26/05/2022

Faut-il réguler les naissances pour sauver la planète comme le suggère Jean-Marc Jancovici ?

Interrogé par les journalistes de France info, Jean-Marc Jancovici a défendu l’idée d’une régulation des naissances. Un sujet encore tabou.

“Ou bien on régule nous-mêmes (ndlr : la population), ou bien ça se fera par des pandémies, des famines ou des conflits”. Invité de la matinale de France info lundi 23 mai, l’écologiste et président du Shift Project, Jean-Marc Jancovici, s’est prononcé en faveur d’une régulation des naissances pour alléger le poids démographique qui pèsera bientôt sur la planète. La proposition n’est pas nouvelle, mais est-elle réalisable concrètement ? Et qui en paiera le prix ?

D’ici 2050, on estime à près de 10 milliards le nombre d’êtres humains qui peupleront la Terre… Mais face au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources, comment les accueillir dans des conditions décentes ? “La nature, la planète, n’acceptera pas d’avoir 10 milliards d’habitants sur Terre ad vitam æternam vivant comme aujourd’hui”, a poursuivi le président du groupe de réflexion écologiste. Face à cette brutale réalité climatique, Jean-Marc Jancovici propose donc une solution : réguler les naissances.

Selon lui, la France a déjà commencé à le faire en troquant sa position nataliste d’autrefois pour une politique moins incitative, du côté fiscal notamment. Le régime de l’impôt sur le revenu favorise ainsi moins qu’avant les foyers avec plusieurs enfants. Et dans les faits, côté natalité, avec 1,87 enfant par femme, le pays fait partie de la moyenne basse au niveau mondial.

Mais des efforts restent à faire et concernent l’ensemble des pays du globe, France comprise, insiste le spécialiste. Si ces propos peuvent dérouter, voire choquer, ils ne sont en réalité que le reflet d’un débat de longue date.

Un concept prôné depuis l’Antiquité

Dans l’Antiquité déjà, les philosophes Aristote et Platon faisaient la promotion du contrôle des naissances dans le but d’endiguer la pauvreté. Il y a 200 ans, c’est l’économiste britannique Thomas Malthus qui théorisait la régulation des naissances comme outil de préservation des ressources. Aujourd’hui, ce sont les scientifiques et les écologistes qui prennent le relais, rappelant les estimations vertigineuses de hausse démographique : plus 2 milliards d’ici à 2050, (passant de 7,7 à 9,7 milliards), puis, 11 milliards à la fin du siècle.

En 2018, une vingtaine de scientifiques signaient une tribune dans Le Monde intitulée Climat : « Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue ». Le collectif y détaillait alors les liens inextricables entre démographie et environnement, décrivant les conséquences de cette croissance à “moyen et à long terme” : 

Les effets combinés de la croissance à venir de la population et de l’augmentation inéluctable de la consommation par habitant (à la fois dans les pays développés et encore plus dans les pays en voie de développement) conduisent à une véritable catastrophe pour notre planète : destruction de la biodiversité, ressources en eau menacées, montée des eaux par fonte des glaciers, raréfaction des ressources halieutiques, épuisement et salinisation des terres cultivées, réchauffement de plus de 5 °C en 2100 en France avec des pointes à plus de 50 °C, déplacements massifs de populations. Tribune publiée dans Le Monde

Pour éviter la catastrophe, les scientifiques décrivaient deux objectifs complémentaires à poursuivre : “il faudra, donc, et avant tout dans les pays développés, réduire fortement nos émissions de gaz à effet de serre : c’est la transition énergétique. Mais on ne pourra pas faire l’impasse sur une réduction importante de l’accroissement de la population mondiale : c’est la transition démographique, non achevée dans bien des régions du monde.”

Une régulation qui fait débat

La même année, un tweet de l’AFP provoquait une levée de boucliers de la part des internautes. Sur le réseau social, l’agence de presse avait publié une infographie tirée d’une étude américaine comparant l’impact de onze gestes écolos pour réduire son empreinte carbone. Sans surprise, l’action la plus efficace était “d’avoir un enfant en moins”.

Pourquoi un tel tabou autour de la régulation des naissances ? En 2009, le démographe Henri Leridon, détaillait au Monde les difficultés à mettre cette méthode en œuvre : “c’est une illusion de croire que l’on peut agir sur cette variable de manière simple et directe. C’est un processus lent, qui passe par l’éducation et se heurte à des obstacles politiques et culturels, plus encore que religieux. Il ne suffit pas de mettre des cartons de contraceptifs à disposition des gens.”

Si les réactions face à la perspective d’une régulation des naissances sont si vives, c’est aussi que le sujet, au-delà de toucher à l’intime, cache une certaine hypocrisie selon ses détracteurs. Pour Paul Ariès, politologue et rédacteur en chef de la revue Les Zindigné.e.s interrogé par Libération : “les premiers ventres que l’on veut tarir sont toujours ceux des femmes pauvres et de couleur”.

Or, rappelle le magazine Terra Éco : “là où l’empreinte carbone d’un Américain du Nord est de 20 tonnes de CO2 par an, celle d’un Ethiopien dépasse à peine les 100 kilos, 200 fois moins… L’Américain devrait ainsi soit réduire très fortement sa consommation soit réduire très fortement sa natalité, ou du moins la compenser a minima”. 

Photo de bibiphoto via Shutterstock

Vers une politique de l’enfant unique ?

Dans son interview, Jean-Marc Jancovici n’a pas abordé les modalités de mise en place d’une telle régulation des naissances. Il y a cependant peu de chance qu’une politique de l’enfant unique comme celle adoptée par la Chine entre 1979 et 2015 soit mise en place. À la place, les spécialistes proposent des solutions plus incitatives basées sur la fiscalité et l’instruction.

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En 2009, l’écologiste Yves Cochet, alors député, proposait de réduire les allocations familiales à partir du troisième enfant afin de faire baisser la natalité. Pour le démographe Jacques Véron, il faut réduire l’écart entre les pays riches et les pays en développement où l’accès à la contraception est encore trop peu banalisé.

“C’est par l’instruction et des actions en faveur de la santé maternelle et infantile qu’il est possible d’améliorer la capacité des populations les plus pauvres à effectuer de véritables choix en termes de constitution des familles”, affirmait-il dans une tribune publiée dans Le Monde.  

Mais l’enjeu est encore plus global rappelle-t-il : “le prix Nobel d’économie Amartya Sen considérait que le problème de population était avant tout un problème de développement. Ne sous-estimons pas le défi démographique, mais la régulation de la population mondiale ne peut passer que par un développement partagé par tous.”


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