Voilà comment l’ADN du macronisme économique a été démenti par la réalité par Alexandre Delaigue via Atlantico
Atlantico : La réforme de la fiscalité sur le capital, qui a été un des symboles du début du quinquennat d'Emmanuel Macron en 2017, n'a toujours pas fait preuve de son efficacité, selon un rapport de France Stratégie publié jeudi. Cette absence de résultats tangibles est-elle réellement une surprise ?
Alexandre Delaigue : Cette étude n'est pas très surprenante pour plusieurs raisons.
La première, c'est qu'un processus d'évaluation continu a été mis en place en même temps que les réformes étaient lancées. L'Institut des politiques publiques (IPP), un organisme public, a déjà rendu des rapport d'étape réguliers et détaillés qui indiquent le peu d'effets de cette réforme. Nous sommes en 2021 et les données pour l'année 2020, du fait du contexte bouleversé par la crise sanitaire, ne risquaient pas d'apporter une compréhension nouvelle à ce qu'on savait déjà. Il est normal de rester sur les mêmes conclusions : il n'était pas possible, vu les circonstances, d'avoir des résultats plus forts.
Cela dit, indépendamment de cet aspect conjoncturel, le fait que ces résultats ne soient pas surprenants vient aussi du fait que le manque d'effet de ce type de politique est déjà largement établi, car elle a été menée par ailleurs. Aux Etats-Unis, il y a eu une forte baisse de l'impôt sur les sociétés au début du mandat Trump, et il n'a pas été constaté de gros impacts sur l'investissement. Ce qui aurait été surprenant, en fait, ça aurait été de constater un effet majeur : cela serait vraiment allé à l'encontre de ce que l'on sait sur l'effet de ce type de réformes sur l'investissement et sur les pratiques des entreprises.
Ces conclusions remettent-elles en question l'efficacité de la théorie du « ruissellement », chère à Emmanuel Macron, selon laquelle réduire l'impôt payé par les contribuables les plus aisés les pousse à investir davantage dans l'économie ?
Il faut bien noter que ce que l'on appelle la « théorie du ruissellement » est une invention un peu bizarre. Si vous cherchez ce terme dans le monde académique, vous ne trouverez pas grand chose. Même chez Emmanuel Macron, il est difficile de trouver une référence exacte à cette idée. Il y a certes quelques métaphores, comme celle des "premiers de cordée" qu'il ne fallait pas pénaliser, mais il n'y a jamais eu d'annonce selon laquelle on allait rencontrer un effet direct de ruissellement, c'est-à-dire l'idée que réduire la fiscalité des plus riches, par un mécanisme un peu mystérieux, allait bénéficier aux autres.
Les réformes répondaient plutôt à deux idées, assez largement répandues, en particulier dans les milieux d'affaires en France, mais aussi dans l'élite administrative. Premièrement, l'idée que la fiscalité du capital en France est trop élevée de manière générale, et trop complexe. C'était un premier point qui légitimait les réformes fiscales qui ont été menées. La deuxième idée, c'était que l'impôt sur la fortune tel qu'il existait en France était très largement contourné par les plus grandes fortunes et donc, qu'il ne touchait que les fortunes moyennes. Et qu'en plus, que sa forme générait beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages. Mais attention, dans ces inconvénients, beaucoup ne sont pas des choses que l'on peut schématiser d'une manière mécanique, en disant par exemple : "cela réduit l'investissement". C'est un peu ce qu'on lit dans le rapport de l'Institut des politiques publiques.
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Par exemple, il y avait beaucoup de critiques sur l'impact de la fiscalité sur la gouvernance des entreprises. Etant donné que l'outil de travail était exonéré, cela conduisait dans une entreprise familiale, par exemple, à donner les postes importants à des membres de la famille plutôt que de recruter des managers compétents, ce qui n'est pas forcément une très bonne idée. Si on veut observer les effets de la réforme portée par Emmanuel Macron sur ce point précis, cela ne peut être que sur le très long terme.
Effectivement, si les effets que l'on attendait, c'était que les entreprises et les fortunes les plus importantes allaient plus investir, il y avait peu de chance que cela arrive. En revanche, concernant les effets sur la gouvernance d'entreprise, il est encore un peu tôt pour espérer les mesurer. De ce point de vue, le rapport de l'IPP est très honnête : pour l'instant, il n'y a eu aucun effet en termes de gouvernance d'entreprise, mais c'est parce qu'il est bien trop tôt pour observer un effet dans quelque sens que ce soit.
Il y a une certaine tendance de la presse à aller chercher l'entrefilet qui explique que la réforme n'a eu aucun effet sur l'investissement et à essayer de faire du sensationnalisme là-dessus, mais le rapport dit tout de même beaucoup d'autres choses. Il y a une certaine tendance qui consiste à vouloir donner des bons ou des mauvais points à une espèce de théorie du ruissellement qui n'a jamais vraiment été énoncée comme telle, ni par des économistes, ni par des politiques, même si on sait que cette idéologie existe dans les cercles gouvernementaux. Or, ce n'est pas quelque chose qui fonctionne de manière aussi automatique : ce qui détermine l'investissement des entreprises, ce n'est pas majoritairement la fiscalité du capital. Cette absence de résultats sur ce point n'est donc pas une surprise. Mais d'un autre côté, est-ce cela qui est invoqué par les promoteurs de ce type de réformes ? Ça se discute.
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Cette « théorie du ruissellement » qui imprègne certains gouvernements est critiquée depuis de nombreuses années. En décembre 2020, deux économistes britanniques ont même montré via des analyses statistiques qu'en réalité, elle accroît les inégalités tout en n'ayant « aucun effet significatif sur la croissance économique et le chômage ». « En moyenne, chaque réduction d'impôt importante entraîne une augmentation de 0,8 point de pourcentage de la part du revenu national avant impôt des 1 % les plus riches. L'effet se maintient tant à court qu'à moyen terme », écrivent-ils. Comment expliquer le succès de cette théorie dans le monde politique alors qu'elle n'a jamais fait ses preuves ?
Tout simplement parce que même si cet argument n'a pas beaucoup de pertinence académique, il a énormément de succès auprès de ceux qui sont amenés à payer beaucoup d'impôts. C'est vraiment une sorte de légitimation d'une politique de classe. Des intérêts ont beaucoup à gagner dans cette opération et ce, dans beaucoup de pays. Si moi, je voulais qu'on baisse les impôts payés par les profs d'universités, je ne dirais pas : « Je suis prof d'université et je pense qu'il faudrait augmenter mon salaire et baisser les impôts ». Je dirais : « je pense que les incitations accordées aux professeurs d'université auraient un effet positif sur le capital humain des Français ».
Il y a toujours une manière de légitimer, par des pseudo intérêts collectifs, ce qui relève uniquement de l'intérêt individuel. Aux États-Unis, par exemple, après les baisses d'impôts décidées par Donald Trump, quelques entreprises, comme Apple, en ont profité pour verser des dividendes plus élevés en rapatriant une partie de l'argent qui, pour des raisons fiscales, se trouvait en Irlande ou dans d'autres paradis fiscaux. Les dirigeants d'Apple ont été parfaitement transparents : ils ont expliqué que leur politique d'investissement est déterminée par de nombreux facteurs et que la baisse d'impôts n'allait pas les modifier. Mais que, par contre, ils allaient pouvoir verser plus de dividendes à leurs actionnaires.
On est vraiment ici dans une logique d'intérêts et dans une forme de légitimation d'une politique de classe. Elle concerne d'autant plus la classe dirigeante actuelle qu'une bonne partie de ses membres sont directement concernés. Emmanuel Macron fait partie des gens qui payaient l'ISF. Il est entouré de personnes qui payaient aussi l'ISF et n'hésitaient pas à faire savoir à quel point ils n'appréciaient pas cet impôt. Cette caste politico-administrative est constituée de gens qui peuvent se retrouver dans les états majors des grandes entreprises, dans la haute administration, dans des positions politiques élevées. Ces personnes ont tendance à être très influencées par les intérêts et les arguments de leur catégorie socio-professionnelle. Comme par ailleurs, beaucoup d'argent est dépensé pour justifier ce genre de choses, via notamment le financement de think-tanks, alors assez naturellement ce type de questions fiscales prend plus de poids dans le débat politique qu'elles n'en a en termes académiques.
L'un des seuls points positifs soulignés dans le rapport est la baisse du nombre d’expatriations et la hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés. Puisque le ruissellement n'existe pas, quel est néanmoins l'intérêt pour les finances publiques de ces retours ?
Les rentrées fiscales supplémentaires. Pour taxer une base fiscale, il vaut mieux qu'elle soit sur le territoire national plutôt qu'à l'étranger. Beaucoup d'impôts partent en même temps que les gens quittent le territoire. Leur retour présente quelques avantages. C'est un peu la même logique que celle des paradis fiscaux : il vaut mieux toucher un pourcentage plus faible d'impôts sur une base fiscale large, qu'un pourcentage élevé sur rien du tout. Certes, cet argent n'est plus taxé par l'ISF, mais toute une série d'autres taxes vont pouvoir être perçues. De ce fait, ces rapatriements sont avantageux.
Il faut quand même noter que, concernant ces rapatriements, beaucoup de choses interviennent en même temps. En particulier toute une série de mesures menées contre les paradis fiscaux, ainsi que la déclaration obligatoire et automatique des comptes bancaires à l'étranger. Beaucoup de ménages en France, indépendamment de la réforme fiscale d'Emmanuel Macron, auraient dû rapatrier leur argent. Savoir exactement quelle est la part de la modification de la fiscalité dans l'ensemble de ces mouvements n'est pas évident.
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