Ledit accord peut-être qualifié d’historique, puisqu’il alloue 8,2 milliards d’euros afin de revaloriser la rémunération des sages-femmes, des personnels non médicaux des établissements de santé et des EHPAD, des internes et étudiants en santé, ainsi que des praticiens qui font le choix de l’hôpital public.
Les rémunérations des salariés paramédicaux tels que les infirmiers et les aides soignants et non médicaux (brancardiers, techniciens, etc.) seront également revalorisées de 160 à 180 euros selon les établissements de santé. C’est moins que les 300 euros réclamés par les syndicats, mais 15000 postes supplémentaires devraient être créés, ce que certains syndicalistes considèrent comme une compensation.Ces mesures ne semblent pas suffisantes pour satisfaire l’ensemble des soignants, si l’on en juge par la « journée de mobilisation et de grève nationale » prévue le 15 octobre pour réclamer « des embauches massives immédiates » et une « revalorisation significative des salaires » dans le secteur de la santé apportera une première réponse. Rien d’étonnant, car s’il existe une relative concorde pour estimer nécessaire une « refonte » de notre système de santé, les solutions permettant de faire consensus sont beaucoup plus rares.
Nous allons essayer d’en comprendre les raisons.
Pourquoi un Ségur de la santé ?
Alors que la France, comme tous les pays du monde, a été et reste confrontée à une crise sanitaire dont les impacts sont d’une rare ampleur dans l’époque moderne, le Ségur de la santé s’est fixé comme objectif de rénover notre système de santé pour le rendre plus efficient et adaptable au bénéfice de tous : patients, soignants, élus. Si l’objectif est louable, sa mise en œuvre s’avère diablement complexe.
En effet, notre système de santé repose sur de nombreux intérêts différents. Depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs s’efforcent de concilier des objectifs pas toujours convergents : attractivité des métiers et maîtrise du budget de la Sécurité sociale, libre choix du médecin et développement d’un dossier médical partagé qui ne voit pas le jour, maintien d’une offre de proximité et concentration des moyens dans de gros établissements de santé d’excellence, coexistence d’une offre publique et d’un secteur libéral…
En 2018, la part de la santé dans la richesse nationale s’élevait à 11,7 %. En la matière, la France se place dans le peloton de tête des classements mondiaux. La marge de manœuvre est donc étroite. Très étroite même, si l’on considère qu’avec le Danemark et la Belgique, elle figure parmi les pays dont les prélèvements obligatoires sont les plus importants.
Des établissements de santé sous tension
Depuis de très nombreuses années, les mouvements sociaux se succèdent dans les établissements de santé. Qu’il s’agisse des hôpitaux publics ou des cliniques privées, très rares sont les établissements qui n’y ont pas été confrontés. En l’espace d’un mois, en septembre/octobre 2019, la plupart des établissements de santé de l’agglomération de Toulouse, qu’ils soient publics ou privés, avaient par exemple été confrontés à des grèves. On pourrait multiplier ce type d’exemple à travers la France. Les services des urgences ont également connu des mouvements sociaux très importants à compter du premier semestre 2019.
Derrière ces événements, on retrouve très souvent le même ras-le-bol : épuisement du personnel, conditions de travail très difficiles, rappels de salariés à domicile empiétant sur leur vie personnelle, rythme de travail infernal, violences contre les soignants, salaires bloqués… Avec un coupable tout désigné : la tarification à l’activité (T2A), objet de mécontentement dans les établissements de santé.
Mise en place progressivement en 2004, cette tarification finance les séjours et l’activité réalisés dans les établissements de santé. Jusque là, rien de choquant. Le souci est ailleurs. Pour contenir l’évolution des dépenses de santé et d’une demande de soins qui ne cesse d’augmenter, sous l’effet conjugué du progrès médical et du vieillissement de la population, les pouvoirs publics ont mis en place un système d’ajustement redoutable : la régulation prix/volume.
La recherche de gains de productivité
Ainsi, pour faire face à l’augmentation continue de l’activité avec son corollaire inflationniste (plus l’activité augmente plus le chiffre d’affaires augmente), les tarifs des séjours ont régulièrement baissé chaque année depuis l’instauration de la T2A. La conséquence est limpide. Pour pouvoir maintenir leurs ressources, les établissements de santé ont été contraints d’améliorer la productivité : faire plus avec moins ou autant.
C’est ce qui explique, par exemple, le lancement par le ministère de la Santé du programme PHARE (Performance hospitalière pour des achats responsables) en 2011. L’objectif était louable : réaliser des économies sur les achats relevant du « bon sens ».
De même, les pouvoirs publics (ministère de santé) ont demandé au début des années 2010 aux établissements de santé de revoir leur nombre de lits en développant l’ambulatoire. L’idée, en soi, était judicieuse. Il s’agissait de développer une activité ambulatoire correspondant à la fois aux souhaits des patients (qui rentrent et sortent dans la journée) et aux évolutions des pratiques médicales (une opération de prothèse de hanche qui nécessitait une hospitalisation de trois semaines il y a 20 ans peut désormais s’effectuer en ambulatoire).
Mais derrière cette prouesse médicale, se cache une autre réalité : la fermeture de services d’hospitalisation de nuit, l’augmentation de la productivité au bloc opératoire, la nécessaire polyvalence des soignants.
Si tous ces objectifs pouvaient et peuvent s’entendre, la vitesse de mise en œuvre a été certainement trop rapide. En 2017 Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé déclarait même : « à l’hôpital, nous sommes arrivés au bout d’un système ».
Une reconnaissance insuffisante
Durant la crise sanitaire, les Français ont manifesté leur reconnaissance envers les professionnels de santé en se réunissant tous les soirs à 20 h, pour témoigner leur gratitude par des applaudissements.
Une unanimité a vu le jour à propos de la nécessaire revalorisation des carrières des soignants en « première ligne ». On pense aux infirmier·e·s (1 700 euros bruts mensuels en début de carrière) et aux aides-soignant·e·s (1 333 euros bruts mensuels en début de carrière). D’autant plus qu’au vu des comparaisons internationales, leur rémunération est inférieure à celle de leurs homologues européens.
Derrière ces professions paramédicales, et alors que 30 % des postes sont vacants dans les hôpitaux publics, les médecins sont aussi en embuscade. Comment rendre leur métier plus attractif ? En revalorisant les rémunérations. Mais la concertation est très axée sur le secteur hospitalier, autour de quatre piliers (transformation et revalorisation des métiers, investissement, simplification et enjeux territoriaux). Ce qui interpelle tout le secteur libéral (médecins de ville, infirmiers et infirmières libérales), dont les membres craignent d’être les grands oubliés du Ségur de la santé.
Ajoutez à toutes ces problématiques les défis de la démographie médicale et des déserts médicaux, l’égal accès aux soins sur tout le territoire, la démocratie sanitaire, et vous obtenez un décalage potentiel entre les ambitions des différents protagonistes. Autrement dit, il est certain que toutes les attentes ne pourront pas être satisfaites.
Alors que le système de santé doit faire face à la montée de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 et à la crise sanitaire qui en résulte, toute la question est de savoir si les mesures prévues par le « Ségur de la santé » permettront de mettre fin aux nombreux mouvements sociaux qui continuent d’émailler le paysage social des établissements de santé. L’avenir nous le dira.
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