Au moment où la gauche, celle qui fut démocratique et républicaine, se range sous l'implacable et intolérante férule d'une formation politique qui se situe très nettement à la gauche du Parti communiste (et dont certaines des composantes théoriques et pratiques sont le communautarisme ethnico-clérical, le culte du chef, la justification amourachée du caudillisme, le refus des verdicts du suffrage universel, l'agressivité anti-État, la normalisation des violences urbaines et la banalisation des plus outrancières violences verbales, l'acceptation, enfin, et l'instrumentalisation de la conjonction populisto-destructrice des extrêmes), au moment, donc, où, pour la première fois depuis 1921, une sensibilité néobolchevique mâtinée de pulsions anarchisantes kidnappe et met dans sa poche les courants écologiste et socio-démocrate, l'éditorialiste conservateur Yves Thréard s'interroge : « Qui, en France, portera la voix d'une opposition à Macron qui ne soit ni excessive ni déraisonnable ? »
Socialistes et écologistes viennent d'apporter leur réponse : « Ça ne sera pas nous. Ça ne sera plus nous. » Et à droite ? De ce côté-là, triomphe de la polyphonie.
La tentation du train En marche !
Il y en a qui sont prêts, fût-ce à reculons, à monter dans le train d'En marche !. Ceux-là, à force de se présenter sous l'intitulé « union de la droite et du centre », ne voient pas en quoi rejoindre un centre droit serait une trahison. C'est, à les entendre, comme si le wagon social-démocrate, au lieu de se livrer à des cheminots nostalgiques du trotskisme, s'accrochait à une locomotive de marque démocratique et sociale. Sauf que la candidate de la droite à l'élection présidentielle n'a cessé de décrire le macronisme comme un horrible monstre aux pieds fourchus doté d'un hideux corps de gauche et d'une simple oreille centriste.
Il y a ceux qui prétendent vouloir rester ce qu'ils sont, ce qui pose problème quand on n'est plus rien. D'ailleurs, le représentant de ce courant, le grand intellectuel Christian Jacob, en a tiré les conséquences : il plaide pour rester droit dans ses bottes, mais décide de ne pas se représenter, donc il enfile ses pantoufles.
La troisième tendance, en guenilles, est prête à réagir de la même façon que la gauche en charpie : enlacer l'extrême droite. Ici, des sociaux-démocrates s'abandonnent à des néo-bolcheviques et, là, des néo-gaullistes sont prêts à s'acoquiner avec des néo-pétainistes. Deux dilemmes parallèles : la gauche, pour se sauver, doit-elle courir de plus en plus à gauche jusqu'à l'extrême ? La droite, pour se maintenir en vie, doit-elle courir de plus en plus à droite, jusqu'à l'extrême ?Gare aux fuites
Le paradoxe, c'est que ces deux fuites en avant n'ont jamais marché. Et, cette fois encore, ne marcheront pas. Les deux électorats de gauche ne se mélencheront pas et les élus de droite payeront leur ciottise. Pourquoi la droite, qui se contentait de pédaler dans la semoule, a-t-elle fini par s'enfoncer dedans ? Un élève de cm2 qui ne lirait que des mangas n'aurait aucun mal à le comprendre.
Que s'est-il passé ? Quand Valérie Pécresse remporte la primaire de LR, son image de représentante d'une droite ouverte et humaniste la propulse à 20 % des intentions de vote et les premiers sondages la donnent gagnante au second tour. C'est alors qu'Éric Ciotti et son clan (les trotskistes de la droite) la prennent en main, la déconnectent, en quelque sorte, d'elle-même, la transforment en une autre. Tentent, enfin, de la zemmouriser. Résultat immédiat : elle faisait envie, elle termine en vrille. Moins de 5 %. L'effet Padirac.
Or déjà (c'est là que même les bras de la Vénus de Milo en tomberaient), à l'issue d'une dérive droitière du même tonneau, l'ultraconservateur François-Xavier Bellamy, candidat LR aux élections européennes, était passé des 20 % de François Fillon (un triomphe compte tenu des circonstances) à 8 %, le plus mauvais score de la droite depuis le prince de Polignac. Et au lieu d'en tirer les conséquences, on avait recommencé tout pareil, avec un résultat encore pire.François-Xavier Bellamy, le Benoît Hamon de LR
Et pourtant, que propose aujourd'hui, sans avoir esquissé la moindre autocritique, plus donneur de leçons encore que s'il avait connu un triomphe, le même Bellamy, le Benoît Hamon de LR, sorte d'archétype de l'aveuglement politique ? Que propose-t-il : de réitérer la même stratégie que celle qui s'est avérée régulièrement perdante.
Surtout (et cela mérite, qu'enfin, au-delà des slogans, on aborde cette question essentielle), il conclut une interview, farcie de lieux communs, proposée au Figaro, par cette exhorte, que beaucoup à droite déclinent mécaniquement depuis quatre ans et qui résume à elle seule l'impasse dans laquelle s'est engouffré le camp conservateur libéral : « il faut en finir avec le “en même temps” et lui substituer le “ou bien, ou bien” ». Or conçoit-on ce que ce lieu commun répétitif signifie en réalité ? Emmanuel Macron est affligé d'un tic verbal : l'utilisation automatisée de la formule « en même temps ».
Un « en même temps » qu'il a d'ailleurs répudié puisqu'il a effacé l'impôt sur la fortune ou bloqué à 30 % l'imposition des plus-values du capital sans supprimer « en même temps » les retraites chapeaux, les parachutes dorés ou les stock-options. On n'en a pas moins jugé malin, et pas seulement à droite, de sauter sur l'occasion sans s'aviser du piège qu'on se tendait à soi-même en serinant à tout bout de champ : « il faut en finir avec le “en même temps” ».Car cela signifie quoi ? Cela : j'estime qu'il faut en matière économique créer les conditions de la croissance et en même temps favoriser le progrès social. Produire de la richesse et, en même temps, mieux la partager. Eh bien, j'ai tort : ou bien on assume la croissance, ou bien on favorise le progrès social. L'un ou l'autre. Ou bien mieux distribuer la richesse ou bien la produire. L'un ou l'autre. Il faut choisir.
Assurer la sécurité des citoyens et, en même temps, préserver leurs libertés ? Illusion ! C'est, ou bien la sécurité assurée ou bien les libertés préservées. Pas de milieu ! Agir pour préserver la paix et, en même temps, renforcer notre défense ? Impossible ! Ou bien on préserve la paix en sacrifiant notre défense, ou bien on renforce notre défense en sacrifiant la paix.
Favoriser l'expansion économique et, en même temps, réduire les déficits publics ? Impossible ! C'est ou bien ou bien. Ou bien l'expansion et le creusement des déficits, ou bien la récession. Avoir été pendant la guerre, en même temps, antifasciste et antistalinien, rayez cela de vos papiers : ou bien fasciste ou bien stalinien ! Du coup, on ne peut être en même temps anti-Macron et anti-Zemmour. Ou bien, ou bien. Donc, Ciotti était prêt à choisir Zemmour contre Macron. Dixit donc, parmi beaucoup d'autres, le dénommé Bellamy, lequel – tenez-vous bien – est philosophe.
Ceux qui ressassent l'idiotie binaire répétitivement assénée de la répudiation du « en même temps » (ils sont aussi nombreux à l'extrême gauche qu'à droite, mais à l'envers) ont-ils réfléchi, ne serait-ce qu'une seconde, à ce qu'implique ce mantra ? Ce n'est pas sûr. Il est vrai qu'on n'est pas nécessairement ou bien méchant ou bien con. Il en est qui sont cons et méchants. En même temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.
J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.