Revenons en arrière. Une statistique largement diffusée a frappé l’opinion française, ces dernières semaines : le revenu moyen annuel des agriculteurs atteint 56 014 euros en 2022, soit un niveau beaucoup plus important que ce qu’on imagine parfois. Ces données, rassemblées par les services statistiques du ministère de l’agriculture à des fins notamment de comparaison européenne, sont aussi disponibles au niveau le plus détaillé, par type d’exploitation et par décile de rémunération.
Afin de bien les interpréter, plusieurs précisions s’imposent cependant. Le champ étudié exclut tout d’abord une partie des plus petites exploitations. Le ministère précise que 95 % des surfaces et 99 % de la production sont couvertes. Il reste qu’entre 10 % et 20 % des exploitants sont exclus suivant les secteurs.
Ensuite, et surtout, il faut bien préciser le concept de revenu étudié. Il s’agit du revenu moyen annuel par exploitant travaillant à plein temps, après déduction de toutes les charges d’exploitation, y compris les charges financières (intérêts d’emprunt) et les dotations aux amortissements des équipements, mais avant déduction de l’impôt sur le revenu et de toutes les cotisations sociales. Cela explique en grande partie le niveau élevé de ce revenu moyen de 56 014 euros.
Si l’on calcule la rémunération moyenne par salarié (équivalent temps plein) en France en 2022, en incluant l’ensemble des cotisations sociales salariales (déduites du salaire brut) et patronales (acquittées par les employeurs en sus du salaire brut), alors on arrive également à une moyenne d’environ 60 000 euros par an, proche de celle des paysans, voire un peu supérieure. A concept équivalent, le revenu moyen des médecins atteint 120 000 euros par an (90 000 pour les généralistes, 150 000 pour les spécialistes).
Difficile accès aux capitaux et aux équipements
Les exploitants agricoles, comme d’ailleurs l’ensemble des indépendants, ont certes des cotisations sociales beaucoup plus faibles que celles des salariés, si bien que leur revenu moyen disponible après déduction des cotisations est sensiblement supérieur. Sauf que ces cotisations plus faibles se traduisent aussi en retraites et en divers droits sociaux plus faibles, ce qui oblige les paysans à épargner davantage pour compenser.
Plus encore que les médecins et les autres indépendants, les exploitants agricoles sont, en outre, contraints d’immobiliser des capitaux extrêmement importants, qu’ils peuvent en principe revendre à leur retraite, opération qui n’est toutefois pas sans risque. Finalement, le revenu moyen de 56 014 euros des agriculteurs n’a rien d’exorbitant en comparaison avec les autres actifs du pays.En revanche, la vraie particularité des paysans est l’extrême inégalité de la répartition des rémunérations autour de cette moyenne. D’après les données disponibles, les paysans apparaissent même comme la plus inégale des professions en France actuellement. De façon générale, les inégalités de rémunération au sein des professions non salariées sont sensiblement plus fortes qu’au sein des professions salariées, en lien notamment avec les difficultés d’accès aux capitaux et aux équipements.
Et, au sein des indépendants, les inégalités de revenus apparaissent sensiblement plus fortes parmi les exploitants agricoles que pour les autres professions concernées, qu’il s’agisse des commerçants, des restaurateurs, des boulangers ou des professions du transport ou de la construction.
Moins de 20 000 euros pour les éleveurs bovins et caprins
Concrètement, pour un revenu moyen de 56 014 euros, on constate, d’après les services statistiques du ministère de l’agriculture, que 25 % des agriculteurs dépassent les 90 000 euros et 10 % les 150 000 euros. Les revenus de plusieurs centaines de milliers d’euros annuels ne sont pas rares, notamment parmi les dirigeants actuels de la FNSEA, qui cumulent souvent leur activité d’exploitant-manageur avec celle d’actionnaire dans l’agro-industrie.
A l’autre bout de l’échelle, les 10 % des agriculteurs les moins rémunérés se situent à moins de 15 000 euros, soit, dans de nombreux cas, très au-dessous du smic horaire compte tenu des journées à rallonge. On observe également des écarts considérables entre catégories d’exploitations, avec un revenu moyen allant de 19 819 euros pour les éleveurs bovins et caprins à 124 409 euros pour les éleveurs porcins, dont les revenus ont beaucoup varié mais ont fortement progressé au cours des trente dernières années.
Que conclure de tout cela ? D’abord que les solutions globales n’ont aucun sens. Supprimer la taxe sur le gasoil agricole ou réintroduire les pesticides va évidemment rapporter beaucoup plus d’argent à ceux qui gagnent déjà 150 000 euros qu’à ceux qui émargent à 15 000 euros. Ensuite, qu’il est absurde de répondre à la concurrence des pesticides étrangers en réduisant les normes sur les productions françaises.
Une bien meilleure solution serait d’introduire immédiatement des mesures de sauvegarde visant à faire payer aux importations concernées le bénéfice indu qu’elles tirent du non-respect des normes françaises. C’est en prenant à bras-le-corps les inégalités du monde paysan et les défis de l’agriculture biologique que l’on sortira de la crise actuelle.
Au lieu de cela, les pouvoirs publics à Paris et Bruxelles se lancent dans une fuite en avant d’un autre temps en relançant les pesticides et les pollutions, sans se donner les moyens de s’attaquer aux injustices et aux dogmes libéraux. C’est d’autant plus inadapté que le monde paysan constitue aujourd’hui le plus inégal des univers professionnels. Aucune solution viable ne pourra être trouvée si l’on ne part pas de cette réalité matérielle élémentaire.
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