Avec la crise du « People’s Budget », la Chambre des lords a perdu tout pouvoir législatif véritable, rendant la trajectoire politique et institutionnelle du Royaume-Uni proche de celle de la France, rappelle l’économiste dans sa chronique.
Avec la disparition d’Elizabeth II, il est tentant d’évoquer l’immuabilité des institutions britanniques, à l’opposé de la France et de ses multiples révolutions et Constitutions. Les choses sont, en réalité, plus complexes, et les deux pays sont plus proches que ce qu’ils s’imaginent parfois, y compris dans leurs trajectoires politiques et institutionnelles.
Le Royaume-Uni a connu son lot de révolutions et de bouleversements constitutionnels, avec notamment la chute de la Chambre des lords, sans réel pouvoir depuis la crise du People’s Budget en 1909-1911. Privée de ses Lords, qui constituaient jusqu’alors l’ossature de ses gouvernements et des pouvoirs exécutif et législatif (la plupart des premiers ministres en étaient issus), la monarchie britannique n’est plus, depuis cette date, qu’une monarchie cosmétique, entièrement gouvernée par la Chambre des communes, du moins jusqu’au choc référendaire du Brexit, en 2016.
Commençons par le commencement. Le pays fait sa « Révolution française » une première fois en 1530, quand Henri VIII exproprie les monastères. De la même façon qu’en France après 1789, mais avec plus de deux siècles d’avance, les terres de l’Eglise sont vendues aux nobles et aux bourgeois qui ont les moyens de les acheter. Cela permet, dans les deux cas, de renflouer l’Etat, tout en contribuant au développement d’une nouvelle classe de propriétaires privés, puissante et unifiée, prête à se lancer sans entrave dans le capitalisme agraire puis industriel.
Après la décapitation de Charles Ier, en 1649, puis un bref épisode républicain, la Couronne n’a d’autre choix, lors de la « Glorious Revolution » de 1688, que de se soumettre au pouvoir du Parlement, nettement dominé par la Chambre des lords. Au XIXe siècle, la mobilisation sociale et ouvrière et la montée en puissance du suffrage universel renforcent la légitimité de la Chambre des communes. Le conflit entre les deux Chambres devient inévitable et va se jouer en deux étapes.
Cocktail détonant
Dans les années 1880, Lord Salisbury, leader des tories et de la Chambre des lords, avança imprudemment la théorie du « référendum » : sur le plan moral et politique, les Lords auraient, selon lui, non seulement le droit mais aussi le devoir, s’ils le jugent bon pour le pays, de s’opposer à une législation adoptée par les Communes, sauf dans les cas où cette législation aurait été clairement exposée au pays avant les élections.
C’est ainsi que les Lords mirent leur veto, en 1894, aux projets de Gladstone (leader des libéraux) de nouvelle législation sur l’Irlande, une réforme modérément populaire et qui n’avait pas été explicitement annoncée aux électeurs. C’est ce qui permit aux conservateurs de remporter les élections de 1895 et de revenir au pouvoir. Mais l’imprudence de Salisbury apparut rapidement.
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