Comment parvenir au pouvoir
Marine Le Pen en fait une épopée libératrice où, comme jadis les partis d'extrême droite européens ou les mouvements de libération nationale dans les pays colonisés par les Européens, le groupe politique affirme ne pas seulement représenter un groupe mais « conduire le peuple à la victoire ». Elle oppose deux projets politiques. L'ennemi, c'est à la fois le « nomadisme », le « mondialisme » et le « progressisme », selon un point de vue ancien à l'extrême droite, mais elle ajoute la «métropolisation ».
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Ce discours prononcé par Marine Le Pen à deux mois du scrutin doit fixer le cap stratégique tout en se livrant à un effort de théorisation visant à préciser et à structurer la doctrine frontiste en matière d'aménagement du territoire. Il s'agit là d'un point important dans la mesure où la crise des Gilets jaunes comme la géographie très singulière du vote RN (scores élevés, voire très élevés dans une partie de la France périphérique versus une plus faible audience dans la plupart des grandes agglomérations) nous montrent que la dimension territoriale et le rapport à l'urbanité pèsent d'un poids de plus en plus déterminant sur le fait politique et électoral.
Marine Le Pen a déroulé les classiques frontistes en mettant l'accent sur l'immigration et l'insécurité, thématiques au cœur du programme des candidats dans leurs villes respectives. Fidèle à la ligne stratégique qu'elle s'était fixée en prenant la tête du parti en janvier 2011, en rupture avec celle de son père, la dirigeante a martelé ce qu'on pourrait appeler le « théorème d'Hénin-Beaumont ». Les élections locales, au premier rang desquelles les municipales, doivent faire l'objet d'une attention et d'un investissement militant particuliers dans la mesure où elles doivent participer à la conquête progressive du pouvoir présidentiel, objectif majeur qu'elle a rappelé dans son discours : « Je le clame haut et fort : notre volonté est de parvenir au pouvoir » et qu'elle a réaffirmé quelques jours plus tard en étant la première candidate à se déclarer officiellement pour la présidentielle, deux ans et demi avant le scrutin. Pour le RN, l'implantation locale sert de point d'appui et de rampe de lancement à la conquête du pouvoir présidentiel. En architecte en chef de ce grand dessein, Marine Le Pen a donc rappelé la méthode à ses partisans : « Vous devez être d'inlassables ouvriers qui alignent leurs rangs de pavés, un à un, sachant que vous construisez là la voie qui conduit à la victoire. » Autre point de méthode, la leçon de l'échec de la précédente expérience du frontisme municipal entre 1995 et 2001 dans quelques villes du sud de la France a été retenue. Plus question de tenter comme à l'époque de prendre des mesures en matière migratoire qui ne relèvent pas des compétences d'une municipalité : « [l'immigration] sera combattue dans la mesure des moyens accordés aux maires pour la contrer ».
Enracinement. Mais, parallèlement à ce petit vade-mecum du bon candidat RN, le discours prononcé par Marine Le Pen revêt une véritable dimension doctrinale. Deux concepts servent de clés de voûte à la vision du territoire et de la société que la dirigeante du parti a développée : le localisme et la démétropolisation. Le localisme figurait déjà en bonne place dans le programme du RN lors des européennes. Dans une économie globalisée dans laquelle les flux de marchandises (et leur lot de délocalisations) et d'individus ont très fortement augmenté, le localisme constitue la réponse et l'alternative proposée par le camp des « patriotes ». Cette notion surfe aussi sur la sensibilité grandissante de l'opinion à la problématique environnementale. Face à un projet de société reconfiguré par Amazon, Marine Le Pen oppose en quelque sorte la « France du Boncoin ». Le localisme façon Marine Le Pen se décline au plan de la citoyenneté (pouvoir aux maires et aux habitants plutôt qu'aux intercommunalités), économique (relocalisation des productions) mais aussi culturel (cf. le slogan « faire de nos quartiers des villages »). Le localisme version RN fait l'éloge des traditions locales qu'il s'agit d'entretenir et de revivifier tant au niveau de l'urbanisme et de l'architecture que de l'animation culturelle (c'est exactement la feuille de route suivie par Robert Ménard à Béziers,par exemple). Derrière le localisme se dessine le concept de société enracinée. Le terme même d'enracinement revient à six reprises dans ce discours. Ce n'est pas un hasard puisque le culte des racines et la critique symétrique des individus sans attache, apatrides et cosmopolites (on dirait aujourd'hui « mondialistes ») sont au cœur de la vision du monde portée par le courant de la droite nationaliste depuis toujours, comme en témoigne le titre d'un des plus célèbres livres de Maurice Barrès : Les Déracinés.
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Menaces. Ce projet de ré-enracinement présenté par Marine Le Pen vise à faire pièce au processus de métropolisation, vigoureusement dénoncé. La « métropolisation » est dépeinte comme une conséquence de la mondialisation au même titre que le « nomadisme ». La leader frontiste associe d'ailleurs les deux phénomènes : « [au cœur de la capitale nous voyons] des campements de tentes et de bâches, de véritables favelas de tôles et de cartons, des cohortes de gens venues du monde entier qui bivouaquent dans nos rues ». Non seulement les métropoles déshumanisent, mais elles uniformisent les paysages partout sur la planète (« Nous ne voulons pas que nos villes ressemblent par leurs immeubles de verre identiques et leur monotonie culturelle à n'importe quelle autre ville du monde »), quand « la densification des métropoles régionales assèche les territoires ». Pour Marine Le Pen, l'univers des grandes métropoles concentre donc l'ensemble des menaces qu'il s'agit de combattre. Mais en dressant un portrait « cauchemardesque » (pour reprendre un de ses mots) des grandes métropoles « mondialisées et nomadisées », elle prend aussi acte de la faiblesse électorale de son parti dans le cœur des grandes agglomérations et indique clairement à ses troupes que les perspectives de conquêtes sont à rechercher à l'écart des métropoles, dans des villes petites et moyennes. La vision du monde portée par Marine Le Pen dans ce discours vient en quelque sorte s'aligner sur la réalité sociologique et géographique de son électorat, tout comme jadis la « ceinture rouge », constituée par les villes communistes en banlieue parisienne, incarnait le discours présentant le PC comme le représentant de la classe ouvrière.
Pascal Perrineau : la « stratégie du bas vers le haut »
Dans son discours, Marine Le Pen a insisté sur le concept de « localisme municipal ». Pour un parti qui, depuis trois décennies, considérait que le pouvoir se prend par le haut et qui portait un assez profond mépris aux échelons locaux considérés comme subalternes et périphériques, il y a là une inflexion majeure. Jean-Marie Le Pen a toujours privilégié les grandes élections nationales (présidentielles de 1988, 1995, 2002, 2007 ; législatives de 1993, 1997) et souvent c'est lors de celles-ci qu'il a réalisé ses meilleurs scores. D'autre part, il soupçonnait les élections locales de produire des baronnies locales qui auraient peu à peu été des concurrences à l'exercice de son autorité. Dans un premier temps, la fille perpétua la stratégie du père, jusqu'aux élections locales de 2014 et 2015. Ses nouveaux « succès » locaux annonçaient son niveau élevé à la présidentielle de 2017 et sa capacité à figurer au second tour. En dépit de la forte dynamique électorale (21,3 % au premier tour, 33,9 % au second), Marine Le Pen était loin de la barre des 50 %. Il s'agit cette fois de construire les conditions d'une « victoire si méritée parce que si complexe à aller chercher ». Pour cela, la présidente du RN décline les grands classiques de son parti : « l'amour de la France », « l'unité nationale », la dénonciation des « vieilles féodalités qui ossifient la politique », « l'arrogante fatuité des prétendues élites », la mondialisation responsable de « la destruction de nos emplois et [de] l'immigration massive », l'insécurité croissante et, bien sûr, la réforme des retraites. Mais, ce qui est nouveau, c'est la substitution d'un mouvement d'en bas au mouvement d'en haut pour prendre le pouvoir. Calendrier électoral oblige : les trois élections à venir avant l'échéance présidentielle sont trois élections locales (municipales, départementales et régionales). Et Marine Le Pen de bien préciser à ses troupes que « le combat municipal n'est pas une corvée » ! Mais au-delà de ces contingences, la candidate éprouve le besoin de préciser qu'une « victoire, ça ne se décrète pas, ça se construit ». Cette construction va du bas vers le haut, du local au national et non l'inverse. L'ardeur de la néophyte de ce type de construction est à nulle autre pareille et le local est paré de toutes les vertus : « Il n'est pas de meilleure école que les municipales. »
Stratégie. Pourquoi cette vertu prêtée au local ? Parce que celui-ci permet l'« émergence d'une nouvelle élite », le « respect des particularismes locaux », l'« enracinement », la « proximité », le « mutualisme », l'« économie du partage »… Le localisme lepéniste prend presque des allures de « socialisme municipal », ce courant qui, à l'articulation du XIXe et du XXe siècle, offrit à un courant socialiste qui faisait peur une vitrine présentable. Plus prosaïquement résonne à nos oreilles la stratégie de la droite aux municipales de 1983 qui prétendait « reconquérir la France ville par ville ».
Pour que cette stratégie localiste rencontre un écho, il lui faut des adversaires à combattre et des citadelles à prendre. Les adversaires, au-delà de la litanie habituelle des ennemis du mouvement lepéniste (mondialistes, élites, cosmopolites, eurocrates, immigrés…), sont nombreux : la « métropolisation », les « villes-mondes », le « désordre urbain », la « fracture territoriale », les « urbanistes progressistes »… Le poète belge anarchiste Émile Verhaeren est mobilisé pour dénoncer les « villes tentaculaires » et les « plaines mornes et lasses » qu'on ne défend plus… Il reste à savoir si ce lepénisme localiste emportera, dans un monde d'appartenances territoriales en pleine recomposition, davantage la conviction des Français en 2022.
Nicolas Lebourg : « Une critique de la métropolisation »
Sur le fond comme sur la forme, ce discours de Marine Le Pen est très structuré. Elle s'adresse à ses troupes d'une façon qui évoque ce que le politiste Xavier Crettiez nomme « l'escapisme révolutionnaire » : alors que militer pour une campagne municipale est une chose assez anodine en démocratie, elle en fait une « aventure hors du commun » et un « parcours initiatique nécessaire » forgeant « une nouvelle élite » pour le « grand réveil des peuples » - formule qui, ici, renvoie aux progressions électorales des partis d'extrême droite mais que le FN utilise depuis la chute du mur de Berlin pour affirmer que le sens de l'Histoire est celui du combat des identités contre le « mondialisme ». Cette galvanisation est soutenue par une certaine musicalité du propos, où la présidente du RN fait rimer « alternance » et « exigence », et assure que son parti a ramassé le « drapeau » dans le « ruisseau ».
Épopée. Cette stylistique n'est pas vaine, elle a pour but de donner un sens à la politique. Marine Le Pen en fait une épopée libératrice où, comme jadis les partis d'extrême droite européens ou les mouvements de libération nationale dans les pays colonisés par les Européens, le groupe politique affirme ne pas seulement représenter un groupe mais « conduire le peuple à la victoire ». Elle oppose deux projets politiques. L'ennemi, c'est à la fois le « nomadisme », le « mondialisme » et le « progressisme », selon un point de vue ancien à l'extrême droite, mais elle ajoute la « métropolisation ». La critique des politiques de métropolisation menées sans débat démocratique a été au cœur des succès du FN au premier tour des régionales de 2015. Mais le soir même, les commentateurs polémiquaient sur l'islam en lieu et place de ce sujet. Ici, Marine Le Pen fait de la protection un thème global, pris dans sa dimension policière, car c'est toujours un sujet porteur pour le FN, mais aussi en dénonçant « l'insécurité sociale » du macronisme. Elle préconise une « démétropolisation » et le « localisme ». La critique de la ville-monde Paris (le RN n'y a aucune chance), plus soucieuse des autres villes-mondes que des villes françaises, lui permet de prôner une incitation fiscale au déménagement d'entreprises des métropoles vers les zones délaissées : c'est une idée qui lui permet de lier campagne des municipales et de la présidentielle. En somme, elle transforme sa sociologie électorale (classes populaires du secteur privé, zones rurales, etc.) en camp politique des outsiders de la mondialisation qu'elle mènerait contre la « start-up nation » d'Emmanuel Macron§
Marine Le Pen - Front national
De son vrai nom Marion Anne Perrine Le Pen, Marine Le Pen est née dans les Hauts-de-Seine le 5 août 1968.
Fille de Jean-Marie Le Pen, elle adhère au Front national dès l'âge de 18 ans.
Elle se présente pour la première fois à une élection en 1993 à l'occasion des législatives.
Elle termine en 3e position à ce scrutin (11,10 %) et finit juste derrière le candidat PS Jean-Luc Gonneau (11,85 %).
En 1998, elle obtient son premier mandat politique en qualité de conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais.
Certes, être la fille de Jean-Marie Le Pen l'a bien aidé à grimper en hiérarchie au sein du parti d'extrême droite.
Mais sa première performance électorale lui fait aussi franchir un palier.
Elle opte évidemment pour le camp de son père lorsque celui-ci se brouille avec Bruno Mégret à la fin des années 1990.
Elle commence aussi en parallèle à créer des associations satellites du
FN destinées à dédiaboliser le parti comme Générations Le Pen.
À
l'occasion de la présidentielle de 2002 (celle où son père accède au
second tour face à Jacques Chirac), elle fait ses réelles premières
interventions médiatiques sur le plan national et sa présence sur les
plateaux marque les esprits.
Ses performances télévisées participent alors à son ascension.
Surtout qu'elle échoue de près aux législatives de 2002 où elle séduit
pas moins de 24,24 % des électeurs au premier tour et s'incline au
second en rassemblant 32,30 % des suffrages.
Les années qui suivent confirment sa montée en puissance.
Elle devient députée européeenne en 2004 mais la présidentielle de 2007 s'avère décevante pour Jean-Marie Le Pen.
Certains cadres du FN désignent la politique de dédiabolisation du
parti initiée par Marine Le Pen comme principale cause de cet échec
électoral.
Sauf que cette dernière réalise un score satisfaisant aux législatives de juin 2007.
Elle échoue certes une nouvelle fois à ce scrutin mais fait perdre 1700
voix et près de 10 points au candidat socialiste par rapport à 2002.
C'est un déclic pour Marine Le Pen qui voit dans la 14e circonscription
du Pas-de-Calais (Courrières, Hénin-Beaumont, Leforest,
Montigny-en-Gohelle, Rouvroy) un laboratoire idéal pour populariser le
Front national auprès de la classe ouvrière qui subit de plein fouet la
crise économique.
Investie tête de liste dans la même région pour
les européennes de 2009, sa désignation provoque la colère de Carl Lang,
député européen FN sortant de cette même circonscription.
Il est
alors suspendu du parti tandis que Marine Le Pen réalise une nouvelle
performance électorale en récoltant 10,18 % des voix.
En 2011, elle succède à son père comme président du FN.
Son conjoint Louis Aliot et son bras droit Florian Philippot l'aident à
dédiaboliser davantage le parti d'extrême droite en adoptant un
discours anti-libéral.
La présidentielle de 2012 est un franc succès puisqu'elle rassemble pas moins de 17,90 des suffrages.
Elle fait mieux que son père en 2002 qui, lui, était arrivé au second tour.
Deux ans plus tard, les municipales viennent enfin récompenser son implantation locale.
Steeve Briois, l'un de ses plus proches collaborateurs, est élu maire de Hénin-Beaumont.
Les élections européennes et départementales qui suivent confirment sa montée en puissance.
Mais elle finit alors par entrer en conflit avec son père non avare de déclarations xénophobes voire antisémites.
Sur RTL, elle déclare partager sur le fond les idées de son père mais
s'oppose drastiquement à la méthode paternelle pour les diffuser.
Elle parvient, en 2015, à faire exclure Jean-Marie Le Pen du parti qu'il a fondé.
La même année, elle est candidate aux régionales dans le nouveau territoire de Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Donnée favorite par les sondages, elle réalise un gros score et finit
en tête du premier tour (40,64 %) mais s'incline face à Xavier Bertrand
au second car ce dernier a profité du report des voix des voix de la
gauche (57,77 % contre 47,23 % pour Marine Le Pen).
Gonflée par sa montée en puissance, elle se positionne comme la favorite pour finir en tête du premier tour à l'occasion de la présidentielle de 2017.
Mais un débat raté et une vague macroniste lui font perdre le second tour au profit du candidat de La République en Marche.
Elle parvient tout de même à conserver son mandat de députée en remportant les législatives dans le Pas-de-Calais.
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