15/02/2021

«La grande dépression de la démocratie» Par Nicolas Baverez

C’est à l’Occident de renouer avec la raison et la liberté, qui fondèrent sa prospérité et son succès.

L’année 2020 a été marquée par un recul historique de la démocratie. En témoigne le classement mondial des pays dressé par The Economist en fonction de leur caractère démocratique (cliquer sur l'image). Le constat est sans appel. Sur 167 États, la planète ne compte en 2020 que 23 démocraties à part entière, qui regroupent 8,4 % de la population mondiale, et les libertés régressent sur tous les continents. Les régimes autoritaires ou hybrides sont largement majoritaires et gouvernent plus de la moitié de l’humanité.

Plusieurs facteurs expliquent ce reflux démocratique. La poussée du modèle total-capitaliste chinois tout d’abord, qui fait de plus en plus d’émules dans le monde émergent. La multiplication des hommes forts adossant leur pouvoir à une démocrature, de la Russie de Poutine à la Turquie d’Erdogan en passant par l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salman. Les guerres sans fin qui dévastent l’Afghanistan, le Moyen-Orient, la Libye et le Sahel, et de nouveau l’Éthiopie. La rupture la plus nette provient cependant du cœur du monde démocratique, où l’épidémie de Covid-19 a réduit les libertés, mis en évidence les fragilités et les dysfonctionnements des institutions représentatives, creusé le fossé entre dirigeants et citoyens.

Natacha Polony et Nicolas Baverez  débattent sur le sujet.

Les confinements et autres couvre-feux ont renforcé l’atomisation des citoyens, le repli identitaire et la polarisation des opinions, exacerbée par les réseaux sociaux. La fermeture de pans entiers de l’économie, avec son cortège de faillites et de chômeurs, a achevé de déstabiliser les classes moyennes. Enfin, les failles béantes apparues dans la gestion de la crise sanitaire ont fait basculer nombre de citoyens de la peur et de la sidération à la colère, une part de plus en plus importante d’entre eux penchant pour l’autoritarisme afin de rétablir la sécurité.

La sortie de l’épidémie verra diverger les nations encore plus fortement tant sur le plan économique que sur le plan de la puissance et de la capacité à maintenir la paix civile

Le symbole de l’ébranlement de la démocratie fut la prise d’assaut du Capitole, qui a démontré que la liberté politique restait un miracle précaire et ne tenait que par le fil de soie ténu de l’État de droit, y compris aux États-Unis. Mais l’Europe n’est pas en reste, comme en témoigne le déclassement de la France qui a été ravalée au rang de démocratie imparfaite par The Economist. Et ce en raison du recours au Conseil de défense pour gérer la pandémie, du transfert des pleins pouvoirs à l’exécutif par l’état d’urgence sanitaire voté le 23 mars 2020 et prolongé jusqu’au 1er juin 2021, de l’autodissolution du Parlement, de la restriction des libertés publiques, de l’absence de tout débat public et de la montée de la violence au sein de la société. Les démocraties, prises sous le feu croisé des régimes autoritaires et du fanatisme religieux, des populismes et de la pandémie, n’ont jamais été aussi vulnérables depuis les années 1930, quand elles furent incapables de s’unir pour répondre aux défis de la grande dépression et des totalitarismes. Cependant, elles conservent d’immenses ressources et de formidables capacités de rebond pour autant qu’elles parviennent à mobiliser leurs citoyens et à opposer un front commun à leurs adversaires. C’est l’enjeu de la décennie 2020 qui sera décisive pour l’avenir de la liberté.

La sortie de l’épidémie verra diverger les nations encore plus fortement tant sur le plan économique que sur le plan de la puissance et de la capacité à maintenir la paix civile. Soit les démocraties se désagrègent de l’intérieur en renonçant à la liberté, offrant un avantage décisif à la Chine et aux démocratures. Soit, comme en 1945, elles se reconstruisent et se réunissent autour de la défense de leurs valeurs. En refondant un pacte économique et social ; en mettant la relance au service de la transition numérique et écologique en rupture avec le capitalisme de rente et de prédation ; en investissant massivement dans l’éducation, la santé et la sécurité pour favoriser l’intégration tout en confortant l’État de droit ; en réengageant les citoyens dans les décisions et le débat public ; en construisant une nouvelle alliance des démocraties ne reposant plus sur l’unique réassurance des États-Unis.

Dans cette perspective, l’épidémie esquisse aussi des solutions et comporte sa part d’espoir. Les nations qui ont le mieux géré ce choc à la fois sanitaire, économique et politique sont en effet des démocraties, à l’image de la Corée du Sud, de Taïwan, de la Nouvelle-Zélande ou de l’Europe du Nord. La Constitution américaine et les contrepouvoirs ont finalement résisté aux coups de boutoir de Trump. Les dirigeants populistes ont fait la démonstration de leur irresponsabilité et de leur incompétence. Surtout de Hongkong à Caracas en passant par le Myanmar, la Russie ou la Turquie, des hommes continuent à risquer leur vie pour la liberté, nous rappelant qu’elle n’est pas une rente où se reposer mais une conquête toujours renouvelée. C’est à l’Occident de renouer avec la raison et la liberté, qui fondèrent sa prospérité et son succès.

source lefigaro.fr

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