Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait surpris son monde en promettant le recul progressif de l'âge légal de départ de 62 à 65 ans, à raison de quatre mois par an au cours de son mandat. Soit 64 ans au bout de cinq ans puis 65 ans à partir de 2031. De quoi permettre d'économiser, selon le programme de campagne, jusqu'à 9 milliards d'euros pour le système de retraite.
Une mesure qui passe mal
Mais cette mesure passe très mal auprès de l'opinion. Elle a immédiatement été considérée comme brutale et injuste par les syndicats de salariés, notamment parce qu'elle obligerait les personnes qui n'ont pas fait de longues études de ne pas partir plus tôt à la retraite après avoir travaillé suffisamment d'annuités.
Face à cette levée de boucliers, la piste de l'accélération de l'augmentation de la durée de cotisation prévue par la loi Touraine de 2014 est revenue sur la table. « À ce stade, ce n'est plus l'âge qui tient la corde, mais la durée de cotisation », nous confiait début septembre un responsable de la majorité à l'Assemblée nationale. Sauf que ce scénario ne permettrait pas de générer autant d'économies budgétaires, alors que le chef de l'État a multiplié les promesses en la matière, notamment pour investir dans l'éducation et dans le système de santé.
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Une solution qui pourrait bien s'imposer passerait donc par l'activation de ces deux leviers en même temps. C'est ce qu'a suggéré le chef de l'État devant les journalistes de l'Association de la presse présidentielle, le 12 septembre.
Hasard ou non, c'est aussi la solution proposée par un économiste influent, spécialiste du système de retraite. Au début de l'été, le directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), indépendant, Antoine Bozio, celui-là même qui avait inspiré le régime universel par points d'Emmanuel Macron, a rencontré plusieurs conseillers techniques chargés de plancher sur le sujet au gouvernement, à la direction générale du Trésor, au ministère du Travail, ou même à Matignon et à l'Élysée. Une série de rencontres lancée par Philippe Martin, ancien conseiller économique d'Emmanuel Macron pendant sa campagne de 2017 alors président du Conseil d'analyse économique (CAE), un organe chargé de conseiller le gouvernement.
Même en considérant uniquement l’objectif économique et de finances publiques sans considération pour la justice sociale, il y a intérêt à demander un petit effort à tout le monde pour prolonger sa carrière plutôt qu’un gros effort à une partie de la population.
Antoine Bozio leur explique qu'augmenter l'âge d'ouverture des droits à la retraite pour décaler l'âge moyen de départ à la retraite de toute la population ferait peser le fardeau sur les individus qui ont les qualifications les moins élevées et les moins bons salaires. Autrement dit, ceux qui auraient dû partir plus tôt à la retraite avec les règles actuelles parce qu'ils auraient atteint une durée de cotisation suffisante. L'écart pourrait atteindre jusqu'à trois ans, entre l'âge d'ouverture des droits actuels de 62 et 65 ans.
La crainte d'une réforme injuste
Au contraire, ceux dont les compétences manquent souvent aux entreprises sur le marché du travail, qui ont des qualifications spécifiques, seraient épargnés parce qu'ils ont en général fait de plus longues études et n'ont donc pas cotisé suffisamment longtemps pour partir à 62 ans, même dans les règles actuelles. En d'autres termes, la réforme envisagée serait injuste. Les conseillers de l'exécutif en ont bien conscience, mais répondent vouloir obtenir un effet rapide sur la prolongation de l'activité afin, notamment, d'augmenter le taux d'emploi des séniors et de soulager les finances publiques rapidement. Pour eux, se contenter d'accélérer la hausse de la durée de cotisation aurait moins d'effet sur l'emploi.
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L'économiste écouté par Macron souligne pourtant que l'effet attendu d'un relèvement de l'âge légal risque d'être effacé parce qu'une partie de la population n'est déjà plus en emploi au moment de liquider ses droits à la retraite. Les personnes concernées risquent donc de se retrouver plus longtemps au chômage, voire au RSA, en invalidité ou en inaptitude, ce qui générerait des dépenses publiques supplémentaires. Il fait aussi valoir que ce sont ceux qui ne seront pas touchés par le relèvement de l'âge qu'il faut faire travailler plus longtemps en priorité afin d'obtenir un effet significatif sur les comptes publics, car leurs employeurs cotisent beaucoup, sans trop de réduction de charges sociales (contrairement à ce qu'ils paient sur les bas salaires). Avec une durée de cotisation relevée, ces personnes paieraient elles-mêmes plus longtemps une TVA et un impôt sur le revenu plus élevés qu'à la retraite.
Allier justice sociale et effets sur l'économie
Antoine Bozio leur propose alors une voie moyenne, permettant d'allier une meilleure justice sociale tout en conservant les effets économiques et sur les finances publiques attendus de la réforme. Une solution plus susceptible de convaincre la CFDT, le syndicat le plus ouvert à une réforme des retraites. « Si vous voulez plus d'effet emploi, leur explique-t-il, il faut toucher plus largement l'ensemble de la population en lui demandant de travailler un peu plus longtemps. » Comment faire ? En couplant un relèvement plus rapide de la durée de cotisation que ce que prévoit déjà la loi Touraine, avec un relèvement de l'âge légal de départ en retraite mais plus limité que le passage de 62 à 64 ou 65 ans. 63 ans, par exemple.
« Même en considérant uniquement l'objectif économique et de finances publiques sans considération pour la justice sociale, il y a intérêt à demander un petit effort à tout le monde pour prolonger sa carrière plutôt qu'un gros effort à une partie de la population », résume Antoine Bozio au Point. Les Français touchés par un paramètre ou un autre ne seraient pas les mêmes.
Sa solution aurait aussi l'avantage de nécessiter moins de mesures compensatoires très difficiles à calibrer et nécessitant une longue concertation, comme une meilleure prise en compte des carrières longues ou de la pénibilité. Reste à savoir comment calibrer un éventuel équilibre entre durée de cotisation et âge légal. Même la direction du Trésor de Bercy ne produit pas sa propre expertise en matière de simulation. Elle dépend du modèle de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, qui nécessite l'expertise de 11 personnes à temps plein pour évaluer les effets respectifs de ces deux leviers. Antoine Bozio et l'Institut des politiques publiques ne sont donc malheureusement pas en mesure de proposer une réforme clé en main.
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