C'est ce qu'on appelle réussir un « coup ». Ce 9 février, les matinales radio ont toutes claironné, à grand renfort d'indignation, un chiffre « affolant » et qui claque : contrairement à toutes les promesses, les politiques conduites en faveur d'une baisse de l'usage des pesticides seraient un échec cinglant. « Entre 2009 et 2017, l'utilisation des pesticides en France a augmenté de 25 % », affirme la Fondation pour la nature et l'homme (créée par Nicolas Hulot) dans un rapport publié ce mardi et aussitôt repris, sans vérification ni recul, par la quasi-totalité de la presse grand public. Et Nicolas Hulot, invité sur la radio RMC, de pousser des hauts cris : « Ce n'est pas une fatalité, c'est une forme de résignation et d'aberration ! » Sauf que… les chiffres de Nicolas Hulot sont faux, comme n'a pas manqué de le souligner le ministre de l'Agriculture lui-même sur Twitter, dénonçant une présentation « fausse » et « dégradante » pour les agriculteurs.
À l'heure où les négociations de la future politique agricole commune (PAC) se durcissent à Bruxelles, dans le but d'articuler les différents plans stratégiques nationaux, il convient, pour éviter de se faire manipuler par les différents groupements d'intérêt en présence, de se plonger dans le détail des chiffres.
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Un rapport militant
Le rapport de la fondation, qui milite pour que l'essentiel des aides de la future PAC soit ciblé sur les exploitations en agriculture biologique, se base sur les données de ventes des produits phytopharmaceutiques déclarées par les distributeurs, et qui servent de base au suivi des politiques publiques engagées. Chaque année, elles sont analysées dans le cadre du plan écophyto, lancé en 2008 pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires.
En 2018, la quantité totale de substances actives vendues en France s'élève à 85 876 tonnes, souligne la Fondation. Premier problème : la FNH a préféré ignorer les ventes de l'année 2019, alors qu'elles ont plongé à seulement 55 467 tonnes au total (soit une baisse de 36 %), les agriculteurs ayant anticipé, dans leurs achats de l'année précédente, la forte hausse d'une taxe frappant les pesticides au 1er janvier 2019. En moyenne triennale, la baisse atteint 12 % en 2018-2019. Mais surtout, cette réalité masque une autre information, fondamentale pour juger de l'efficacité des politiques suivies : quelles substances sont effectivement vendues ? En médecine, on considère comme un progrès un patient qui remplace 10 milligrammes de morphine par 3 grammes de paracétamol… C'est exactement le phénomène observé en agriculture. Ces dix dernières années, les ventes de substances les plus préoccupantes (appelées CMR, pour cancérogène, mutagène ou reprotoxique) ont respectivement baissé, entre les périodes 2009-2011 et 2016-2018 (en moyenne triennale) :
- de 15 % pour les substances classées CMR 1 (dont les effets sont avérés) ;
- de 9 % pour celles classées CMR 2 (dont les effets sont seulement suspectés).
En 2019, cette baisse s'est encore fortement accentuée, les ventes de molécules CMR 1 plongeant de 63 %, et les CMR 2 de 49 %.
Les substances vendues ont aussi changé de nature : la part de produits de biocontrôle, peu nocifs et utilisables en agriculture biologique, a plus que doublé en dix ans, ces molécules représentant aujourd'hui un quart (25 %) des ventes totales de pesticides ! Le soufre, à lui seul, représente 16 % des ventes. Plus préoccupant : l'usage de cuivre, de spinosad ou d'azadirachtine, tous utilisables en agriculture biologique mais au profil toxicologique problématique, augmente également.
Si la baisse est réelle, donc, elle est cependant loin d'atteindre l'objectif initialement fixé par le premier plan écophyto, rédigé (le fait a son importance) sous l'inspiration de la FNH à l'issue du Grenelle de l'environnement : celui d'une baisse de 50 % de l'usage des pesticides.
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Un indicateur trompeur
Un objectif qui est vite apparu comme inatteignable, du fait des indicateurs choisis ! Pour mesurer les quantités de substances utilisées, un outil de mesure a été fabriqué : le NODU, qui définit le nombre d'unités-doses de pesticide utilisées par usage. Les champignons, maladies, insectes et nuisibles n'ayant pas disparu, il a fallu remplacer de nombreux produits habituels par d'autres, moins nocifs, mais aussi moins efficaces, et augmenter la fréquence des traitements sur les cultures. Ainsi, un tiers de dose de glyphosate (0,3 NODU) a été remplacé par deux doses d'un produit de biocontrôle (2 NODU) C'est un sujet de discorde récurrent : le NODU trompe sur la réalité des changements de pratiques. L'interdiction récente des insecticides néonicotinoïdes, par exemple, a fait, à elle seule, augmenter le NODU de presque 5 %.
C'est pourtant l'indicateur que la Fondation de Nicolas Hulot a choisi de livrer au public, sans expliquer ses limites, pour s'alarmer d'une « hausse de l'usage des pesticides de 25 % ».
Si de gros efforts restent impératifs, le ministère de l'Agriculture préfère, lui, se focaliser sur le « verre à moitié plein », plutôt qu'à moitié vide : fin 2018, la France comptait 41 600 exploitations engagées en agriculture biologique, soit près de 9,5 % des exploitations françaises, et le nombre d'exploitations certifiées HVE (haute valeur environnementale) a progressé de 50 % ces six derniers mois. Le réseau des fermes déphy, constitué d'agriculteurs conventionnels s'engageant à réduire drastiquement leur usage de pesticides, afin d'enseigner aux autres leurs pratiques, enregistre des résultats importants, parvenant à réduire, sur plusieurs années, leurs usages de pesticides de 40 %. Une inspiration pour Julien Denormandie, qui l'a martelé ce mardi à l'Assemblée : « Le courage n'est pas dans l'incantation, mais dans les 55 heures de travail hebdomadaires des agriculteurs. […] Le courage n'est pas dans le “y'a qu'à, faut qu'on” des subventions, mais dans la création de valeur. » Un tacle à peine voilé à son illustre ex-collègue, qui a préféré démissionner en 2018.
Données fabriquées
Les
autres conclusions du rapport de la FNH, qui affirme notamment que
seuls 1 % des 23,2 milliards d'euros de fonds publics versés chaque
année au secteur agricole ont un effet avéré sur la réduction de
l'utilisation des pesticides, sont à l'avenant… Le cabinet d'études Basic
(pour « Bureau d'analyse pour une information sociétale et citoyenne »,
qui produit des études à la demande pour Greenpeace, Oxfam, Biocoop,
des acteurs du commerce équitable, NDLR), source principale de l'ONG, a
retenu uniquement les soutiens à l'agriculture biologique et les Maec
« rotation, limon profond, et grandes cultures en zones
intermédiaires », par exemple. Des données spécialement payées par la
Fondation, assez peu objectives.
Source Le Point par Géraldine Woessner
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