13/11/2020

Mélenchon: le plébiscite du pauvre - Telos par Gérard Grunberg

Décidemment, Jean-Luc Mélenchon n’est jamais à court d’idées. Il vient d’annoncer dimanche sa candidature à la prochaine élection présidentielle en l’accompagnant d’un magnifique geste démocratique: «Oui je suis prêt, je propose ma candidature. Je m’impose une condition. Je demande une investiture populaire. Je serai définitivement candidat si – et seulement si – je suis parrainé par 150 000 personnes.» Il s’agira en réalité d’une simple formalité puisque 150000 parrainages représentent 2% de ses électeurs de 2017 et un tiers des adhérents revendiqués de la France Insoumise. Alors, pourquoi organiser une telle farce puisqu’il est décidé à se représenter?

Notons d’abord que Mélenchon a réaffirmé en même temps son vieil objectif «d'abolir la monarchie présidentielle». Or comment maintenir la crédibilité de cet objectif alors que sa démarche politique est authentiquement personnelle et que son mouvement exclut par nature l’organisation d’une concurrence pour la désignation de son candidat à l’élection présidentielle – notamment celle d’une primaire ouverte – à laquelle il préfère cette sorte de plébiscite du pauvre, cette « investiture populaire » à bon marché ?

Rappelons d’abord ce qu’a été sa démarche depuis qu’il a quitté le Parti socialiste. En février 2009 il fonde avec Marc Dolez le Parti de gauche qui se situe à la gauche du PS. À la veille des élections européennes de la même année il participe à la création du Front de gauche qui rassemble le PCF, le Parti de gauche et plusieurs autres petites organisations de gauche et écologistes. En 2016, Mélenchon, annonce unilatéralement la fin de la coalition et fonde  la  France Insoumise et simultanément sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. Arrivé en quatrième position à cette élection il n’en obtient pas moins un score important, près de 20% des suffrages exprimés. En octobre 2020, soit dix-huit mois avant l’élection de 2022, le coordinateur de LFI, Adrien Quatennens, déclare : «Jean-Luc Mélenchon a donné son calendrier, il a dit qu'il consultait ses amis au mois d'octobre et qu'il donnerait une décision sans doute à la fin du mois ou le mois prochain». «Compte tenu du programme qu'il a défendu en 2017 et que nous remettons en circulation, compte tenu de son expérience, des équipes expérimentées que nous avons formées autour de lui, Jean-Luc Mélenchon est le bon candidat», ajoute-t-il. Il ne s’agit donc pas d’une désignation par LFI. Le candidat consulte simplement ses amis. L’éventualité d’une primaire n’est pas envisagée ni, encore à ce moment-là, du moins publiquement, celle d’une ratification de sa candidature par les «citoyens». Le 8 novembre, Mélenchon annonce lui-même sa candidature mais la conditionne au «parrainage» de 150000 d’entre eux.

Les partis personnels

La démarche du chef de la France insoumise épouse, avec la création ou la transformation des organisations politiques en « partis personnels », l’évolution générale, dans la politique française, de la relation entre les partis et les candidats potentiels à l’élection présidentielle.  Dans ce nouveau schéma, ce ne sont plus les partis qui désignent les candidats à cette élection mais les candidats qui fondent ou refondent des partis pour soutenir leur candidature. Ces partis excluent par nature l’organisation de primaires pour désigner leur candidat. L’élection présidentielle a accéléré cette évolution avec l’élection d’Emmanuel Macron. Celui-ci, membre du PS entre 2006 et 2009, puis du gouvernement socialiste jusqu’à son départ en août 2016, n’avait pas l’intention de participer à la primaire socialiste qu’il n’aurait eu aucune chance de remporter. Il s’est alors lancé seul à la conquête du pouvoir. La création de LREM le 6 avril 2016 puis son élection à la présidence de la République, suivie de la victoire législative de LREM et du Modem, ont renforcé l’idée que les partis de gouvernement classiques ne correspondaient plus aux exigences d’une époque où s’imposait de plus en plus la personnalisation du pouvoir.

Le Front national (aujourd’hui Rassemblement national) a été créé par Jean-Marie le Pen lui aussi comme un parti personnel – et même familial puisqu’il a été représenté sans interruption à l’élection présidentielle par un membre de cette famille – et il l’est demeuré jusqu’à aujourd’hui. Malgré ses deux défaites de 2012 et 2017 Marine le Pen a déclaré dès le 15 septembre dernier sa candidature à l’élection de 2022 : « Je prépare la présidentielle. (...) Ma décision a été réfléchie mais elle est prise », a-t-elle déclaré, marquant ainsi sa volonté de verrouiller très tôt sa candidature. Le maire de Béziers, Robert Ménard, qui n’est pas membre du RN mais partage ses idées, a affirmé qu’elle n’avait aucune chance d’être élue. « Il faut être réaliste, aujourd'hui un candidat étiqueté Rassemblement national, je vous garantis qu'il ne sera pas chef de l'État. Il faut faire apparaître un nouveau visage », a-t-il déclaré, ajoutant : « J’en ai assez des excuses des uns et des autres pour ne pas se présenter à la prochaine présidentielle. Je ne resterai pas étranger à ce débat-là. » Il se dit à la recherche d’un candidat susceptible de transcender les partis politiques. Ce disant, il reconnaît que le RN est bien une sorte de « parti personnel ». Marine Le Pen en est la candidate naturelle, la seule, incontournable et auto-proclamée. Dans cet espace politique tout autre candidat devra se présenter en dehors de ce parti.

Face à cette évolution, et compte tenu de leur affaiblissement – dramatique pour le PS et sensible pour LR – et de leurs divisions profondes, les deux anciens partis de gouvernement  se trouvent eux-mêmes dans l’impossibilité d’organiser à nouveau une primaire dans la perspective de 2022. L’élimination au premier tour en 2017 de leurs candidats respectifs, tous deux issus d’une primaire qui avait favorisé des positionnements plus radicaux, ne les encourage pas en outre à renouveler cette expérience. Surtout, l’évolution générale de la relation entre partis et candidats – où le rapport de forces entre les partis et les candidats s’établit clairement aujourd’hui en faveur de ces derniers dans un processus de personnalisation extrême du pouvoir interne – travaille ces deux organisations. Face au double phénomène d’autonomisation des candidats et d’affaiblissement des organisations partisanes traditionnelles les candidats potentiels n’éprouvent plus d’intérêt à participer à des primaires tandis que les partis n’éprouvent plus d’intérêt à les organiser.

Les dilemmes du PS et de LR

Face à cette situation, le PS et LR, ne disposant pas en leur sein de candidats crédibles, ont le choix entre deux stratégies, c’est-à-dire entre deux manières de disparaître comme partis présidentiels. La première est de désigner à tout prix un candidat, considérant que leur survie est liée à leur présence à cette élection. Le risque est alors de s’affaiblir encore davantage, voire d’être marginalisés, si leur candidat est écrasé. La seconde est de tenir pour durable un affaiblissement qui ne leur permet plus d’être des acteurs autonomes capables de contrôler un espace électoral suffisant pour demeurer un parti présidentiel et donc de chercher à participer à la recomposition inévitable du système partisan quitte à renoncer à y jouer un rôle majeur. Il s’agirait alors pour le parti de soutenir un candidat extérieur sans lui imposer ses conditions. C’est la tentation dominante actuelle au sein du PS qui cherche hors de ses rangs un candidat de la mouvance écologiste qu’il soutiendrait dans la perspective de participer à la constitution d’un nouveau pôle social-écologique.

À LR, une telle stratégie peut se concevoir aujourd’hui de deux manières différentes. Soit ce parti accepte de soutenir un candidat proche de lui mais qui l’a quitté, tel Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, ou qui entend disposer en son sein d’une totale autonomie, tel Nicolas Sarkozy. La difficulté est alors d’imaginer, exercice difficile, comme le souhaite le président du Sénat, Gérard Larcher, un « mode de départage » qui ne peut pas être une primaire ouverte. Cette stratégie se fonderait alors sur l’idée que LR dispose encore d’un espace électoral suffisant pour lui permettre de desserrer l’étau entre LREM et le RN et de voir son candidat qualifié pour le second tour. Sa limite est que, ce faisant, le parti joue quitte ou double. En effet, une nouvelle élimination au premier tour est possible, le scénario le plus probable étant pour l’instant que le second tour de l’élection de 2022 opposera les mêmes candidats qu’en 2017. L’avenir de LR serait alors gravement compromis.

Une autre conception de cette stratégie consisterait à envisager de manière beaucoup plus ambitieuse et avec davantage de chances la recomposition à venir en se positionnant comme un acteur majeur de celle-ci. L’histoire de la Ve République a montré en effet que les grandes recompositions politiques se sont effectuées à l’occasion de l’élection du président de la République. Ce fut le cas pour la droite avec les élections de Charles de Gaulle en 1958 et 1965, pour la gauche avec François Mitterrand en 1981 et pour le centre avec Emmanuel Macron en 2017. C’est ainsi que certaines voix à LR évoquent une recomposition politique à partir de LREM et de LR qui pourrait s’effectuer par un soutien commun à Édouard Philippe, l’homme politique actuellement le plus populaire, à la fois ancien membre de l’UMP et ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron. Ainsi, Jean-François Copé, ancien dirigeant de l’UMP, a glissé récemment lors d'un bureau politique de LR, selon Libération : « Je ne vois pas pourquoi on se casse la tête puisqu'on a Édouard Philippe ». Certes, celui-ci exclut de se présenter contre Emmanuel Macron, qu’il a, encore récemment, soutenu publiquement. Un tel scenario a donc peu de chances de se réaliser dans un proche avenir. Sa concrétisation confirmerait que, dans notre régime politique, c’est bien l’élection présidentielle qui structure le champ partisan et que c’est autour du candidat élu que s’opère la recomposition politique.

Des primaires aux sondages?

Les partis personnels et les anciens partis de gouvernement ont donc, pour des raisons différentes, rejeté la procédure de la primaire partisane ouverte. Cette disparition aura pour conséquence directe d’accroître encore le rôle des sondages dans le processus de sélection des candidats à l’élection présidentielle. S’en remettre à eux seuls présente cependant de réels inconvénients en affaiblissant le rôle que jouent les partis dans le fonctionnement de la démocratie représentative en équilibrant, notamment, la dimension croissante de personnalisation de la vie politique par l’existence et l’action de collectifs politiques ayant une certaine durée, une identité politique et une organisation et des sympathisants. Certes, la période actuelle de déstructuration-recomposition du système partisan français offre des opportunités aux entreprises personnelles. Une telle situation peut cependant encourager dans l’avenir les aventures populistes où un leader, surfant sur le rejet des partis dans l’opinion et ne voulant pas voir son pouvoir limité par eux, entend exercer un pouvoir personnel qui peut se révéler liberticide. Les sondages, quelle que soit leur utilité, incontestable, et le professionnalisme de nombreux instituts, ne sont pas des instruments adéquats pour remplir à eux seuls le rôle de sélection des candidats. Certes, le système américain des primaires, qui a permis en 2016 à Donald Trump d’être le candidat désigné du parti républicain, ne protège à coup sûr ni de la démagogie populiste ni d’un exercice du pouvoir autoritaire. Mais l’existence d’un autre parti puissant, structuré et organisé, tel le parti démocrate, dont le candidat a réussi à battre le président sortant, peut constituer dans la durée un obstacle réel à de telles déviations de la vie démocratique. La disparition de véritables partis politiques structurés et durables peut donc présenter dans certaines situations un danger pour le fonctionnement des régimes représentatifs.

 

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