Cela faisait 3,6 millions d'années que l'atmosphère terrestre n'avait pas connu une telle charge en dioxyde de carbone.
Trois milliards d’êtres humains ont été confinés, au printemps 2021, pour freiner la propagation du coronavirus SARS-CoV-2. Un tel changement soudain dans notre mobilité a eu un effet direct dans notre impact sur la nature, jusqu’à générer la notion d’anthropocène. La pollution mondiale a également chuté à cette occasion. En avril 2020, 17 millions de tonnes de CO2 de moins ont été rejetées dans l’atmosphère par rapport à avril 2019. Au total, les émissions carbone ont été réduites de 7 % à l’échelle de l’année 2020.
Et pourtant, selon un rapport de l’agence américaine responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère (NOAA), la chute des émissions n’aura pas freiné la hausse globale, profonde, qui a lieu depuis plusieurs décennies. « Les niveaux des deux principaux gaz à effet de serre d’origine anthropique, le dioxyde de carbone et le méthane, ont continué à augmenter de manière ininterrompue en 2020, malgré le ralentissement économique provoqué par la réponse à la pandémie de coronavirus », explique l’agence. Sans les confinements, « l’augmentation qui a eu lieu en 2020 aurait été la plus haute jamais enregistrée ».
Les taux de gaz à effet de serre augmentent sans cesse
D’après le NOAA, cela fait 3,6 millions d’années — soit le Pliocène — que l’atmosphère terrestre n’avait pas connu une telle charge en dioxyde de carbone. À cette époque de la Terre, le taux de concentration du CO2 dans l’atmosphère était entre 380 et 450 ppm (parties par million, unité de mesure pour des volumes de gaz). Ce taux était de 280 ppm à l’ère pré-industrielle. En 2020, il était de 412 ppm, soit une hausse de 2,6 par rapport à 2019, et la cinquième hausse la plus importante en 63 ans de mesures.
Juste avant le confinement, en février 2020, le taux de concentration était de 414 ppm, le ralentissement économique l’a donc fait tomber à 412 ppm en fin d’année. Mais, en février 2021, il était déjà à 416 ppm.
Le constat n’est pas vraiment meilleur pour le méthane. Ce gaz à effet de serre est moins présent que le dioxyde de carbone, mais il a un impact plus fort sur la concentration en chaleur. L’année 2020 a connu une augmentation annuelle de 14,7 ppb (parties par milliard), ce qui constitue 6 % de plus qu’en 2000 et la plus forte hausse annuelle enregistrée depuis le début des mesures systématiques en 1983.
Une question de système ?
Les constats du NOAA rappellent combien la crise climatique ne peut être affrontée avec des mesures à court terme. Il est bel et bien question de « système » à une échelle globale. « L’activité humaine est à l’origine du changement climatique. Si nous voulons atténuer les pires impacts, il faut se concentrer délibérément sur la réduction des émissions de combustibles fossiles jusqu’à un niveau proche de zéro — et même à ce stade, nous devrons chercher des moyens d’éliminer davantage de gaz à effet de serre de l’atmosphère », a commenté Colm Sweeney, membre du Global Monitoring Lab, branche du NOAA.
Symbole de cette échelle globale et systémique : en 2017, un rapport choc montrait que seulement 100 entreprises sont responsables de 71 % des émissions de gaz à effet de serre. « Les entreprises ont un rôle énorme à jouer dans la lutte contre le changement climatique, mais l’obstacle réside dans la ‘tension absolue’ entre la rentabilité à court terme et le besoin urgent de réduire les émissions », écrivait alors The Guardian en relayant les propos Pedro Faria, coauteur du rapport en question. Une responsabilité majeure incombe aux investisseurs de ces entreprises, selon Pedro Faria.
Cette responsabilité commence à être reconnue par certains entrepreneurs et magnats eux-mêmes dont les activités d’origine sont la source du problème. C’est ainsi que le milliardaire Bill Gates admet, dans son livre Climat : comment éviter le désastre publié en février 2021 : « La plupart de nos émissions proviennent des systèmes plus grands qui régissent notre quotidien (…) Quand quelqu’un veut un toast pour le petit-déjeuner, cela implique l’existence d’un système qui peut fournir du pain, un grille-pain et l’électricité pour faire fonctionner le grille-pain sans ajouter de gaz à effet de serre (…) Nous n’allons pas résoudre le problème climatique en disant aux gens de ne pas manger de toasts. »
À l’échelle individuelle
Ce n’est donc clairement pas le fait de « trop tirer la chasse d’eau » qui est à l’origine d’un réchauffement inédit depuis 3,6 millions d’années. Une rhétorique de culpabilisation sociale risquerait de fausser la réalité, laquelle montre que la responsabilité incombe avant tout à ceux qui ont un pouvoir énergétique, technologique, économique, à un niveau structurel.
En revanche, nos comportements du quotidien sont également cruciaux. L’usage de nos robinets à eau n’est pas non plus un élément anodin dans l’équation, comme pour la nourriture ou les déplacements. Nous en parlions récemment : notre mode d’alimentation doit changer pour freiner la sixième extinction de masse. Il est certain que les changements de pratique à l’échelle individuelle doivent aussi avoir lieu, ils peuvent avoir un impact important en provoquant progressivement une réaction en chaine au niveau collectif — pour convaincre les entrepreneurs, justement, de changer leurs pratiques structurelles.
Par exemple, les émissions en gaz à effet de serre du vélo sont 30
fois inférieures à celles d’une voiture à carburant fossile, et jusqu’à
10 fois inférieures à celles d’une voiture électrique. D’après les auteurs d’une étude sur ce sujet,
le fait qu’un citadin sur cinq modifie de façon permanente ses
habitudes de déplacement — ne serait-ce qu’en remplaçant certains
trajets motorisés par des trajets actifs avec la marche et le vélo —
pourrait contribuer à réduire d’environ 8 % les émissions liées au
trafic routier dans les villes européennes.
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