La gauche a, non sans raison, dénoncé ces inavouables collusions. Mais elle a fait silence sur les secondes. Dans les circonscriptions, en effet, où les candidatures macronistes étaient opposées au second tour à des candidatures lepénistes, les électeurs mélenchonistes du premier tour ont voté sans complexe et presque aussi massivement en faveur de l'extrême droite. À Péronne, les lepénistes opposés aux macronistes passent de 34 % à 61 % ; dans la 6e circonscription de Compiègne, de 28 % à 52 % ; à Beauvais 2, de 35 % à 56 % ; à Laon, de 33 % à 54 % ; à Troyes 3, de 29 % à 51 % ; à Romorantin, de 24 % à 51 %.
Résultat : 89 sièges pour le Rassemblement national.
Le « tout sauf Macron ! » presque rééquilibré par un « tout sauf Mélenchon ! »
Or ce phénomène inouï, qui était prévisible – on avait manifesté ensemble, on avait vociféré ensemble, on avait fustigé le « pacte sanitaire » ensemble, on avait poutinisé ensemble, on avait diabolisé l'Europe ensemble –, mais dont on se refusait – moi le premier – à intégrer toute l'ampleur, a été, celui-là – et pour l'instant –, occulté par les médias de gauche. Pourquoi ? Réticence à prendre acte de cette formidable hypocrisie : l'ex-« front républicain » laissant place à l'efficacité de ce que, dans un autre temps, la gauche aurait qualifié de « front antirépublicain ».
Étrange et préoccupante autocensure. D'autant que le vote d'électeurs lepénistes en faveur de candidats Insoumis (30 % environ) a également fonctionné, mais, dans ce cas de figure, le « tout sauf Macron ! » a été presque rééquilibré par un « tout sauf Mélenchon ! ». Naguère la gauche prêtait à la droite le mot d'ordre informulé : « Plutôt Hitler que le Front populaire ! » Aujourd'hui, d'un côté c'est « plutôt Le Pen que Mélenchon » et, de l'autre, « plutôt Le Pen que Macron ». Mélenchon et Macron auraient dû s'interroger plus tôt sur les raisons de la puissance d'un tel double rejet.
À cette manière d'auto-aveuglement s'en ajoute un autre. Pendant une semaine, il n'a été médiatiquement question que de la très forte dynamique du bloc mélenchoniste. On laissait présager un déferlement. À l'arrivée, cette « union de la gauche » version « Insoumise » a obtenu le moins bon résultat de tous ceux affichés par d'autres unions de la gauche depuis l'instauration de la démocratie. Même quand elles perdirent les élections.
En 1967 : 199 sièges. En 1973 : 177 sièges. En 1978 : 200. En 1986 : 247. En 2002 : 178. En 2007 : 227 et, en 2012, elle a gagné avec 331 sièges.
Mélenchon avait mis la barre très haut : il entendait obtenir une majorité pour devenir Premier ministre. S'il avait échoué à 40 ou 50 sièges près, c'eut été malgré tout un succès. Mais échoué de 158 sièges ? Encore un succès ? 31 % pour les gauches à l'élection présidentielle, 26 % pour le bloc Mélenchon aux législatives : toujours un succès ? Croit-on que la gauche redeviendra une force alternative – ce qui est souhaitable – en se racontant des blagues à répétition ? Pourquoi, par exemple, a-t-on à ce point sous-estimé les scores souvent surprenants obtenus par des candidats de gauche qui avaient refusé d'être mélenchonisés ? (À Jurançon, un PS dissident a obtenu 66 % contre 33 % à la Nupes et à Condom, un autre 63 % contre 37 % à LREM – Ensemble !).
La droite, incontournable
Et la droite ? À l'entendre, elle a gagné. Elle exulte. Elle débouche les bouteilles de champagne. Avec une perte de 52 sièges, on serait tenté de rigoler, de se fiche de sa figure. Cependant, elle n'a pas tout à fait tort. Et on atteint là les sommets inconcevables d'un paradoxe qui en dit long sur le séisme qui a totalement transformé notre paysage politique : un centre qui, en dix ans, passe de 20 députés à 245, c'est une cruelle déconvenue. Et c'est vrai. Une droite qui, en dix ans, se réduit de 200 à 60 élus et devient non plus le deuxième, mais le troisième parti d'opposition, c'est une divine surprise. Et c'est également vrai.
Car oui, ce résultat est finalement inespéré. Cette droite apparemment exsangue est devenue incontournable. La seule coalition majoritaire possible sur le papier est celle qui, désormais, passe par elle. Ce qui déboucherait, si cela prenait corps, sur ce paradoxe supplémentaire : les deux courants idéologiques qui ont le plus fortement progressé en nombre de sièges, RN et Insoumis, sont tous les deux populistes et radicalement antilibéraux, ce qui aurait pour extravagante conséquence – tenez-vous bien ! – que la seule majorité théorique envisageable serait celle qui (merci Mélenchon !), impliquant un tournant à droite, déboucherait, en matière économique et sociale, sur une politique encore plus franchement libérale.
Au fond, s'il fallait mettre en scène notre nouvelle configuration politique au lendemain du scrutin législatif, on esquisserait une pièce de théâtre à la fois kafkaïenne et ubuesque : il n'y a plus de majorité sortante (Macron en stratège nullissime a tout fait pour en arriver là), mais il n'y a pas non plus de majorité entrante. Donc, il n'y a plus de majorité du tout. Ni existante ni virtuelle puisqu'aucune coalition, potentiellement majoritaire, n'est pour l'instant (pour l'instant, car on finira par en trouver) envisageable. Il n'existe pas de majorité pour dire « oui », a priori, à quoi que ce soit. Mais il en existe une, potentielle, la radicalisation négativiste de l'aile la moins modérée de la droite aidant, pour dire « non » à tout. Le scrutin majoritaire était le seul qui devait assurer des majorités parlementaires stables. On a vu !
Quant à nos institutions baroques, elles viennent de révéler d'un coup, et brutalement, leur perversité. Il n'y a plus de majorité évidente. Mais il n'y a plus de président évident non plus.
Il manquait une bizarrerie à notre tableau. En voici une dernière : finalement, grâce à l'ouverture du bloc central à des divers droite, divers gauche, divers centre ou à quelques francs-tireurs moins radicalisés de LR, une fragile majorité alternative finira par se dégager. Mais, pour la verrouiller, il conviendra sans doute d'y intégrer les 10 autonomistes et indépendantistes. Si bien que l'une des conséquences de la perte de la majorité par le bloc macroniste pourrait bien être l'accélération de l'autonomisation de la Corse et du passage (de toute façon inéluctable) des départements d'outre-mer à l'indépendance.
En effet, je pense que Macron a péché par calcul désuet de l'attitude des français d'il y a 20 ans avec toujours un front républicain anti extrême.
RépondreSupprimerMais le problème est que son attitude a lui-même a radicalisé le peuple au point que celui-ci a voté anti Macron sans réfléchir aux conséquences.
Ceux qui ont voté RN, c'est en pensant aux idées hyper racistes de Zemmour, et ceux qui ont voté NUPES c'est en croyant que le gouvernement pouvait les rendre moins pauvres et futurs retraités à 60 ans avec les montants de retraites réévalués et à taux plein.
Visiblement, une majorité de français croit encore au père Noel .
Le ministre de l'éducation devrait imposer des cours d'économie au collège et au lycée en plus des cours de math. Quand on voit le résultat de ces élections, il est évident qu'il y a un gros manque.
Par contre, après les présidentielles, beaucoup critiquaient le président le plus mal élus de la Vème,
Les députés NUPES et RN sont-ils encore plus mal élus que le président ? avec cette abstention record. Méritent-ils leurs postes ?, ont-ils une légitimité ?
On ne les entends plus sur ce point !