Je suis né Britannique et je resterai citoyen britannique jusqu’à mon dernier souffle.

Ma nationalité est un état d’esprit, et je n’ai aucune intention de changer. Je sais qui je suis, ce que j’aime – et c’est la Grande-Bretagne que j’aime, le pays tout entier, jusque dans ses moindres recoins. C’est mon île. Aucune déclaration de quelque politicien – ici aujourd’hui et disparu demain – ni aucun référendum sur telle ou telle question d’actualité ne saurait influencer la perception que j’ai de moi-même et de mon port d’attache. Le simple fait de coucher ces mots sur le papier me fait du bien.

“Le monde qui vous a vu naître n’existe pas dans l’absolu, et ne représente qu’un modèle de réalité”, disait l’anthropologue canadien Wade Davis. En réécoutant ces paroles, je me rends compte que la Grande-Bretagne n’existe pas davantage. Pas plus que l’Angleterre, l’Irlande, l’Écosse, le pays de Galles ni aucun autre pays, en fait. Il y a bien des paysages physiques inscrits sur la face de la Terre – des étendues de terre ferme distinguées de la mer. Mais le tracé des lignes et les pays nommés sont des produits de l’imaginaire collectif, et ils en sont d’autant plus lourds de sens. Ils sont ce que nous en disons. L’existence de notre patrie n’est ni plus ni moins qu’un acte de volonté, et aussi d’amour.

La question de l’indépendance n’a jamais disparu

La Grande-Bretagne doit-elle ou non continuer d’exister ? La question hante notre vie depuis maintenant des années. En 2014, un référendum demandait à la population écossaise si elle jugeait bon de rester au sein de la Grande-Bretagne, d’assurer sa pérennité. Une majorité s’est prononcée en faveur de l’union – pas moins de 55 % des électeurs. Ce clivage n’est un secret pour personne. Ce que la plupart des gens ignorent, en revanche, c’est que sur les 32 subdivisions administratives écossaises, 28 ont déclaré vouloir préserver l’union trois fois centenaire. Certes, c’étaient pour la plupart de petites circonscriptions, faiblement peuplées, écrasées par la densité des grandes conurbations des autres régions. Mais ne nous a-t-on pas appris qu’il faut savoir entendre les petites voix aussi bien que les grandes, et que les petites communautés déterminées et confiantes ont tout autant le droit de donner leur avis ? En dépit de cette décision, une décision claire et nette telle qu’il ne s’en prend “qu’une fois par génération”, la question n’a jamais disparu.

Comme tous ceux qui ont été invités à décider de l’avenir de la Grande-Bretagne, j’ai lu et écouté des milliers de mots sur la question. En étudiant les perspectives d’une Écosse séparée, j’ai failli devenir à moitié fou à essayer de décider qui croire et que croire. À quoi ressemblera la frontière ? À qui reviendront les ressources pétrolières ? Quelle monnaie adopter ? Qu’adviendra-t-il des relations avec l’Union européenne ? Des forces armées ? Des zones de pêche ? Une litanie sans fin de préoccupations, d’opinions, de promesses, de menaces et de dénégations.

L’histoire et l’économie n’ont aucun poids

J’ai fini par me forger une opinion sur tout ce qui précède, mais je laisserai tout cela de côté. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que j’ai compris depuis longtemps que ce n’était pas l’argument économique qui m’intéressait le plus. Les faiseurs de rêves et les défenseurs de causes, perdues ou non, se contrefichent d’économie. Et, fondamentalement, c’est quelque chose que je respecte. Un rêve aussi grandiose qu’un pays auquel on a envie de croire, d’appartenir, que l’on a envie de défendre, pour lequel on a envie de s’exprimer, de se battre et de mourir est un trophée autrement précieux que tout l’or du monde ou n’importe quel trésor.

On en a inlassablement appelé à l’histoire. Les deux camps – les unionistes et les séparatistes – vont chercher dans les mythes des origines de quoi revendiquer leur empire sur la terre et ses habitants, sur les cœurs et sur les esprits. La ficelle n’est pas nouvelle, et elle a été tirée plus souvent qu’on ne saurait le dire.

On a invoqué Brutus, ancêtre supposé de tous les Britanniques, et Scota, princesse tutélaire des Écossais, à laquelle l’Écosse devrait son nom ; mais qui aujourd’hui se soucie de savoir si ces fantômes ont existé ? Tout comme l’argument économique est trop réducteur, les belles histoires racontées il y a sept siècles n’ont aucun sens. Ni les fantômes ni les légendes ne constituent des fondations assez profondément ancrées pour convaincre les gens de la meilleure voie à emprunter aujourd’hui vers l’avenir.

L’Écosse aussi a participé à l’Empire

Thierry Gauthé/Courrier International
Thierry Gauthé/Courrier International

L’union remonte à plus de trois cents ans. L’alliance de l’Écosse et de l’Angleterre, scellée par l’Acte d’union le 1er mai 1707, était loin d’être un mariage heureux et personne n’en disconvient. La mariée était pauvre et le marié savait qu’elle ne l’épousait pas que pour son argent. Que ce mariage fût ou non heureux, il devait prouver que c’était la meilleure chose qui pouvait leur arriver, à l’un comme à l’autre. Mais voilà, l’Écosse et l’Angleterre qui se sont unies n’existent plus. Et il faut bien garder cela à l’esprit, comme tout le reste. Nos parents, qu’ils aient été heureux ensemble ou non, sont maintenant partis et ils ne reviendront jamais. C’est à nous, les enfants de cette union, qu’il revient de décider de ce que nous devons faire de notre héritage commun.

Plus récemment, les Écossais, ou du moins certains Écossais, ont cherché à se démarquer des longues années de l’Empire et du Commonwealth. Ce qui fut jadis un motif de fierté commune a depuis lors été représenté comme une honte nationale, et certains de ces Écossais ont tenté de faire croire, surtout de se convaincre eux-mêmes, qu’ils n’avaient aucunement participé à l’édification de la Grande-Bretagne impériale. Apparemment, une galopine de la cour des grands – l’Angleterre – l’avait créée puis avait pris la poudre d’escampette.

Cette position tellement éloignée de la vérité, cette affirmation tellement fausse, n’est rien de moins qu’un grossier mensonge. Nous, Écossais, avons été des bâtisseurs et administrateurs talentueux et enthousiastes de l’Empire – aussi étroitement liés à l’entreprise que quiconque, et, dans la foulée, nous nous sommes enrichis et engraissés avec ses bénéfices. Si c’était une entreprise honteuse, nous avons autant que n’importe qui d’autre notre part de honte. Il est absolument vital de garder en mémoire nos véritables comportements au cours des trois cents dernières années de notre union – les mauvais comme les bons.

Dessin de Ruben/Pays-Bas
Dessin de Ruben/Pays-Bas

Similitudes de caractère

Voilà pour l’économie et l’histoire – qui certes comptent l’une et l’autre, mais pas assez, ni séparément ni ensemble. L’important est ce que nous sommes maintenant, ce que nous pensons être… ce que nous pourrions ou devrions être à l’avenir. En cherchant à dépeindre la Grande-Bretagne et l’identité britannique sous un jour défavorable, les apôtres du séparatisme britannique se sont arrogé le beau rôle : non seulement l’Empire a commis ses méfaits derrière notre dos, à notre insu (c’est bien connu…), mais il semblerait qu’en plus les Écossais, et les Écossais seuls, soient les égalitaristes, les défenseurs attentionnés de la liberté. Au sud de la frontière se trouve donc l’incarnation de tout ce qui est corrompu, égoïste et impitoyable – le Mordor qu’est Westminster.

Si donc ni l’histoire ni l’économie ne sont des facteurs de cohésion, que reste-t-il ? Comment prétendre que nous, habitants de ces îles, formons une seule et même famille ? Les similitudes de caractère qui rapprochent les gens de Liverpool, de Belfast et de Glasgow m’ont sauté aux yeux du fait de leur tradition commune de construction navale. Mon beau-père anglais a appris son métier d’ingénieur dans les mines de charbon du sud de l’Angleterre avant de venir en Écosse pour fonder la famille qui fait désormais partie de la mienne. Son père, écossais, avait été mineur dans la Central Belt [en Écosse] et dans le sud-est de l’Angleterre. Tous deux parlent et parlaient de ce métier disparu avec un véritable amour. C’était un amour né de la camaraderie et de l’expérience partagée dans un monde souvent semé d’embûches. Au fond, il importait peu de savoir d’où vous veniez, tout ce que l’on vous demandait, c’était de savoir travailler et de veiller à la sécurité des gars de votre équipe. Les mineurs étaient en premier lieu des mineurs.

Ces îles, une maison à réparer

Cette Grande-Bretagne qui est la nôtre était et reste un phare dans un monde sombre qui ne cesse de s’obscurcir, un pôle d’attraction de l’humanité qui migrait dans l’espoir de trouver mieux ailleurs. Je répéterai ce que je disais en 2014. L’idée que, face à une Grande-Bretagne entière qui aurait besoin d’être réparée, rajustée et modernisée pour affronter l’avenir, nous, Écossais, puissions choisir de couper les ponts et de nous enfuir me fait tout bonnement monter le rouge au front. Je suis un Écossais britannique, et les Britanniques sont ma famille, tous. Je me contrefiche des politiciens et ce que je pense de la clique actuelle ne saurait aucunement me faire oublier ce qu’est réellement la Grande-Bretagne – pas plus que l’invasion de moucherons de l’été dernier ne pourrait me faire oublier la beauté des Highlands.

Qu’on le veuille ou non, nos îles sont des logements en location et, tôt ou tard, nous les libérerons pour laisser la place à de nouveaux locataires. On ne brûle pas sa maison au simple prétexte que l’on n’apprécie pas ses occupants du moment. Consolidons notre maison. S’il y a des réparations à faire, faisons-les. Traitons-la comme la grande demeure qu’elle est, et protégeons-la des vents et marées pour que toute la famille s’y retrouve. Toute la famille. Ne la subdivisons pas en appartements comme une méchante réhabilitation de promoteurs à la petite semaine.

J’aime la Grande-Bretagne plus que tout autre lieu sur terre. Je suis britannique. Je serai toujours britannique.