Geoffroy Roux de Bézieux : "Les salariés sont fatigués psychologiquement"... il donne ici une belle leçon d'économie dans cet entretien avec le Point.
Le Point : Le gouvernement tente visiblement d'éviter un reconfinement. Mais c'est au prix de la fermture des commerces dans les centres commerciaux de plus de 20 000 m2...
Geoffroy Roux de Bézieux : En conciliant exigences sanitaires et économiques, le gouvernement a tiré les leçons des premiers confinements. Cette fermeture n'est pas l'idéal mais si cela peut permettre d'éviter un reconfinement plus dur et dangereux pour l'économie. Nous devons essayer cette mesure et soutenir les secteurs fermés, notamment via la compensation des loyers commerciaux. Il faut toutefois rappeler que toutes les études, dont celle de l'Institut Pasteur, qui porte sur la période où les commerces ont rouvert, montrent qu'ils ne sont pas un facteur de contamination.
En cas de reconfinement, une fermeture de tous les commerces semble inévitable, non ? Sinon, ce n'est plus un confinement...
Le mot confinement recouvre en fait plein de réalités différentes. Les dégâts médicaux, sociaux et psychologiques d'un confinement sont énormes. Il coûte aussi très cher pour l'économie française. On peut parfaitement avoir des restrictions des interactions sociales sans fermer tous les commerces. L'essentiel des contaminations vient des interactions sociales dans la sphère privée, qui sont souvent le fait de déplacements, sauf si votre famille ou vos amis habitent autour de chez vous. Il y a donc un sujet de déplacements interurbains. Je ne suis pas là pour faire des recommandations sanitaires, mais pour essayer de limiter la casse sur le plan économique.
Ne sommes-nous pas entrés dans une sorte de « médicocratie », où tout est décidé par le ministère de la Santé sur des critères de santé ?
Votre question renvoie d'abord au processus de prise de décision. Il y a une sorte de triangle entre les autorités médicales, le gouvernement et les milieux économiques. Nous voyons le gouvernement, qui voit les médecins, mais il n'y a pas de réunion où l'on se met tous autour de la table. J'ai proposé une instance commune au gouvernement à plusieurs reprises, sans succès. La culture de ce type de dialogue n'est pas une tradition de la Ve République… Sommes-nous dans une dictature sanitaire ? Il ne faut pas confondre les chaînes d'infos et la manière dont les décisions sont prises. C'est aux politiques de prendre les décisions. Il y a d'ailleurs manifestement eu un rappel à l'ordre du président du conseil scientifique. C'est vrai qu'on n'a jamais vu autant de blouses blanches s'exprimer dans les médias. Le débat que certains ont tenté de lancer sur le fait qu'on serait en train de sacrifier une génération pour prolonger de quelques mois la vie de nos aînés n'est pas audible. Mais soyons lucides : c'est à peu près partout pareil dans les pays occidentaux. C'est civilisationnel.
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Est-ce que vous craignez une non-acceptation des restrictions de la part de vos adhérents, et peut-être même une rébellion des Français en cas de reconfinement ?Il y a incontestablement une usure. Les mesures de restrictions sont moins suivies par les Français mais il faut les respecter si l'on veut qu'elles produisent des effets et nous permettent d'éviter un reconfinement. Les salariés sont aussi fatigués psychologiquement d'être en télétravail. Collectivement, on a réalisé qu'on avait besoin du travail, ne serait-ce que pour les interactions sociales qu'il crée. Cette usure crée des risques psycho-sociaux, des dépressions, voire des suicides. La difficulté, c'est cet équilibre entre le risque à court terme de laisser mourir des personnes parce qu'on ne pourrait plus les soigner et d'autres risques, non moins négligeables, mais qui ne sont pas immédiatement palpables. Pour prendre leurs décisions, le gouvernement et les autorités de santé doivent tenir compte de la quantité de jours de confinement que la population est prête à supporter jusqu'à la fin de l'épidémie. C'est évidemment très compliqué puisqu'on ne sait pas quand elle sera derrière nous…
L’écosystème de biotech français doit être massivement soutenu
Faudra-t-il changer de stratégie totalement si en septembre l'épidémie ne recule pas à cause de retards importants dans la campagne vaccinale ou à cause de nouveaux variants résistants aux vaccins ?
Contrairement à d'autres, je ne suis pas devenu épidémiologiste en un an. Je comprends néanmoins qu'il va falloir apprendre à vivre avec une forme de pandémie. On espère tous qu'elle sera beaucoup plus faible que ce qu'on connaît aujourd'hui, mais elle pourrait durer. On a beaucoup parlé du « monde d'après », il paraît nécessaire de commencer à réfléchir au « monde d'avec », si j'ose dire. Il va falloir apprendre à vivre avec cette menace. Cela veut dire qu'il faudra probablement imaginer des solutions pour que tout le pan de l'activité économique qui est arrêté puisse repartir, même si on n'a pas complètement fait disparaître l'épidémie. J'espère qu'avant l'été, on pourra retourner au restaurant dans des conditions adaptées. On travaille par exemple à une identification via un QR code afin de mieux identifier les personnes exposées à un cluster. À nos entreprises adhérentes, on fait passer le message qu'il ne faut pas croire que tout repartira d'un coup. C'est pour cela que nous sommes favorables à un carnet vaccinal – et non un passeport —, exigible, par exemple, par les organisateurs d'événements professionnels, une fois que le vaccin sera suffisamment distribué.
Comment interpréter l'abandon de la recherche sur le vaccin par l'Institut Pasteur et le retard considérable pris par Sanofi. Est-ce le symptôme d'un déclin français ?
On dit qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Un cygne noir ne fait donc pas non plus l'hiver. Mais c'est vrai que, symboliquement, ces deux échecs successifs sont très décevants, notamment parce que le secteur de la pharmacie était un des secteurs de notre économie qui avait gardé une certaine puissance. Il y a toujours une part d'aléa dans la recherche, mais on voit que la recherche pharmaceutique s'est transformée en profondeur : ce sont des biotechs qui ont porté les vaccins innovants et risqués à ARN messager. Il faut y voir un signal d'alerte : l'écosystème de biotech français doit être massivement soutenu et le principe de précaution ne doit pas tuer le principe d'innovation.
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Craignez-vous une multiplication des faillites cette année ?
Cela dépendra de la longueur des périodes de confinement. Si on parvient à lever les restrictions sanitaires à l'été, on devrait éviter une explosion des faillites, parce que l'État a mis énormément d'argent sur la table pour soutenir les entreprises. Le niveau de faillites reviendra mécaniquement à son niveau de 2019 après la baisse artificielle de 2020, mais il ne devrait pas y avoir d'effet couperet.
Nous acceptons l’idée qu’il faille accepter la fin du « quoi qu’il en coûte » pour l’ensemble des entreprises dont l’activité a repris
Malgré tout, ce soutien s'est opéré au prix d'une augmentation de la dette des entreprises. Faudra-t-il, à un moment ou à un autre, que l'État fasse un geste et annule une partie des prêts consentis ?
C'est vrai que le soutien de l'État français est énormément passé par des mesures de trésorerie, à travers les prêts garantis par l'État, plus que par des subventions. Mais il est trop tôt pour le dire. Cela dépendra de la vigueur de la reprise. Je continue de penser qu'une fois les mesures de restrictions sanitaires levées, l'économie peut repartir assez vite. Cela a été le cas en mai après le premier confinement. Évidemment, si les vaccins deviennent moins efficaces à cause de mutations successives du virus, on entrera dans complètement autre chose…
Acceptez-vous la baisse de la prise en charge du chômage partiel pour les secteurs qui ne sont pas directement touchés ?
Oui, nous acceptons l'idée qu'il faille accepter la fin du « quoi qu'il en coûte » pour l'ensemble des entreprises dont l'activité a repris. L'augmentation du reste à charge à 40 % pour les entreprises à partir du 1er mars ne nous paraît pas aberrante. En revanche, « il faut continuer le quoi qu'il en coûte » pour les secteurs arrêtés ou quasi arrêtés.
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Le niveau d'indemnisation des secteurs économiques fermés ou les plus impactés par l'épidémie vous semble-t-il suffisant, désormais ?
On est sans doute arrivés au bon équilibre. Certaines entreprises sont dans une situation difficile, mais cela sort des cas génériques. Le fonds de solidarité et la nouvelle aide qui peut aller jusqu'à trois millions d'euros par an, même si elle n'est pas encore acceptée par l'Europe, couvrent l'essentiel des situations. Cela permet aux petits restaurateurs d'attendre, même si cela suppose qu'il y ait une reprise à un moment.
Il faudra compléter le plan de relance
Le plan de relance dévoilé en septembre dernier vous paraît-il toujours à la hauteur de la situation, ou va-t-il falloir l'amplifier ?
La stratégie initiale du plan de relance qui était fondé sur la réindustrialisation, la souveraineté, la décarbonation, très centré sur l'industrie, reste pertinente. Ce plan a d'ailleurs plutôt bien commencé, car il s'appuyait sur les travaux du pacte productif effectués avant la crise. Mais il faudra le compléter. Quand ? À hauteur de combien, et comment ? C'est trop tôt pour le dire. Tous les secteurs qui auront été arrêtés auront besoin d'un coup de boost de l'État, mais cela ne pourra intervenir que lorsqu'ils pourront rouvrir. Faudra-t-il des mesures pour relancer la demande, ou l'épargne de précaution des Français reviendra-t-elle d'elle-même dans le circuit ? C'est difficile à dire. On ne pourra décider que lorsqu'on y verra clair sur l'avenir.
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Faut-il croire à un mouvement de relocalisation en France après cette crise ?
Pour des raisons de souveraineté, l'État peut décider qu'il est préférable de produire tel ou tel médicament sur le sol européen. Par ailleurs, certaines entreprises sont en train de mettre en place un double sourcing en disant qu'elles ne veulent pas dépendre uniquement de l'Asie. Elles veulent avoir un fournisseur alternatif en Europe pour 20 % des approvisionnements. Est-ce que cela va changer le visage de la mondialisation ? Il y a le discours politique et la réalité : la réalité, c'est que cela coûte toujours beaucoup moins cher de fabriquer en Asie la plupart des produits de grande consommation. La seule chose qui pousserait cette relocalisation de manière effective, c'est un système de taxe carbone aux frontières de l'Europe pour pénaliser fortement les émissions carbone émises dans certains pays ou via le transport. Nous n'y sommes pas intellectuellement opposés, mais nous sommes très loin d'avoir un consensus européen sur le sujet. Des petits pays importateurs ne sont pas forcément d'accord.
Cela pose le problème d'éventuelles rétorsions commerciales…
C'est une des raisons qui explique la frilosité des Allemands. La France est mal placée, car nous sommes en déficit commercial. C'est aussi ce qui explique la stratégie de Trump : comme les États-Unis sont en déficit commercial, il savait que si les échanges baissaient, il y gagnerait. On ne peut pas demander aux industriels européens d'être les mieux-disants du monde entier sur les normes sociales et environnementales et de créer des fuites carbone en important des produits qui n'ont pas les mêmes standards mais sont forcément plus compétitifs.
On ne peut pas interdire à Carrefour de chercher une solution stratégique et ne pas l’aider.
Bruno Le Maire a bloqué le rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard. Vous approuvez ?
Il n'est pas illégitime que l'État français se préoccupe du sort du premier distributeur et premier employeur privé de France. C'est un symbole. Mais on peut d'abord regretter qu'il n'ait pas donné sa chance au projet puisqu'il a opposé son refus avant même que le projet ait pu être présenté. Cela donne le signal que les offres des investisseurs étrangers, même amicales, sont rejetées a priori et pas a posteriori. Ce n'est pas le bon signal à donner. Ensuite, si l'État considère que les distributeurs français doivent avoir des actionnaires principaux français, il faut que Carrefour et le commerce physique en général bénéficient d'un plan d'accompagnement et d'une baisse des taxes sur le commerce physique afin d'être à armes égales avec Amazon. On ne peut pas interdire à Carrefour de chercher une solution stratégique et ne pas l'aider. De manière générale, le mot souveraineté ne nous fait pas peur. La première chose que j'ai faite en arrivant à la tête du Medef a été de créer un comité souveraineté économique. Il est légitime que certains secteurs, dont les technologies sont rares et peuvent être déplacées à l'étranger, soient défendus. Nous sommes bien contents que les Rafale soient fabriqués en France. Nous soutenons l'interdiction du rachat de Photonis par des acteurs étrangers dans le secteur de la défense. Le sujet va émerger aussi au sujet d'IVECO BUS. Mais il faudra bien définir les secteurs d'intérêt national et offrir des alternatives aux investisseurs étrangers.
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Ne manque-t-on pas de capitaux français à leur apporter ?
C'est un vieux sujet. Nous n'avons pas de fonds de pension du fait de notre système de retraite entièrement par répartition. Nous n'avons que quelques fonds d'investissement de taille mondiale, avec Ardian et Eurazeo par exemple. Nous avons besoin de ces acteurs du private equity qui sont souvent critiqués mais qui ont un rôle important à jouer pour financer la croissance des entreprises françaises.
Nous avons bâti un système d’indemnisation du chômage un peu absurde
Quelle est votre position sur la réforme de l'assurance-chômage ? Faut-il la mener à bien malgré la crise majeure que nous traversons ?
De la faute des partenaires sociaux, parfois sous la contrainte par les gouvernements successifs, nous avons bâti un système d'indemnisation un peu absurde où, dans certains cas, travailler rapporte moins que ne pas travailler. Il faut donc maintenir la réforme du salaire journalier de référence permettant de calculer le montant de l'allocation, en l'assortissant, si nécessaire, d'un plancher minimum. Sur la question de la durée d'affiliation requise pour ouvrir les droits à indemnisation, je suis ouvert à l'idée de la faire varier en fonction de la difficulté à trouver un emploi. Sur le bonus-malus sur les cotisations d'assurance-chômage des employeurs, c'est un système absurde, car il aboutit à comparer dans un même ensemble des métiers très différents comme les transporteurs publics et les remontées mécaniques des stations de ski ! Même si on prend une partie de 2021 comme année de référence pour calculer le malus des entreprises des secteurs concernés recourant aux contrats courts, on voit bien que cela va être très compliqué. Nous plaidons, a minima, pour décaler cet aspect de la réforme.
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Pourquoi tenez-vous tant à garder la main sur le régime d'assurance-chômage ? N'est-ce pas, au final, l'État qui est considéré comme responsable du niveau d'emploi dans le pays ?
Parce que l'assurance-chômage est financée par les cotisations sociales.
De moins en moins…
Les entreprises continuent de payer des cotisations de plus de 4 % sur les salaires. Si c'était financé par l'impôt, pourquoi pas ? Mais tout ce qui est financé par les cotisations doit être géré par les syndicats et les organisations patronales. Je reconnais que nous sommes dans un système qui ne fonctionne plus parce qu'il est totalement hybride depuis que les cotisations salariales ont été supprimées en 2018. Je suis donc prêt à ouvrir le chantier de la gouvernance. Mais une gouvernance à trois avec l'État ne peut pas marcher, parce que cela revient à donner le pouvoir de décision à l'État.
Avec les syndicats, vous avez voulu montrer que le paritarisme fonctionne encore en concluant deux accords sur le télétravail et la santé au travail…
Nous avons montré, contre tous les pronostics de ceux qui rêvaient de nous voir échouer, que nous pouvons nous entendre quand on nous laisse notre autonomie. Cela n'est pas toujours aussi rapide et efficace qu'un gouvernement fraîchement élu souhaiterait, mais cela a son utilité !
Le télétravail est-il une chance ou un risque pour les entreprises ?
Les deux. Le Medef a été suspecté de vouloir faire obstacle au télétravail, mais les esprits sont désormais plus matures. Tout le monde s'est rendu compte que le télétravail était une chance parce qu'il permet d'économiser du temps de transport et mieux gérer l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Mais c'est aussi un risque individuel d'isolement et un risque pour le collectif. Si on réduit l'entreprise à une somme d'individus séparés qui ne se connaissent pas, on pourrait avoir des salariés en télétravail n'importe où, même à Bangalore en Inde ! Actuellement, les employeurs doivent plutôt lutter pour tenter de maintenir les salariés en télétravail afin de se conformer aux demandes du gouvernement que l'inverse : les salariés sont usés de devoir télétravailler à plein temps.
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On a beaucoup dit que les travailleurs de la seconde ligne n'étaient pas reconnus à la hauteur du rôle social qu'ils jouent pour la société. Peut-on augmenter leur salaire ?
À court terme, non, parce qu'ils sont intégrés dans une chaîne de valeur qui ne le permet pas. Il faudrait revoir toutes les chaînes de valeur, à commencer par le rôle de l'État dans certaines d'entre elles. Je peux vous dire qu'il y a des employeurs publics qui font en ce moment des appels d'offres avec des prix qui ne permettent même pas aux entreprises prestataires de rémunérer leurs personnels au smic horaire. C'est le cas dans des activités de sous-traitance comme la sécurité ou le nettoyage. Il faudrait pouvoir négocier les appels d'offres de grandes entreprises sur d'autres critères que celui du prix. On veut bien négocier dans les branches, comme le gouvernement nous demande de le faire, mais il ne faut pas en attendre des miracles en termes d'augmentation des salaires.
Il va falloir créer les conditions de croissance pour rembourser la dette publique
Les indépendants ont été très impactés par la crise, faut-il élargir leur protection sociale ?
Si ceux qui ont recours aux indépendants et les indépendants eux-mêmes acceptent de le financer, pourquoi pas ? Mais ce n'est pas une question qu'il faut traiter avec les employeurs et les syndicats de salariés. Il faut mettre autour de la table les représentants des autoentrepreneurs ainsi que les plateformes qui leur fournissent de l'activité. L'ère du temps est à l'élargissement du socle de protection, mais il ne peut pas être identique à celui du salariat. Les indépendants prennent le risque d'une protection moins complète en contrepartie de la liberté et d'une rémunération souvent supérieure.
La crise nous fait accumuler des montagnes de dettes publiques. Ce sont nos enfants qui vont payer ?
Pas que ! Tout dépend de votre âge (sourire). On n'avait pas d'autre choix que de générer cette dette. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra la rembourser. La crédibilité de la France en Europe est en jeu. La question du niveau de la dette est importante, mais tout dépendra du niveau de croissance. La vraie question, c'est le potentiel de croissance après le Covid. Avec 2 %, ce n'est pas du tout la même chose qu'en période de stagnation. Il va falloir créer les conditions de la croissance, mais si le poids des impôts continue à augmenter, on aura un problème.
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Cela veut dire continuer à baisser les impôts des entreprises ? Cela ne ferait qu'augmenter encore la dette !
Sauf si les baisses d'impôts génèrent plus de rentrées fiscales grâce à la croissance. Je sais que Bercy a du mal à raisonner comme ça. Un impôt élevé sur les sociétés qui perdent de l'argent rapporte moins qu'un taux plus faible sur des entreprises profitables.
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Vous allez porter ce discours pour la campagne présidentielle ?
Nous n'allons pas porter l'éternel catalogue du Medef de mesures fiscales. Nous allons essayer de réfléchir au modèle économique de la France et de l'Europe. Nous ne pouvons être les mieux-disant sociaux et environnementaux dans le monde sans armer notre économie et notre industrie afin d'être compétitif. On ne sauvera pas la planète en continuant à acheter du Made in China, et on aura perdu nos emplois.
Vous avez ouvert le débat sur l'augmentation nécessaire du temps de travail avant de le refermer aussitôt…
La croissance potentielle dépend de la productivité et de la quantité de travail multipliée par le nombre de personnes qui travaillent. Plus il y a de personnes qui travaillent, plus le chômage est bas et plus elles travaillent longtemps au cours de leur vie ou dans une année, plus cela crée de richesses à partager. C'est une vérité économique basique : tous les pays autour de nous travaillent plus et ont, en général, moins de chômage.
Je ne vois pas la fenêtre politique pour la réforme des retraites
Faut-il aussi ouvrir la question du temps de travail hebdomadaire ou la question des retraites ?
Le sujet numéro un, c'est la retraite. Mais ce sujet ne devrait pas être traité avant la présidentielle.
Vous êtes très affirmatif.Je ne vois pas la fenêtre politique. Si on était sorti de la crise Covid, la question se poserait car le déficit est beaucoup plus significatif qu'avant la crise. Mais pour l'instant, on ne peut avoir un débat serein sur ce sujet alors que la préoccupation des entrepreneurs comme de la population est de savoir comment et quand sortir des restrictions sanitaires.
Ne craignez-vous pas qu'il soit très difficile de faire comprendre qu'il ne peut pas y avoir d'argent magique éternellement ?
Il est clair que la mise sous respirateur artificielle de l'économie pose beaucoup de problèmes. Celui de notre rapport à la dette et à la dépense publique, mais aussi notre rapport aux libertés : la liberté d'entreprendre comme celle de citoyen. On a en partie infantilisé les citoyens et nationalisé l'économie. Ce n'est pas tenable. Il va falloir retirer la perfusion d'argent public, mais pas avant la fin de la pandémie.
Les grandes entreprises françaises ne versent-elles pas beaucoup trop de dividendes ?
Lorsqu'une grande entreprise gagne de l'argent, elle doit verser des dividendes. Il faut bien rémunérer le capital ! Personne n'imagine acheter un appartement pour le louer gratuitement… Le capital, c'est de l'argent investi. Il y a un risque qu'il soit perdu si l'entreprise tombe en faillite. Si on veut des entreprises fortes en France, qui créent des emplois sur le territoire, il faut donc rémunérer le capital. Autrement, il faudrait tout nationaliser avec l'impôt des Français. Ce n'est pas très efficace… Il est par ailleurs faux de dire que les dividendes sont maintenus même quand la situation est mauvaise. En 2020, les dividendes du CAC 40 ont été réduits de 40 %. Quant à la rémunération variable des patrons, elle a baissé. Ce n'est jamais relevé par qui que ce soit.
Il faut travailler sur l’égalité des chances
Oxfam vient de sortir un rapport qui montre que la fortune des milliardaires français a progressé de 175 milliards malgré la crise… Cela ne pose-t-il pas la question des inégalités ?
Je ne l'ai pas lu, mais on parle là de valeur boursière. Les marchés financiers sont au plus haut, même si je ne me l'explique pas. Toujours est-il que ce chiffre n'a aucun sens, il est virtuel, il peut rebaisser ! Il est vrai qu'il y a eu une augmentation des inégalités aux États-Unis depuis 15 à 20 ans. Mais en France, cette augmentation n'a pas eu lieu grâce à la puissance de notre système redistributif. Quel est le bon niveau des inégalités ? C'est une question difficile, car il faut récompenser les individus qui entreprennent et prennent des risques tout en préservant le consensus démocratique. On voit bien que les écarts salariaux sont beaucoup plus tolérés aux États-Unis qu'en France. On est rentrés dans une économie de la connaissance où le capital intellectuel et culturel ou scientifique crée des inégalités de départ assez fortes qui s'amplifient. Il faut travailler sur l'égalité des chances. Au Medef, nous sommes extrêmement préoccupés par les performances de l'Éducation nationale : il y a plus de professeurs que dans d'autres pays, mais ils sont beaucoup moins bien payés et les résultats ne sont pas suffisamment au rendez-vous.
Que retiendrez-vous de la première partie du mandat d'Emmanuel Macron avant la crise sanitaire ? Ses réformes étaient-elles à la hauteur ?Il y a eu des réformes en faveur de l'économie, c'est indiscutable et il ne faut pas oublier. La situation de l'économie française avant l'épidémie était plutôt bonne. Pour la première fois depuis dix ans, la croissance était supérieure à celle de l'Allemagne. C'est le résultat de la politique de l'offre entreprise à la fin du mandat Hollande sous l'impulsion d'Emmanuel Macron. Cette politique a continué ensuite. Pour résumer, en étant un peu caricatural, elle repose sur l'idée qu'il faut redresser la capacité des entreprises à produire plutôt que de donner du pouvoir d'achat à court terme aux Français pour qu'ils achètent des écrans plats fabriqués en Chine. En ce qui concerne la qualité de la gestion pendant la crise sanitaire, il est encore trop tôt pour juger. Toute l'Europe a un peu recouru aux mêmes solutions sur le plan économique.
Vous vouliez changer le nom du Medef, quand est-ce que cela sera effectif ?
Le Medef signifie Mouvement des Entreprises de France. Plus personne ne le sait. On a malheureusement oublié le mot entreprise. Mais nous avons abandonné cette idée de changer de nom. On ne pouvait pas le faire au milieu d'une crise, cela aurait donné l'impression que l'on s'occupe de l'accessoire et non de l'essentiel.
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