélève beaucoup. Ce ne sont pas les mêmes. »
Un coût des fonctions supports dans la moyenne
Contrairement à une idée bien ancrée dans la population, le coût des « services généraux », une catégorie d'Eurostat qui regroupe les « fonctions supports » telles que la fonction « d'état-major » (présidence de la République, assemblées et services du Premier ministre), la fonction financière (ministère des Finances), la fonction ressources humaines (ministère de la Fonction publique) ou la fonction de représentation (ministère des Affaires étrangères) de l'État et des collectivités locales, est contenu. Il s'avère identique à celui de la moyenne de la zone euro.
La France assume en revanche des dépenses militaires supérieures à celles de ses voisins de 0,5 point de PIB, ce qui s'explique aisément.
Elle dépense également un peu plus sur son système éducatif. Mais pas forcément au bon endroit. « L'écart de 0,7 point de PIB tient pour 0,5 point à l'enseignement secondaire, alors que le poids de l'enseignement supérieur est inférieur de 0,1 point en France », pointe François Écalle. Enfin, la France « dépense un peu plus pour les loisirs, la culture et les cultes [0,3 point] ainsi que pour la protection de l'environnement [0,2 point] ».
Une augmentation forte depuis 2001
Voilà pour la photo en 2019. Que nous dit le film, c'est-à-dire l'évolution comparée des dépenses, depuis 2001 ? Là encore, le constat est assez frappant. En proportion du PIB, les dépenses publiques françaises ont augmenté de 3,9 %, alors qu'elles sont restées quasiment stables en moyenne en zone euro, à 47 %. En un peu moins de vingt ans, l'écart s'est aggravé de 3,8 points. L'essentiel s'explique par les dépenses de protection sociale (+ 4,5 points en France, contre 2,9 points en zone euro). On retombe rapidement sur les retraites…
« On observe également une hausse plus particulièrement forte en France des dépenses de santé et des dépenses associées au chômage [celles-ci ont augmenté en France et diminué dans la zone euro]. En revanche, le coût de la politique familiale a un peu diminué en France, alors qu'il a un peu augmenté dans les autres pays de la zone euro », résume François Écalle. Cette dernière évolution s'explique sans doute par les baisses de dépenses décidées sous le quinquennat de François Hollande sur ce poste. Quant aux dépenses de la politique du logement, elles sont restées stables dans l'Hexagone alors qu'elles reculaient ailleurs.
Cet exercice permet de voir les efforts qui ont été menés chez nous sur les « frais généraux ». Ils ont largement baissé en France, de 0,8 point de PIB, alors qu'ils progressaient légèrement en zone euro. « À force de dire qu'on devait faire des économies dans les administrations centrales, comme à Bercy particulièrement, on les a faites, commente François Écalle. Si on considère le train de vie de l'État au sens large, il est plutôt bien tenu. »
Une baisse de la charge d'intérêt plus que compensée par l'augmentation des autres dépenses publiques
François Écalle constate aussi que la baisse de la charge d'intérêts a été utilisée pour augmenter les autres dépenses dans les mêmes proportions que dans les autres pays.En France, en revanche, « la baisse de la charge d'intérêts a été très inférieure à la hausse du coût des autres fonctions ».
Évidemment, comparaison n'est pas raison. Les Français peuvent vouloir entretenir des dépenses publiques supérieures à celles du reste de la zone euro. Mais, sauf à laisser creuser encore les écarts, il semble que la réforme des retraites soit indispensable. De même que l'efficacité des autres dépenses peut encore être augmentée.
On pourrait objecter à François Écalle qu'il ne faut pas raisonner en pourcentage du PIB, car si le PIB n'augmente pas assez, les dépenses peuvent paraître relativement élevées rapportées à la production annuelle, mais se révéler trop faibles pour satisfaire les besoins de la population. Mais « le PIB est une mesure approximative de l'assiette des prélèvements obligatoires et rapporter les dépenses publiques au PIB permet de tenir compte de la capacité de chaque pays à les financer », répond le spécialiste des finances publiques. « Beaucoup de gens, par exemple, prennent les dépenses de santé par habitant pour montrer qu'elles sont plus élevées en Allemagne qu'en France. C'est vrai. Mais c'est une absurdité, car nous n'aurions pas les moyens de nous aligner. Rapporter les dépenses au PIB, ce sont les rapporter à l'assiette sur laquelle on peut prélever des impôts et des cotisations pour financer ces dépenses. On ne peut pas demander à l'Italie ou à la Pologne, par exemple, d'avoir la même dépense de santé par habitant que l'Allemagne. » Cela peut expliquer pourquoi le système de santé allemand a mieux résisté, mais parce que le pays produit plus que la France.
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