« Dôme de chaleur » au Canada et dans le nord-ouest des États-Unis, canicule en Espagne, inondations en Europe et en Chine, températures record au Maroc… Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient partout sur la planète et illustrent l’urgence climatique. Climatologue, vice-président du groupe scientifique du Giec entre 2002 et 2015, Jean Jouzel (dernier ouvrage paru : Climat, parlons vrai, avec Baptiste Denis), alerte depuis longtemps sur les conséquences du dérèglement climatique et la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. En 1987, il s’était fait connaître en publiant, avec Claude Lorius et son équipe, la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO2 dans l’atmosphère et températures à partir de carottes de glace.
Le Point : On observe actuellement une accumulation de phénomènes climatiques extrêmes. Ces phénomènes sont-ils liés au réchauffement climatique ?
Jean Jouzel : Ce dont on est certain, d’un point de vue scientifique, c’est que le changement climatique s’accompagne d’événements météorologiques de plus en plus extrêmes et de plus en plus fréquents. Au Canada, il apparaît comme fortement probable, voire certain, que les pics de chaleur observés cet été sont directement liés au réchauffement climatique, lui-même lié à l’activité humaine. Nombre de mes collègues scientifiques ont été surpris par l’intensité de cette vague de chaleur, qui a provoqué des températures proches de 50 degrés dans certaines régions. Généralement, les records de chaleur en période de canicule ne dépassent que de un ou deux degrés le record précédent. Au Canada, le record de chaleur a dépassé les quatre à cinq degrés cette année. Dans un contexte de réchauffement climatique global, il faut s’attendre à ce que de tels records continuent d’être battus année après année.
En ce qui concerne les inondations en Europe, cela risque de prendre un peu plus de temps pour déterminer l’influence du changement climatique sur le phénomène. D’autres facteurs, tels que l’urbanisation dans les zones inondables, doivent être pris en compte. La question sera de savoir si ce type d’inondation devient de plus en plus fréquent.
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Faut-il s’y habituer ?
Dans un contexte de changement climatique, ce type d’événements extrêmes risque de s’amplifier d’année en année. Outre les inondations, les canicules et les incendies, on risque aussi d’assister à une augmentation du nombre de sécheresses et de l'intensité des cyclones… La France a connu trois épisodes de sécheresse durant trois étés consécutifs, avec des pics à 46 degrés. Cela risque d’avoir des conséquences dévastatrices sur les secteurs agricoles, viticoles… Pour l’instant, la France est relativement épargnée par le changement climatique, mais il faut s’attendre à ce que de nouveaux records de chaleur soient battus durant les prochaines années.
Certaines projections annoncent des températures atteignant 50 degrés dans l’Hexagone d’ici à 2050.
Ces projections existent. À l’échelle de la planète, la température moyenne risque d’augmenter d’un degré d’ici à 2050. Cela peut paraître peu, mais cette augmentation de température se fera particulièrement ressentir l’été et dans les villes. En France, on peut s’attendre à des pics de chaleur entre 45 à 50 degrés d’ici à 2050. On en prend le chemin. Il est très inquiétant de constater que les régions canadiennes affectées par la canicule se situent sur la même latitude que la France. Si l’on ne réduit pas rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, certaines régions de la planète risquent de devenir littéralement invivables. Il faut tout faire pour éviter ça, mais, malheureusement, rien de vraiment décisif n'est fait.
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Que répondez-vous à ceux qui contestent la réalité du réchauffement climatique ?
Très peu de gens la nient désormais. Cette réalité est réellement sous nos yeux. La température terrestre augmente d’année en année et les chiffres sont là pour le prouver. Les climatosceptiques contestent principalement le lien entre activité humaine et changement climatique. Cependant, ce lien de cause à effet est établi par un constat scientifique largement partagé. Certes, il existe un certain nombre de causes naturelles liées au réchauffement climatique, telles que l’activité solaire. Cependant, l’activité solaire n’est responsable, au maximum, que de 10 % de l’augmentation de la température terrestre. Je n’ai rien contre les sceptiques en tant que tels, mais leurs arguments ne me paraissent pas du tout convaincants. Et force est de constater que toutes les prédictions réalisées par le Giec depuis trente ans tendent à se réaliser.
Quelles mesures concrètes prendre pour lutter contre le changement climatique ?
L’accord de Paris de 2015 me semble aller dans le bon sens. Durant la COP21, les dirigeants mondiaux se sont mis d’accord sur un objectif visant à limiter le réchauffement climatique à long terme entre 1,5 et 2 degrés de plus qu'à la période pré-industrielle. Idéalement, il faudrait limiter le réchauffement planétaire à environ un demi degré par rapport à la décennie 2010. Cet objectif implique cependant un certain nombre de mesures ambitieuses, telles que la neutralité carbone d’ici à 2050 [la neutralité carbone implique d’absorber autant de CO2 que l’on rejette de gaz à effet de serre, notamment par des puits de carbone tels que les forêts ou les océans, NDLR]. Malheureusement, nous sommes très en retard par rapport à cet objectif. Pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient diminuer de 7 % chaque année. Atteindre la neutralité carbone implique notamment de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Il faut également en finir avec la déforestation et, au contraire, mettre en place des projets de reforestation. Il faut également promouvoir une agriculture et des constructions plus écologiques. Les 150 propositions citoyennes pour le climat me paraissent également être une initiative louable. Malheureusement, le projet de loi qui en résulte me semble assez édulcoré.
Ne craignez-vous pas qu’il ne soit déjà trop tard pour lutter contre le changement climatique ?
La réalité, c’est que le réchauffement climatique est désormais inéluctable. Il faut donc d’ores et déjà réfléchir à des mesures pour s’y adapter et tenter d’en limiter les effets. Par exemple, arrêter de construire dans des zones inondables ou trop près des côtes. Les mesures actuelles ne me paraissent malheureusement pas à la hauteur des enjeux. Nos gouvernants semblent avoir pris conscience de la réalité du changement climatique, et les accords de Paris montrent qu’ils partagent largement les constats du Giec. Les textes sont là, l’ambition est là, mais, à chaque fois, cette ambition ne se traduit pas dans la réalité. Il n’est pas encore trop tard pour limiter la casse. Mais, malheureusement, nous semblons prendre le chemin inverse.
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