20/03/2023

Rapport sur le climat : comment fonctionne le Giec ?

 Les scientifiques du GIEC ont le dernier mot s’ils ne remettent pas en question les intérêts des grandes puissances

Cela n’a pas toujours été le cas. Le GIEC a été la cible de groupes climatosceptiques, qui l’ont accusé d’avoir truqué des données ou fait des erreurs, notamment en 2010. Mais ensuite, il a été capable d’être réflexif, de transformer ses procédures pour conserver sa légitimité dans le temps. Désormais, il s’est imposé comme un modèle d’expertise internationale et ses conclusions sont très peu remises en question.

Son organisation a été reproduite pour la biodiversité – avec la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) – et certains plaident pour créer des GIEC sur d’autres enjeux globaux comme les pandémies ou la pollution plastique.

Quelle a été son influence dans la lutte contre le changement climatique ?

Le GIEC a permis de mettre le climat à l’agenda, de rappeler à intervalles réguliers l’urgence à agir face à ce problème colossal. En offrant un socle scientifique extrêmement fort, il a également permis de parler d’une seule voix ; il a dissipé la confusion entre les recommandations de nombreuses évaluations nationales et internationales produites dans les années 1980-1990.

Ensuite, il a guidé les négociations climatiques : la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [qui organise les COP] a été établie en 1992 sur la base de ses conclusions. Il peut également avoir un pouvoir mobilisateur. Il a par exemple poussé les jeunes dans la rue après la parution de son rapport de 2018 sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5 °C.

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Avec les années, le GIEC est passé d’un rôle d’alerte à celui de fournisseur de solutions. Sans influencer directement la politique, il contribue à la construction du problème climatique. Il a par exemple donné de la légitimité au débat sur la sobriété en France. Mais son influence réelle reste à nuancer. L’expertise, à elle seule, ne peut résoudre un problème qui reste une question politique, sociale, économique et éthique des plus complexes.

Quelle est l’origine du fonctionnement hybride du GIEC, ce mélange entre scientifiques et politiques ?

Le GIEC a été créé en 1988, sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), d’abord sous la pression des Etats-Unis et notamment du président Ronald Reagan. Les Américains voulaient garder un contrôle sur l’expertise scientifique à un moment où des pourparlers étaient en cours pour établir un traité international sur le climat, perçu comme une menace pour leur économie.

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Les auteurs font l’essentiel du travail en produisant les rapports. Mais les 195 Etats membres de l’OMM et du PNUE ont aussi un rôle majeur : ils déterminent le mandat du GIEC, le programme des groupes de travail, élisent les membres du bureau, chapeautent la production des rapports, proposent des listes d’auteurs, approuvent les plans des rapports, examinent les différentes ébauches et approuvent ligne par ligne, en collaboration avec les scientifiques, les résumés à l’intention des décideurs.

Depuis le début, il y a beaucoup de tensions et de frustrations entre les experts et les gouvernements, sur les solutions mais aussi sur la réalité du changement climatique, que certains Etats remettent en question – comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou les Etats-Unis à certaines époques. La machine à consensus du GIEC masque ces désaccords et conflits.

Jusqu’à quel point les Etats peuvent-ils intervenir sur les rapports ?

Il y a une ingérence de certains pays, comme l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde, notamment sur certains points extrêmement controversés et étroitement liés aux négociations climatiques.

C’est la limite de cette coproduction qui intervient dans un contexte onusien. Lors de l’approbation des résumés à l’intention des décideurs, les scientifiques ont le dernier mot sur les contenus tant qu’ils ne remettent pas en question les intérêts des grandes puissances. Dans le cas contraire, ces pays vont chercher à affaiblir les phrases, à les rendre vagues ou extrêmement techniques.

Les auteurs, qui doivent trouver un compromis, font l’objet de pression pour qu’ils prennent en compte les demandes des gouvernements. S’ils n’y parviennent pas, les messages controversés sont supprimés, ce qui arrive régulièrement. Le détail des responsabilités historiques de chaque région dans le réchauffement, et leur statut de développement, a par exemple été écarté en 2022. Certaines délégations refusent l’emploi de certains termes qu’elles considèrent comme trop prescriptifs.

Toutefois, l’intervention des gouvernements n’est pas toujours négative. Parfois, ils clarifient de manière importante les conclusions des rapports. Des délégations du Sud, comme les petits insulaires, plaident aussi pour que leurs perspectives ou leurs vulnérabilités soient représentées dans les rapports.

Vous considérez qu’il y a une tendance à la dépolitisation des messages du GIEC…

On se retrouve souvent avec des conclusions très globales, alors qu’il y a d’énormes asymétries entre pays et acteurs en termes d’impacts et de responsabilités.

Le GIEC donne des outils pour accélérer la transition mais pas pour comprendre ce qui la freine, les rapports de force, les raisons de la poursuite des émissions. Les auteurs ne peuvent pas donner les noms d’Etats ou remettre en cause leurs actions. Le résumé peine à évoquer une sortie claire des énergies fossiles [charbon, pétrole et gaz, principales causes du réchauffement]. Il ajoute souvent le terme de « unabated », ce qui signifie sans dispositifs de captage ou de stockage de carbone (CCS). Cela permettrait de poursuivre l’usage des énergies fossiles avec le CCS. Le résultat des rapports est une vérité qui ne dérange pas, qui ne remet pas en cause les grands rapports de force politiques et économiques.

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