11/02/2021

Nicolas Hulot, le vertige du creux - Le Point

En juillet 2011, alors qu'il concourt à la primaire écologiste face à Eva Joly, Nicolas Hulot se fait renverser un cageot d'épluchures sur la tête par des militants radicaux qui lui reprochent sa fortune et sa fréquentation des hommes de droite. Eva Joly pas plus que les cadres du parti EELV n'auront un mot de compassion à son égard et Hulot en restera profondément blessé. Tel est le héros préféré des Français : une âme tendre peu au fait des mœurs politiques, peu enclin aux polémiques. Il n'a pas le catastrophisme imperturbable d'un Aurélien Barrau, le Raspoutine du show-biz, ni la morgue d'un Jean-Marc Jancovici, le technocrate de la décroissance, ni la douceur inquiète d'un Pablo Servigne, et encore moins la jouissance morbide d'un Yves Cochet, ce Droopy breton qui ne s'illumine qu'en évoquant la fin du monde, les millions de morts, l'effondrement généralisé. Tous sont un peu connus, mais aucun ne jouit de son aura. D'où vient-elle ?

Hulot est un homme-orchestre : il peut jouer de tous les instruments, appuyer les extrémistes comme rassurer les conservateurs. Il est vraiment le militant intersectionnel qui réconcilie sur son nom tous les camps, aussi bien le philosophe Dominique Bourg, qui plaide pour l'abandon des énergies fossiles et un appauvrissement général, que Jean-Louis Borloo ou Nicolas Sarkozy. Ce grand fédérateur agrège tous les courants, et cette polyvalence le rend à la fois indispensable et inoffensif. Ce fils de bonne famille - dont le grand-père a inspiré à Jacques Tati Les Vacances de M. Hulot -, ancien plagiste, moniteur de voile, photoreporter, aventurier de l'extrême dans Ushuaïa, avait tout pour plaire à Emmanuel Macron, dont il incarne le en-même-temps dans le domaine de l'environnement. Il représente l'espoir de pouvoir tout concilier, les affaires et le respect de la nature, l'enrichissement et le partage, les avantages d'hier et les sacrifices de demain. Multimillionnaire défroqué, il se repent de ses excès passés, au prix d'une certaine schizophrénie qui le rend d'autant plus sympathique. Il est un militant consensuel, c'est ce qu'on aime en lui.

 
Acuité. Pascal Bruckner est écrivain et essayiste. Dernier ouvrage paru : « Une brève éternité. Philosophie de la longévité » (Grasset).

Conscience morale. Tout cela requiert une rhétorique adaptée qui oscille en permanence entre le fatalisme catastrophiste et le boy-scoutisme enthousiaste. Hulot est un professeur de désespoir, mais bien tempéré. S'il y avait une bande-son à ses discours, ce serait l'infantile Imagine de John Lennon, ce rêve un peu douceâtre d'un univers sans guerre, sans racisme, sans haine et sans maladie. Si tous les gars du monde voulaient bien rouler à vélo et manger bio… Il emprunte aux traditions spirituelles les plus diverses et, en 2015, lors du Sommet des consciences pour le climat, qui réunit des personnalités de tous bords (Kofi Annan, le cardinal Turkson, Me Zhang Gaocheng, le patriarche œcuménique Bartholomée Ier), il préconise, entre autres choses, un jeûne pour contrer le réchauffement climatique.

L'amateur d'exploits qui stupéfiait les téléspectateurs en descendant dans le cratère d'un volcan, en se jetant dans les rapides d'un torrent, en voisinant avec les requins et les pieuvres est devenu un professeur de bonne conduite. La métamorphose n'est pas toujours convaincante mais elle plaît, incontestablement. On sent un homme qui a trop aimé le monde d'avant pour s'en priver complètement. Contrairement à Greta Thunberg, il ne propose pas d'annuler les déplacements en avion mais de les réserver pour les grandes occasions, « pour de beaux voyages ». Passer d'amuseur public à conscience morale est une rude tâche, mais Hulot a plutôt réussi le test.

Clichés. Harcelé par les Français qui, « les larmes aux yeux », le suppliaient de se présenter à la présidentielle, coqueluche des politiques qui défilaient chez lui pour lui proposer un poste de ministre, il en a conçu une certaine hubris qui l'a poussé, tel un Moïse du Covid, à publier le 7 mai dans Le Monde 100 recommandations pour l'avenir, sous le titre biblique « Le temps est venu ». Ces propositions ont ceci de particulier que, irréfutables séparément, elles sont inapplicables collectivement. Adepte de l'exhortation apostolique, Hulot nous supplie de prendre la mesure du défi actuel. Certains énoncés ressortent du slogan publicitaire - « Le temps est venu d'applaudir la vie » -, d'autres du catéchisme - « Le temps est venu de la solidarité universelle », « Le temps est venu de réapprendre le bonheur ». Ou bien encore : « Le temps est venu de l'humilité, de la bienveillance, de l'amitié, du discernement, de l'empathie, et de bannir le racisme, la pire des pollutions mentales. » Comment le grand quotidien du soir a-t-il pu imprimer un tel catalogue de clichés ? Est-ce un piège tendu à un possible candidat à la présidentielle ou un symptôme de ce qu'il reste de la gauche, le simplisme et l'eau tiède du vieux catéchisme ?

Le problème de Hulot n'est pas qu'il suscite le désaccord mais, au contraire, l'accord absolu. Qui serait contre cette liste à la Prévert exprimée en 2017 ? « Nous devons préférer l'union à la division, la confiance à la défiance, la réconciliation à la confrontation, la démocratie à l'oligarchie, le juste échange au libre-échange, la coopération à la compétition, le mutualisme à l'individualisme, la protection à la prédation, la sobriété à l'ébriété, l'humilité à la vanité, la diversité à l'uniformité, la créativité à la fatalité, l'inspiration à la résignation, la responsabilité à la passivité, la lucidité à la cécité, la témérité à la frilosité et la sécurité à la précarité. » 

Vidéo. Mais qui est Nicolat Hulot ?

Évanescence. Hulot séduit car il défend un monde manichéen et sans tragique, où les seuls méchants sont le libre-échange et le profit. Il faudrait à la fois annuler la dette des pays pauvres, protéger les peuples premiers, s'affranchir des idéologies stériles, comprendre que le « fatalisme des uns conduit au fanatisme des autres », et que le Covid-19 est « l'ultimatum que nous adresse la nature ». La proposition a fait bondir Marc Fontecave, professeur au Collège de France à la chaire de chimie. « Le retournement purement idéologique, qui consiste à accuser l'homme de ce drame sanitaire quand, au contraire, nous avons là une nouvelle illustration de la violence de la nature vis-à-vis de l'homme, est proprement effarant » (Le Monde du 29 avril).

Mais Hulot est évanescent, ceci et cela et encore autre chose, comme un furet qui glisse entre les doigts, capable d'endosser plusieurs costumes, de se couler dans tous les moules. Il incarne à la perfection l'impasse d'un certain discours écologique qui ne voit dans le monde actuel que deux forces opposées : la planète opprimée et les lobbys des industries pétrolières ou de la finance. Ce dualisme rassure : opposer les mauvaises volontés aux bonnes solutions, c'est quand même amoindrir à l'extrême la complexité du problème. Passe que l'ancien flambeur en pince pour la frugalité, que le nanti nous demande de nous serrer la ceinture. Mais si l'on prend seulement la question de l'énergie, comment laisser croire que le dilemme se réduit à l'opposition entre gaz et pétrole d'un côté, éolien et solaire de l'autre ?

Berger. Dans un documentaire meurtrier, Michael Moore montre que les énergies renouvelables sont coûteuses, ne renouvellent rien et détruisent cette planète qu'elles prétendent sauver. Reconnaissons que, en matière d'environnement, il y a des antinomies qui ne sont pas dues à la seule méchanceté des lobbys. Mais Hulot esquive les impasses : il représente une forme de compromis entre plusieurs aspirations. Il fait peur et réconforte. Il voudrait, tel un berger, conduire l'humanité entière de l'autre côté du fleuve, où tous les êtres communieraient dans la douceur et la fraternité. Il fait penser à ce personnage de Frank Capra joué par James Stewart dans Mr. Smith au Sénat : cet homme naïf qui, nommé sénateur, croise au Capitole toute la corruption du monde politique et triomphe des intrigues. Sauf que Nicolas Hulot est tout sauf un naïf. Sa démission surprise du gouvernement Macron est digne d'un tacticien chevronné. Il ne fut d'ailleurs pas un mauvais ministre de l'Écologie, mais la politique des petits pas ne pouvait convenir à cet homme épris d'épopée. La position, narcissiquement gratifiante, de l'opposant éternel lui a semblé préférable à celle de responsable politique.

On lui reproche ses liens incestueux avec le CAC 40 - il a noué d'innombrables contrats avec L'Oréal, EDF, Veolia -, alors il bifurque, en paroles du moins, devient anticapitaliste et décroissant. D'une certaine manière, il symbolise la panne écologique actuelle : tout le monde s'accorde sur le diagnostic, mais personne sur les remèdes. En 2017, il disait : « Osons le soleil, le vent, l'eau, la mer, comme seules énergies. Osons le juste échange plutôt que le libre-échange. » Et ajoutait : « Sauver les bonobos, c'est nous sauver nous-mêmes. » C'est ça, le message de Hulot : la soupe de pain perdu à la campagne où l'on retrouve tous les camps, les anticapitalistes, les végans, les animalistes, les néopaïens, les collapsologues. Comme tous les écologistes, il fait tinter la vieille breloque du péché originel, mais nous donne tout de suite l'absolution. À cette cucuterie sentencieuse, on peut préférer d'autres approches, moins culpabilisatrices et plus dynamiques  

 
Acuité. Pascal Bruckner est écrivain et essayiste. Dernier ouvrage paru : « Une brève éternité. Philosophie de la longévité » (Grasset).

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