Le Point : En janvier 2017, il y a pile cinq ans, vous annonciez votre ralliement à Macron pour la présidentielle. Cette fois, qui soutiendrez-vous ?
Alain Minc : Évoquons le premier tour, d’abord. L’intérêt de la France vis-à-vis du monde commande d’avoir un second tour Macron-Pécresse, et pas la présence d’un candidat populiste ou extrémiste dont les 40 à 45 % de suffrages seraient un épouvantable message. Il faut donc, à mes yeux, voter pour celui des deux qui a le moins de certitude d’être qualifié au second tour. Aujourd’hui, c’est Valérie Pécresse. Je voterai donc pour elle. Et si la situation s’inversait début avril, je voterais Macron pour la même raison.
Qui choisirez-vous s’ils se retrouvent face à face au second tour ?
Dans ce cas, si l’on met de côté la difficulté à choisir entre deux amitiés, je voterais Valérie Pécresse pour trois raisons. D’abord, si Emmanuel Macron est réélu, on vivra un retour inattendu d’un parlementarisme malsain comme on n’en a heureusement pas connu depuis 1958. Jamais il n’obtiendra 290 députés avec l’organisation gazeuse qu’est En marche ! Il sera obligé, a minima, de faire alliance avec un François Bayrou beaucoup moins docile et un Édouard Philippe qui ne pense déjà qu’à son avenir, ce qui serait une forme de cohabitation. Et, si cela ne suffit pas, il devra essayer de bâtir un accord avec la droite. Or, s’il y a un homme mal préparé à ce genre de « combinazione », c’est bien Emmanuel Macron.
Le pouvoir en France est une meule qui use.
Est-il ou non en bonne position pour être réélu ?
Ce n’est pas un hasard si les deux présidents qui se présentaient hors cohabitation – Giscard et Sarkozy – ont été battus et si les trois Premiers ministres de cohabitation – Chirac, Balladur et Jospin – l’ont été aussi. Le pouvoir en France est une meule qui use. Si Macron est réélu, si jeune et énergique soit-il, son capital politique sera très rapidement affaibli, d’autant qu’il ne sera pas rééligible.
Mais qu’est-ce qui le différencie de Pécresse ? Ils convoitent quasiment le même électorat !
Je crois qu’élire une femme à la magistrature suprême serait un progrès extrêmement puissant pour la société française. Cela ne s’est pas produit depuis Anne d’Autriche. Et encore, du fait de la loi salique, elle n’était que régente [à la mort de Louis XIII en 1643, le futur Louis XIV n’ayant que 4 ans, elle gouverna le pays avec Mazarin jusqu’en 1661, NDLR]. Pour le reste, ils ont en effet une partie d’électorat commun et appartiennent tous deux à ce que j’ai un jour appelé le « cercle de la raison », même s’ils ont des différences sur les questions régaliennes ou d’intégration. Mais si Pécresse se retrouve face à Macron, sa grande force sera de pouvoir dire : « Moi, je pourrai gouverner, j’aurai une majorité. »
En 2017, vous vantiez la capacité de Macron à réformer le pays et à rallier « les gens raisonnables des deux camps », sa force de disruption. Vous a-t-il déçu ?
Mon choix résulte de son quinquennat : je lui mets 17 sur 20 en « policy » (la grande politique), mais 3 sur 20 en « politics » (la tactique) ! Il a profondément transformé la France et l’a rendue « business friendly », il a été un promoteur inlassable de la construction européenne et a particulièrement bien géré la crise sanitaire à partir de janvier 2021, quand il a refusé le reconfinement que lui réclamait le conseil scientifique. Mais on n’est pas réélu sur la partie positive de son bilan, on l’est sur un projet. S’il arrive nu à la présidentielle, c’est parce qu’il n’a pas su fabriquer un parti et des alliances ! Il compte par ailleurs deux échecs à son bilan : les Gilets jaunes, car « Jupiter » a cédé aux technos en retirant trop tardivement la taxe carbone ; et il aurait dû appliquer sa réforme des retraites aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail – c’est la clause du grand-père – et refuser de se faire imposer par l’appareil technocratique cette folie de l’âge pivot à 64 ans, qui est devenu une muleta pour la CFDT. C’est une faute politique absolument majeure.
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Vous revenez au bercail à droite avec Pécresse, après avoir conseillé Sarkozy à partir de 2007 et choisi Juppé en 2017…Détrompez-vous, j’ai parfois eu des votes paradoxaux : Édouard Balladur au premier tour en 1995, et Lionel Jospin au second ! En 2017, mon candidat s’appelait Alain Juppé, car je pensais qu’Emmanuel Macron serait un formidable successeur en 2022. Je connais Valérie Pécresse depuis quinze ans. Je l’ai vue faire campagne, c’est quelqu’un d’extrêmement ferme. Je connais peu de gens, et surtout d’hommes, qui auraient été capables de transférer 2 000 fonctionnaires du conseil régional installés dans le douillet 7e arrondissement de Paris vers Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis ! Avec elle, la main ne tremblera pas. J’ajoute que les femmes sont, à mes yeux, beaucoup plus à même de travailler en équipe. Christine Lagarde a eu une phrase lumineuse lorsqu’elle a déclaré que « si Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters », la crise financière de 2008 ne se serait pas produite !
Est-ce que Macron s’est mal comporté avec Pécresse ?
Il s’est mal comporté avec tous les grands féodaux de la politique, en particulier en ne leur portant aucune attention au début de la crise du Covid.
Un chef de l’État peut-il insulter une partie des électeurs en promettant, comme il l’a fait, d’« emmerder » les non-vaccinés ?
J’aurais préféré qu’il suive l’exemple de mon ami Mario Draghi [président du Conseil italien, NDLR] et décrète dans le plus grand calme la vaccination obligatoire des plus de 50 ans.
Si elle était élue, Pécresse devrait-elle tendre la main à certains macronistes ?
Il est vrai qu’Emmanuel Macron a deux grands ministres politiques, sur lesquels il ne s’est sans doute pas assez appuyé : Jean-Yves Le Drian, qui est prisonnier, comme tout ministre des Affaires étrangères, de ses voyages ; et Bruno Le Maire, qui a formidablement bien géré le « quoi qu’il en coûte » et est un animal politique comme Macron n’en a guère dans son entourage. Si Pécresse est élue, j’espère bien qu’elle saura faire l’ouverture aux macronistes avec, en « tête de gondole », Bruno Le Maire.
Elle a du mal à se faire entendre avec la pandémie. Le sanitaire écrase tout !
Tous les candidats sont dans un faux plat avec l’épidémie. La vraie campagne démarrera plus tard, quand Macron sera officiellement candidat, et sera plus rude et plus intense. J’ajoute que le président n’est pas qualifié d’office pour le second tour, même si c’est le plus probable : il a près de 45 % d’opinions positives, mais autour de 25 % d’électeurs au premier tour, ce qui veut dire qu’un Français sur deux qui approuve sa gestion ne veut pas voter pour lui.
Était-ce une si bonne idée de s’emparer de la polémique sur le drapeau européen pavoisé sous l’Arc de Triomphe ?
À la place d’Emmanuel Macron, j’aurais conservé les deux drapeaux, en digne fidèle de Jacques Delors qui a toujours défendu l’idée d’une fédération européenne d’États-nations. Delors n’aurait jamais supprimé le drapeau tricolore dans un lieu aussi symbolique.
Les Républicains devraient-ils aider Éric Zemmour à obtenir ses 500 signatures pour, de façon cynique, accroître leurs chances de se qualifier ?
Je n’arrive pas à imaginer qu’un homme politique qui recueille 10 à 15 % des voix dans les sondages puisse ne pas être candidat. Ce serait un déni de démocratie insupportable, donc je suis convaincu que Zemmour, comme Mélenchon, aura ses parrainages.
Vous connaissez bien Sarkozy. On ne l’a pas entendu soutenir publiquement Pécresse à ce stade…
Je n’imagine pas que Nicolas Sarkozy, qui a fondé ce parti, qui en est la figure de référence, qui a fait grandir Pécresse, ne la soutienne pas au moment qu’il choisira. C’est une évidence.
Source Lepoint.fr par Nathalie Schuck, Thomas Bourgeois-Muller
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