ENTRETIEN. Le constitutionnaliste estime que l’on pourrait se retrouver dans une configuration assez similaire à celle de la dernière cohabitation, en 1997.
Emmanuel Macron a réalisé l'authentique exploit d'être réélu président de la République, à seulement 44 ans. Il lui faut désormais affronter la bataille des législatives. Le mandat des actuels Marcheurs, dont l'amateurisme avait été érigé en vertu, sera-t-il renouvelé ? Seront-ils au contraire remerciés ? Combien de députés Les Républicains (LR) le futur Premier ministre peut-il espérer raccrocher à la macronie ? Jean-Luc Mélenchon, éliminé au premier tour de l'élection présidentielle, peut-il obtenir sa revanche en imposant une cohabitation au président fraîchement élu ?
Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'université de Lille, ne prétend pas bien sûr avoir la réponse à toutes ces questions. Il note cependant qu'il est « assez probable » que le président reconduit n'obtienne pas de majorité absolue. Nous nous retrouverions alors avec une Assemblée nationale éclatée, constituée par une opposition en ordre dispersé, incapable de s'entendre sur les principaux chantiers du prochain quinquennat, et une majorité aux contours imprécis. Une telle configuration, assez similaire à celle du gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997, est de nature à entraver l'exercice du pouvoir, souligne Jean-Philippe Derosier.
Le Point : Emmanuel Macron disait avoir été élu « par effraction » en 2017 ; il a été réélu, semble-t-il, par résignation en 2022. Le premier président de la République réélu hors période de cohabitation risque-t-il de devoir gouverner sans majorité absolue ?
Jean-Philippe Derosier : C'est en effet assez probable, mais il n'y aura pas pour autant, de mon point de vue, de cohabitation, car cela impliquerait qu'il y ait une majorité hostile au président de la République à l'Assemblée nationale. J'exclus une majorité de droite, puisque la droite ne sera pas forcément hostile au chef de l'État. Une majorité d'extrême droite paraît impossible, même selon les projections les plus optimistes, et une majorité de gauche me semble hautement improbable, quoi qu'en dise Jean-Luc Mélenchon.
Pour quelles raisons ?
Depuis quarante ans, les élections législatives qui ont eu lieu dans le prolongement de l'élection présidentielle ont toujours confirmé le pouvoir du président de la République, en lui confiant une majorité pour gouverner. Jean-Luc Mélenchon semble oublier que, au premier tour de l'élection présidentielle, les forces de gauche, de Philippe Poutou à Anne Hidalgo, n'ont collectivement récolté que 32 % des suffrages. Or, ces 32 % pèsent évidemment nettement moins que les 40 % des candidats de droite et les 28 % d'Emmanuel Macron. Si Mélenchon voulait remporter les législatives, il lui faudrait donc grappiller des électeurs de Macron, ce qui me paraît, en regard de sa ligne politique, impossible. Jean-Luc Mélenchon ne serait par ailleurs pas en mesure de former une coalition, parce que le point d'équilibre n'est jamais une figure radicale ; les coalitions se sont toujours formées autour de figures centrales.
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Ne risque-t-on pas toutefois de se retrouver avec une Assemblée nationale éclatée, avec une opposition en ordre dispersé et aucune majorité absolue ?C'est en effet à craindre. Ce troisième tour risque de déboucher sur la formation de trois ou quatre camps entre lesquels l'entente sera difficile. Il est en tout cas assez probable que le parti d'Emmanuel Macron, La République en marche, n'obtienne pas de majorité. Cela tient naturellement au fait que le président réélu ne bénéficie pas du même engouement qu'il y a cinq ans. Il incarnait alors le renouveau, cette dimension jupitérienne contre la position du président François Hollande et il emportait, avec sa volonté de dépasser le clivage droite-gauche, un souffle nouveau. Élu par résignation ou plutôt, dirais-je, par défaut, il n'aura probablement pas de majorité absolue.
LREM aura, en revanche, à n'en pas douter, quelques alliés, et cette constellation créera une majorité, qui sera plurielle. J'utilise à dessein ce terme, car on pourrait se retrouver dans une configuration assez similaire à celle de la dernière cohabitation, en 1997. Sous la houlette de Lionel Jospin, les socialistes, les radicaux de gauche, les Verts et le Parti communiste avaient alors formé la gauche plurielle. On pourrait se retrouver, en 2022, avec une majorité plurielle. À une gauche plurielle pourrait succéder une droite ou un centre droit pluriel. Emmanuel Macron sera cependant confronté à des difficultés supplémentaires.
Lesquelles ?
La gauche plurielle était composée de trois groupes, réunissant cinq à six partis politiques différents. Aujourd'hui, la création d'un groupe parlementaire est plus aisée qu'auparavant puisqu'il ne faut qu'un minimum de 15 députés pour en constituer un, contre 30 jusqu'en 1988 et 20 en 1997 (et jusqu'en 2009). Un tel changement permet d'institutionnaliser davantage la pluralité, en multipliant les groupes parlementaires. Emmanuel Macron ne pouvant réaliser, selon la Constitution, que deux mandats, il sera surtout très vite confronté aux prétentions à sa succession. La pluralité cohérente va probablement se terminer par une singularisation incohérente. Autrement dit, plusieurs Marcheurs vont prendre leur bâton de pèlerin pour essayer de s'installer dans le fauteuil du président.
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Est-ce de nature à compliquer l'exercice du pouvoir ?Inévitablement. Tout dépendra du nombre de députés dans le groupe majoritaire. La majorité absolue est fixée à 289 sièges, mais ils n'auront pas le même poids s'ils sont 288 ou 200. Le groupe de La République en marche a perdu la majorité absolue en mai 2020, mais il a conservé 276 députés, et la soudure entre LREM et les formations alliées était solide. Le point d'équilibre sera plus difficile à trouver s'il faut compter avec deux, trois ou quatre groupes. Ceux qui viendront d'Horizons, du MoDem ou d'Agir ne voudront aucunement se dissoudre dans un hypothétique parti unique.
Une telle configuration ne risque-t-elle pas de nuire à la stabilité de nos institutions, qui a été la marque de la Ve République ?
Cela pourrait être le cas dans la seconde partie du quinquennat. Si, par exemple, Édouard Philippe, Olivier Dussopt ou Christophe Castaner, ou d'autres encore, veulent prendre la succession d'Emmanuel Macron, ils ne pourraient plus gouverner ensemble. Mais la Ve République dispose de mécanismes permettant de mettre de l'ordre. Si la majorité est indisciplinée, le président peut toujours dissoudre l'Assemblée et le 49.3, même s'il a perdu de son efficacité, peut encore être convoqué. D'où la nécessité de faire passer les textes les plus clivants dans les trois premières années du quinquennat.
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