02/12/2020

Et si l’on réveillait la démocratie? - Challenges

Le recours, avorté, à un comité Théodule, pour réécrire une proposition de loi d’initiative parlementaire n’était pas seulement une "maladresse" inconséquente d’un pouvoir trop ignorant des règles démocratiques. C’était une faute politique grave, une de plus, témoignant d’un mépris des principes de base, et plus encore, de l’incapacité de concevoir, comme de mettre en œuvre, une politique pourtant promise - celle de la concertation, de la co-décision, l’une et l’autre au fondement de la démocratie. Celle que nos ennemis veulent abattre et qu’on affaiblit en l’ignorant.

Car ce pouvoir confond encore autorité et autoritarisme. "Il vit encore sous l’illusion, relève Patrick Mignola, président des député Modem à l’Assemblée nationale, qu’un pouvoir n’est fort qu’en affaiblissant le Parlement, alors qu’il se renforce d’un Parlement fort". Ce qui conduit la macronie à ajouter l’humiliation au dysfonctionnement: non seulement la volonté de passer en force sous prétexte de légiférer plus vite produit des textes de loi ni faits ni à faire (et souvent "cassés" par le Conseil Constitutionnel), mais, de surcroit, piétiner ses troupes alors qu’on est massivement majoritaire au palais Bourbon ne relève pas seulement de l’absurdité, c’est prendre le risque de la fracture politique après la bronca. Il arrive fatalement un moment où un élu se prend aussi à penser que lui aussi doit être respecté … et que la démocratie, elle, s’en porterait mieux!

Certes, le pouvoir doit faire face à plusieurs crises: le virus ravageur, le terrorisme assassin, l’économie partiellement sur le flanc, etc. L’état d’urgence sanitaire et sécuritaire a ses justifications que peu contestent. L’opinion elle-même réclame davantage de protection et un Etat, sinon "nounou", en tout cas "paternant". Mais la meilleure manière d’imposer des arbitrages, c’est de les préparer, de convaincre. Pour éviter les erreurs comme pour mieux faire accepter les décisions, ce qui est encore la façon la plus sûre de les faire respecter, encore faut-il savoir les faire partager. C’était d’ailleurs un des engagements pris par le président de la République, qui ne s’en est pas moins rétréci toujours plus autour d’arrêts pris en solo ou, en tout cas, dans le secret du comité de Défense. Décisions qui sont ensuite heureusement passées sur les plateaux de télévision au crible des experts de tous poils, des épidémiologistes, des responsables politiques, et des journalistes. Mêlées confuses souvent, mais qui font ressortir les inconséquences, les imprévisions, les erreurs d’appréciation dont il eut été plus sage de prendre conscience auparavant. Du coup, en quelques heures ou jours, les choix gouvernementaux sont désossés, contestés, trop souvent ridiculisés. Sans toujours trouver de défenseurs convaincants.

Le Parlement "brille" par son absence

On aurait ainsi moins exaspéré, ulcéré parfois, certaines catégories de la population – des restaurateurs punis aux catholiques pratiquants mal "jaugés", en passant par les exploitants de stations de ski fermées - contraintes de se battre becs et ongles pour leurs intérêts propres sans que les gouvernants aient pu les persuader que ceux-ci étaient contraires à l’intérêt général. Ajoutons ceci qui n’est pas négligeable: avoir fait passer pour "non essentiel" des activités qui le sont et qui concourent au bien-être général a entraîné des humiliations, des mortifications aussi tragiques, sinon plus, que la baisse des chiffres d’affaire. Et ensuite de se lamenter devant cette population en "trop grande dépression". Mais si on la déprime par ignorance "techno-morgueuse"?

Notons que, dans tout ce processus, le Parlement "brille" par son absence. Tout juste le président lui a-t-il concédé qu’il pourrait débattre des contraintes à imposer à ceux qui, frappés par le virus, refuseraient de s’isoler. C’est trop d’honneur, Monseigneur! Pourquoi les députés ne pourraient-ils pas aussi, ce n’est qu’un exemple, débattre de la vaccination  à venir? Le chef de l’Etat a décrété "qu’elle ne serait pas obligatoire". Mais voilà un beau sujet, éthique et politique, de responsabilité individuelle et collective, qui mérite que le peuple s’y investisse par la voie de ses représentants! Ainsi cesserait-on enfin de prendre les uns et les autres pour des enfants, et traduirait-on dans les faits le respect que le gouvernement prétend porter dorénavant à ces Français dont Emmanuel Macron a salué récemment le sens de la "responsabilité" sans en tirer toutes les conséquences démocratiques qui s’imposaient. Ils sont salués en "responsables", mais suspectés en permanence de ne plus l’être demain!

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Traiter les Français en adulte, c’est commencer par donner à leurs élus les informations et les raisons des choix effectués. Qui sait par exemple pourquoi le rayon de sortie autorisée a été fixé d’abord à 1 kilomètre puis à 20? Quelles sont les enquêtes, à part les études américaines très datées, qui ont conduit à la fermeture-punition des restaurants, y compris les plus spacieux et les mieux aménagés? On peut multiplier les exemples de cette information châtrée, dispensée selon le bon vouloir des décideurs, pour de nobles raisons sans doute, mais qui ne sont pas pleinement offertes en partage. On peut d’ailleurs aller plus loin!

L’insécurité, voilà une des angoisses premières des Français. Droite et gauche ont été impuissantes à apporter des réponses satisfaisantes. Les gouvernements d’Emmanuel Macron pareillement jusqu’ici, et le "reset sarkozyste" de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, promet des résultats tout aussi décevants que ceux qu’avait obtenus son mentor autrefois. Avec une sanction populaire qui pourrait être plus forte encore, car les "tartarinades darmanesques" font croire une fois encore à des résultats très improbables. Une nouvelle déception ne pourra être que sanctionnée vertement. Alors, pourquoi ne pas impliquer davantage les parlementaires, ceux de la majorité comme de l’opposition, dans le traitement du mal insécuritaire et les remèdes à y apporter? Pourquoi ne pas tenter de réveiller la démocratie, en matière sociale aussi? Parce que nous sommes trop proches de l’élection présidentielle? Sans doute. Mais nous avons connu Emmanuel Macron transgressif autrefois. Et après tout, c’est l’état d’urgence, non? L’urgence, par exemple, de retirer ce fameux article 24.

La démocratie française ne s’en porterait que mieux.

 

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