09/01/2021

Chine: Le patron d'Alibaba Jack Ma n'a plus donné signe de vie depuis un discours critique de Pékin en octobre 2020.

"Disparition" de Jack Ma, fondateur d'Alibaba : "La Chine rappelle qu'elle peut dominer n'importe qui"

Etat de disgrâce
Alors qu'il était le deuxième homme le plus riche de Chine, le milliardaire Jack Ma n'a plus donné signe de vie depuis le 24 octobre après un discours critique à l'égard de Pékin. Une disparition qui interpelle tant le fondateur d'Alibaba est important dans le pays et interroge sur la situation des milliardaires dans un régime totalitaire.

Jack Ma ne répond plus. Deuxième milliardaire le plus riche de Chine et fondateur du site d'e-commerce Alibaba, celui qui se pensait intouchable dans son pays au point de déclarer « ne pas avoir peur d'adversaire plus grand que lui » s'est finalement fracassé contre la puissance du Parti Communiste Chinois (PCC).

Entre ses critiques contre le système bancaire chinois et ses activités de paiement en ligne qui ont chamboulé le monde de la finance dans le pays, l'homme d'affaires était une épine dans le pied du pouvoir chinois. Pékin a donc décidé d'agir. Depuis un discours à Shanghai le 24 octobre où il a clairement reproché à la Chine d'étouffer l'innovation et déclaré que les banques avaient une « mentalité de prêteur sur gages », Jack Ma n'a plus donné signe de vie. Au même moment, Xi Jinping aurait personnellement bloqué l'entrée en bourse de sa société Ant (dédiée au paiement en ligne) prévue le 5 novembre et le 24 décembre, la justice a lancé une enquête sur ses sociétés pour des pratiques jugées anticoncurrentielles.

Une offensive d'envergure de la part des autorités chinoises qui rappellent à tous les milliardaires du pays qu'ils ne font pas ce qu'ils veulent. Pour mieux comprendre la place qu'occupent les ultra-riches dans la Chine de Xi Jinping, Marianne a fait appel aux lumières de Mary-Françoise Renard, professeure d'économie à l'université Clermont-Auvergne, spécialiste de l'économie chinoise et auteure de L'économie de la Chine.

Marianne  : C'est quoi être milliardaire en Chine ?

Mary-Françoise Renard  : La Chine comporte toute une génération de milliardaires qui sont haut placés au sein du parti communiste et ont hérité d'un bagage politique et économique. Des gens malins ont également su tirer leur épingle du jeu en ciblant des secteurs où ils pouvaient gagner beaucoup d'argent comme l'immobilier, l'eau en bouteille ou encore les télécoms, à l'instar de Huawei. Dans le fond, il est possible de lancer son affaire sans soutien politique mais pour le rester, il faut l'appui du PCC.

Pourquoi ?

Quand une personne devient puissante et connue à l'international, sa parole a plus de poids. Il ne faut surtout pas risquer qu'il puisse dénoncer le gouvernement et les scandales. C'était déjà le cas avant mais cela s'est accentué depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013. Il a accru le poids de l'État sur les entreprises privées. Par exemple, depuis peu, le gouvernement demande la mise en place de comités avec une cellule du PCC au sein de chaque entreprise. Des représentants du pouvoir étaient déjà présents depuis longtemps pour vérifier que l'on y prodigue la bonne parole mais la tendance s'accroît.

Quid des membres du PCC ? Une carrière politique permet-elle de devenir milliardaire ?

Oui, mais ce sont avant tout les gens qui ont eu du pouvoir ou qui sont issus d'une famille puissante du PCC. Pour ceux qui ont des postes élevés, il est très simple de gagner de l'argent. Lorsque vous avez les autorisations nécessaires pour investir et monter des affaires tout va bien. En Chine, les liens entre business et politique sont assez étroits. C'est aussi ce qui explique les gros problèmes de corruption.

La présence de milliardaires en Chine est une tendance récente ?

Dans les années 90, à la suite des réformes de Deng Xiaoping qui a mis le pays sur la voie du capitalisme, les choses sont allées très vite. Milliardaires et inégalités sont apparus au même moment. Ce sont d'abord des grandes entreprises industrielles mais les choses ont beaucoup changé. De nos jours, ce sont surtout les secteurs de l'e-commerce, de la livraison de repas ou encore de la santé qui ont le vent en poupe. L'économie chinoise est assez conjoncturelle.

Leurs activités et leurs affaires sont-elles contrôlées par le PCC ?

Pas vraiment : ils sont relativement tranquilles sur ce point. Le contrôle est avant tout politique. Le PCC veille à ce que les milliardaires n'aient pas trop de pouvoir afin d'éviter toute opposition. C'est ce qu'on leur fait comprendre et tous les moyens de rétorsion des régimes autoritaires peuvent y passer. On pense notamment à des chefs d'entreprises hongkongaises, emprisonnés quelques jours pour leur rappeler qu'ils doivent coopérer avec les autorités. Pour le gouvernement, la politique prime sur l'économie.

Pensez-vous qu'il soit arrivé quelque chose de similaire à Jack Ma ?

Ma n'en était pas à son coup d'essai. Par le passé, il avait déjà critiqué le fonctionnement des marchés financiers chinois, ce que le gouvernement n'a pas apprécié. Son entreprise Ant avait également inquiété les autorités car elle accordait des prêts avec peu de contrepartie. Pour Pékin, cela représentait un certain risque car ils estimaient que la société ne finançait qu'une petite partie de ces prêts, tandis que le reste provenait de banques et d'entreprises qui supportaient le gros des risques. Mais son discours en octobre était sûrement la goutte d'eau. L'État chinois a clairement voulu montrer qu'il a une position dominante vis-à-vis de ces groupes qui pourraient lui faire de l'ombre. Le message s'adresse également aux autres milliardaires. L'idée est de rappeler que le gouvernement peut intervenir et faire ce qu'il veut. En parallèle, Pékin cherche à développer sa monnaie numérique, donc le contrôle de tout ce qui est financier est capital.

Vous dites que c'est également un message passé à d'autres milliardaires. Jack Ma n'est donc pas le seul à oser critiquer Pékin ?

Pas du tout. Récemment, le magnat de l'immobilier Ren Zhiqiang a été condamné à 18 ans de prison et 530.000 euros d'amende. Officiellement il est arrêté pour corruption mais officieusement, il a été interpellé pour des critiques autour de la gestion de l'épidémie sur Internet [Ren Zhiqiang a déclaré ne pas avoir « vu un empereur exhibant sa nouvelle parure mais un clown qui se déshabillait tout en continuant d'affirmer qu'il était empereur » visant Xi Jinping ; ndlr]. Ces choses arrivent dès lors qu'un dirigeant s'oppose ou crée des risques pour le pouvoir.

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