Trois économistes spécialistes de l’énergie, Quentin Perrier, Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh expliquent, dans une tribune au « Monde », que l’avenir de la France ne passe pas forcément par le nucléaire étant donné les importants progrès réalisés par les énergies renouvelables.
Tribune. « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire », a affirmé Emmanuel Macron lors d’un discours devant les forges de Framatome. L’objectif de la France est de décarboner entièrement son mix électrique d’ici à 2050 : c’est la feuille de route fixée par la stratégie nationale bas carbone. Cet objectif sera-t-il atteint avec des nouveaux réacteurs nucléaires ou des énergies renouvelables ?
Rien n’est officiel pour l’instant, mais le récent discours du président de la République fournit une indication claire. Le gouvernement a d’ailleurs demandé à EDF d’étudier la faisabilité de six nouveaux réacteurs EPR. Pourtant, le nucléaire est-il si nécessaire ? Plusieurs faisceaux d’indices suggèrent que la réponse n’est pas si tranchée.
Tout d’abord, le nucléaire ne sera plus cette énergie peu chère que nous avons connue. Ainsi, le tarif négocié pour l’EPR en construction en Angleterre est de plus de 100 euros (92 livres sterling) par mégawattheures (MWh), soit plus que le double du prix auquel se négocie actuellement l’électricité en Europe. Les nouveaux réacteurs ont des conceptions plus complexes et sont soumis à des normes de sécurité plus contraignantes, qui conduisent à une augmentation du coût de cette technologie.
Rapports de force bousculés
A l’inverse, les énergies renouvelables ont connu des progrès marqués, bien plus rapides qu’anticipé par les experts : selon la banque d’investissement Lazard, les coûts moyens du solaire photovoltaïque ont été divisés par 10 depuis 2009, ceux de l’éolien par 3,5. Cette « révolution silencieuse » bouscule les rapports de force face au nucléaire.
D’ailleurs, le débat s’est aujourd’hui déplacé : l’avantage du nucléaire mis en avant n’est plus son coût, mais son caractère « non intermittent ». En effet, les nouvelles énergies renouvelables, solaire et éolien, dépendent des aléas météorologiques. Comment garantir à tous un approvisionnement stable en électricité dans ces conditions ? Pour certains, un mix 100 % renouvelable ne serait pas faisable, ou alors excessivement coûteux. Ou pire même : il pourrait conduire à augmenter les émissions de CO2, puisqu’il faudrait compenser les baisses de vent ou de soleil par des centrales au gaz ou au charbon.
Pourtant, deux récentes études publiées dans les principales revues internationales en économie de l’énergie semblent confirmer que le nucléaire pourrait ne jouer qu’un rôle de second plan dans le futur mix électrique.
Selon la première étude, publiée dans The Energy Journal (« How Sensitive are Optimal Fully Renewable Power Systems to Technology Cost Uncertainty ? », par Behrang Shirizadeh, Quentin Perrier et Philippe Quirion, un mix électrique 100 % renouvelable serait possible en France en 2050, sans mettre en péril la sécurité d’approvisionnement. Ce résultat s’explique grâce aux progrès attendus des éoliennes et des moyens de stockage (batteries et gaz renouvelable).
Un retournement de la preuve
Dans la seconde étude, publiée dans Energy Economics (« Low-carbon options for the French power sector : What role for renewables, nuclear energy and carbon capture and storage ? », par Behrang Shirizadeh et Philippe Quirion, novembre 2020), la compétitivité du nucléaire est comparée aux renouvelables. Bilan : le mix optimal compterait environ 25 % de nucléaire en 2050, en supposant que son coût sera divisé par deux par rapport aux EPR actuellement en construction en Europe.
Ces résultats pourront toutefois varier selon les évolutions des filières : cette part pourrait monter à 50 % si les prochains EPR parviennent à diviser leur coût au moins par deux et si les progrès des renouvelables sont plus lents que prévu. Mais la part optimale du nucléaire pourrait aussi tomber à zéro si son coût ne diminue pas d’au moins 40 % (ce qui serait une amélioration notable).
Si l’avenir du nucléaire est loin d’être tranché, nous sommes probablement en train d’assister à un retournement de la preuve : les énergies renouvelables ont montré leurs progrès, c’est aujourd’hui à l’industrie nucléaire de convaincre qu’elle saura baisser ses coûts pour rester compétitive. Il semble difficile d’affirmer qu’un mix électrique majoritairement nucléaire est aujourd’hui la meilleure option du point de vue économique.
Quant aux conséquences pour le climat, l’enjeu est finalement assez faible : nucléaire comme renouvelables sont toutes des énergies bas carbone. Pour réduire les émissions, les leviers sont davantage du côté des transports, des bâtiments et de l’alimentation, comme l’ont illustré les travaux de la convention citoyenne qui seront bientôt débattus au Parlement.
Les signataires : Quentin Perrier, chercheur en économie sur la transition bas carbone (ex-Cired), Philippe Quirion, directeur de recherche au CNRS, chercheur en économie de l’énergie au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), et Behrang Shirizadeh, chercheur en économie de l’énergie au Cired.
La consultation sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie, achevée le 19 février, imagine substituer éolien, solaire et nucléaire au pétrole et au charbon. Mais l’histoire montre que les sources d’énergie cohabitent, à l’inverse du mythe d’innovations disruptives successives. Notre sélection de tribunes :
Sources: Tribune et Collectif
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