Le président de la République s’est tenu à distance, samedi, des agriculteurs manifestant leur colère dans les allées tout en multipliant les prises de paroles et les temps d’échange avec les syndicalistes pour défendre les réponses apportées par l’exécutif aux revendications d’une partie du monde agricole.
Emmanuel Macron a terminé, samedi 24 février dans la soirée, une visite de treize heures d’un Salon de l’agriculture marqué par les huées et des heurts d’une rare intensité, alors que l’exécutif cherchait depuis un mois à apaiser le mouvement de colère des agriculteurs avant leur grand rendez-vous annuel.
« Qui aurait dit ce matin que douze heures plus tard, on se retrouverait ici à continuer de travailler, d’avancer ? », lance Emmanuel Macron peut avant 20 heures, satisfait d’avoir parcouru l’événement en dépit d’un démarrage chaotique, et taclant : « C’est ridicule de la part d’agriculteurs d’avoir fait de la violence sur un salon qui est le leur. »
Avant l’ouverture officielle, des centaines de personnes menées par des agriculteurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), des Jeunes Agriculteurs (JA) et de la Coordination rurale ont forcé l’entrée du parc des expositions parisien de la porte de Versailles. Ils ont fait irruption dans le hall principal, déclenchant des heurts avec les forces de l’ordre. Au même moment, vers 8 heures, Emmanuel Macron s’entretenait au premier étage avec certains responsables syndicaux agricoles. Après un point presse pendant lequel il a appelé les manifestants au calme, le chef de l’Etat a improvisé un débat de près de deux heures avec des représentants du secteur – dans leur majorité des cadres des organisations représentatives.
Durant ces échanges, parfois tendus, Emmanuel Macron a notamment été interpellé pêle-mêle sur les conséquences de la guerre en Ukraine, sur la simplification administrative, sur l’écologie vécue comme « punitive » par certains agriculteurs ou encore sur la rémunération des agriculteurs. « La ferme France, elle reste forte, elle produit (…), c’est faux de dire qu’elle est en train de se casser la gueule », a asséné le chef de l’Etat, exhortant à ne « pas dresser un portrait catastrophiste de notre agriculture ».
Un sommet à l’Elysée en mars
Le président de la République a notamment annoncé que le projet de loi d’orientation agricole, repoussé à plusieurs reprises, serait présenté en conseil des ministres le 20 mars. Il a également affiché son intention de mettre en place un prix plancher « filière par filière ». « Il y aura un prix minimum, un prix plancher, en dessous duquel le transformateur ne peut pas acheter et le distributeur ne peut pas vendre », a-t-il promis. M. Macron a aussi évoqué la constitution d’un « plan de trésorerie d’urgence » dès cette semaine pour soulager les agriculteurs et un rendez-vous sur le sujet à l’Elysée dans trois semaines.
L’image restera de policiers d’une compagnie républicaine de sécurité et de gendarmes mobiles casqués et boucliers en main tentant de contenir des agriculteurs en colère et qui invectivaient le chef de l’Etat.
Chaque jour de nouvelles grilles de mots croisés, Sudoku et mots trouvés.
Jouer
Quand Emmanuel Macron descend finalement, avec plus de quatre heures de retard, pour inaugurer le Salon et commencer sa visite, les noms d’oiseaux fusent (« fumier », « menteur »), ainsi que les cris (« Barre-toi ! ») et les appels à la démission. Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, a évalué entre « 300 et 400 » le nombre des manifestants les plus vindicatifs le matin. Il a fait état de six interpellations ainsi que de huit blessés parmi les forces de l’ordre.
Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a estimé dans la soirée, sur LCI, avoir entendu pendant la journée un « certain nombre d’avancées dont nous nous réjouissons », en particulier la perspective d’un « plan de trésorerie » élaboré à partir de lundi pour les agriculteurs en difficulté ou encore la volonté de reconnaître dans la loi que l’agriculture est « d’intérêt général majeur ». « Il fallait probablement qu’on passe par ce moment de colère », a estimé le responsable syndical.
Le calme a fini par revenir dans l’après-midi avec la mise sous cloche du hall où Emmanuel Macron poursuivait sa visite, le contraste étant saisissant entre les allées clairsemées autour de lui et celles bondées dans les autres pavillons.
La pagaille a en tout cas retardé l’ouverture aux visiteurs, et fortement compliqué l’accès au hall le plus couru, celui des animaux, théâtre des empoignades avec les forces de l’ordre et des huées. La première journée de ce soixantième Salon de l’agriculture a tout de même été marquée par une grande affluence, de nombreuses personnes se pressant dans les allées non fermées au public.
Critiques du Rassemblement national
« Poser le mot sur le concept de prix plancher est déjà une petite révolution », a salué Laurence Marandola, la porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat opposé à l’agriculture intensive et qui porte cette revendication. Ce prix minimum pour le lait ou la viande de bœuf irait plus loin en la matière que les lois EGalim actuelles censées garantir aux agriculteurs une rémunération donnée dans les contrats avec les industriels et les grandes surfaces. Le gouvernement veut une nouvelle loi EGalim d’ici à l’été.
La FNSEA reste sceptique : « D’une région à l’autre on n’a pas les mêmes charges (…) le prix minimum on n’en veut pas parce que sinon ça nous bloquerait le prix vers le bas et finalement nous ramènerait vers un smic agricole », a déclaré à TF1 un des vice-présidents du syndicat, Luc Smessaert. Quant à l’intérêt général majeur de l’agriculture, une source au sein de l’exécutif indique cela « emporte des conséquences juridiques ». C’était une revendication de la FNSEA et pourrait par exemple faciliter la construction de projets dévolus à l’irrigation agricole malgré la présence d’espèces protégées.
Le président de la République a aussi posé les jalons d’un débat à distance avec le Rassemblement national (RN), avant les élections européennes de juin où le parti est annoncé favori dans les sondages. A la veille de la visite au Salon du président du RN, Jordan Bardella, Emmanuel Macron a dénoncé un « projet de décroissance et de bêtise » qui consisterait à « sortir de l’Europe ».
Le chef de l’Etat a ensuite poursuivi ses critiques envers le RN, en déclarant notamment : « Je veux bien un projet qui explique aux gens qu’on va fermer les frontières et que les autres vont continuer à les ouvrir pour nous, mais ça n’existe pas. (…) On ne peut pas raconter des craques aux agriculteurs, il faut arrêter. »
M. Macron a finalement détaillé de nouveau les mesures qu’il veut mettre en place pour répondre à la colère des agriculteurs – notamment la poursuite de l’application de la loi EGalim en installant des indicateurs de prix dans toutes les filières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ainsi que la création d’une réglementation européenne sur les centrales d’achat pour lutter contre le contournement des négociations commerciales en France.
L’échange avec la presse s’est terminé sur une invitation à aller boire un verre. « Bon bah, on va boire un coup chez les brasseurs, venez ! », a lancé Emmanuel Macron. Le cortège présidentiel a quitté la porte de Versailles une heure plus tard.
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