13/11/2020

Climat : a-t-on déjà dépassé le point de non-retour ?

En pleine pandémie, on pourrait espérer que les mauvaises nouvelles sur le climat feraient une petite pause. Il n’en est, hélas, rien, et la dernière en date nous vient d’un duo de scientifiques norvégiens qui assurent, modélisation à l’appui, qu’il est déjà trop tard pour stopper le réchauffement qui se poursuivra encore pendant quelques siècles. Heureusement, ils proposent aussi quelques conseils pour s’en sortir.

Jørgen Randers est loin d’être un inconnu dans le monde des experts du réchauffement en Norvège. Ce professeur de stratégies climatiques à la BI Norwegian Business School d’Oslo a, entre autres, dirigé une commission gouvernementale sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans son pays. Son collègue Ulrich Golüke, lui, est un spécialiste des modélisations et de la dynamique des systèmes – comprenez que son expertise consiste à bâtir des outils d’analyse permettant de comprendre des phénomènes complexes, comme le climat.

Près de 3 degrés si on arrêtait tout aujourd’hui

Ces deux éminents professeurs cosignent ce soir dans la revue Scientific Reports un article au titre peu engageant : « Un modèle du système terrestre montre une fonte auto-entretenue du permafrost même si toutes les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine stoppent en 2020. » Derrière cette affirmation, plusieurs éléments apportent leur pierre à l’édifice d’un réchauffement difficile – voire impossible – à arrêter aujourd’hui.

Pour parvenir à ses conclusions, le duo a utilisé un modèle simplifié de l’ensemble des systèmes de la planète (cela inclut l’atmosphère, les océans, les forêts… et leurs diverses interactions) nommé ESCIMO. Cela leur a permis de réaliser deux simulations du climat et de son évolution depuis 1850, date qui peut être considérée comme celle de l’entrée dans l’ère industrielle, et jusqu’à plusieurs siècles dans l’avenir, en s’arrêtant à 2500.

2019 était la seconde année la plus chaude depuis le début des mesures (NASA’s Goddard Space Flight Center)

2019 était la seconde année la plus chaude depuis le début des mesures (NASA’s Goddard Space Flight Center)

Leur premier scénario est réaliste. Il suppose que l’humanité parvient à incurver ses émissions de gaz à effet de serre, qui atteindraient un pic en 2030 pour finalement atteindre zéro en 2100. C’est peu ou prou une vision optimiste à la manière de l’accord de Paris. Le second est irréaliste mais utile : il déduit ce qui se passerait si nous arrêtions aujourd’hui, du jour au lendemain, d’émettre les fameux polluants. La comparaison entre les deux apporte alors des éléments étonnants.

Dans le premier cas, la température va atteindre un pic à 2,3 °C au-dessus des normes préindustrielles en 2075. Elle va ensuite lentement diminuer pour arriver à 2 °C en 2150. Mais c’est ensuite que cela se corse, car les températures vont alors remonter pour atteindre les 3 °C de réchauffement en 2500, avec un niveau des océans plus haut de 3 mètres. Dans le second scénario, les températures montent beaucoup plus lentement et descendent même brièvement à 1 °C de réchauffement. Mais là aussi, elles recommencent à grimper à partir de 2100. En 2500, elles sont aux alentours des 2,75 °C supplémentaires, et le niveau des mers est à 2,50 mètres au-dessus de celui d’avant 1900.

Le point de non-retour, le moment où il aurait fallu arrêter nos rejets de carbone dans l’atmosphère, existe bel et bien… mais il se situe dans un passé déjà un peu lointain : entre 1960 et 1970.

La fonte des glaces, le permafrost et la vapeur d’eau

« Le résultat inattendu dans les scénarios 1 et 2 est que la température mondiale continue à monter pendant des siècles après que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine sont tombées à zéro », admettent les deux chercheurs. « Encore plus surprenant, au premier coup d’œil, est le fait que la température continue à monter après que la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère a décliné jusqu’à un retour au niveau préindustriel par l’absorption dans l’océan profond, la biomasse et les sols. »

Jørgen Randers et Ulrich Golüke citent trois éléments qui expliquent cet étonnant phénomène : l’assombrissement de la planète, la fonte du permafrost et la vapeur d’eau de l’atmosphère. Car si ce sont bien les émissions d’origine humaine qui ont provoqué le réchauffement global, elles ont déclenché des réactions qui ne dépendent presque plus de nos émissions présentes et futures.

Le premier est assez simple à comprendre. La Terre reçoit de l’énergie du Soleil, mais elle en renvoie une partie dans l’espace en la réfléchissant, un phénomène connu sous le nom d’albédo. Plus les sols sont clairs, plus ils réfléchissent – donc empêchent le réchauffement. Les surfaces les plus réfléchissantes sont les glaces des pôles, les glaciers, les neiges éternelles, autant d’étendues d’eau gelée que l’augmentation des températures fait fondre. La planète perd des zones claires et l’énergie qu’elles auraient reflétée va rester et augmenter le réchauffement.

La vapeur d’eau est elle aussi un « gaz à effet de serre », elle accumule la chaleur. Elle provient de l’évaporation, et celle-ci augmente avec la température… mais s’il y a davantage d’eau dans l’atmosphère, cela veut dire davantage de réchauffement. Une « boucle de rétroaction » qui s’auto-entretient même en l’absence de gaz carbonique (ou d’autres gaz). Les effets de la vapeur d’eau vont donc se prolonger tant que la température ne sera pas suffisamment redescendue.

Des effets de la fonte du permafrost sur l’île d’Herschel, au Canada (Boris Radosavljevic / Wikimedia Commons)

Des effets de la fonte du permafrost sur l’île d’Herschel, au Canada (Boris Radosavljevic / Wikimedia Commons)

Reste le permafrost. Ces sols gelés en permanence contiennent une grande quantité de méthane, un gaz dont l’effet de serre est 25 fois plus puissant que celui du gaz carbonique. Comme il y a moins d’étendues gelées, du fait du déclin de l’albédo, davantage de rayonnement solaire est absorbé par les sols. Ce qui veut dire que le permafrost va continuer à dégeler, et à émettre du méthane qui va favoriser le réchauffement. Là aussi, le phénomène est susceptible de s’auto-entretenir en l’absence de toute nouvelle émission humaine.

Pourquoi il faut tout de suite développer des solutions de capture du carbone

Cela signifie-t-il qu’il faut arrêter nos efforts de lutte contre la crise climatique ? Au contraire ! On constate déjà une différence entre les scénarios 1 et 2, qui montrent qu’un arrêt des émissions n’est pas sans conséquences sur le climat. De plus, l’étude n’envisage pas de scénarios pessimistes dans lesquels le pic des émissions irait au-delà de 2030, donc une prolongation de nos effets délétères sur l’environnement et la température de la planète.

Plus on tarde, et plus la situation risque de s’aggraver. Mais si les conclusions du duo de scientifiques norvégiens sont correctes, même un arrêt total des émissions cette année ne suffirait pas. Il faudrait employer d’autres méthodes.

Jørgen Randers et Ulrich Golüke ont calculé la quantité de gaz carbonique que nous devrions extraire de l’atmosphère pour éviter les cycles d’auto-entretien du réchauffement par la vapeur d’eau et le permafrost. Selon eux, il serait nécessaire de capturer et stocker – ou de transformer en bioénergie, toujours avec capture et stockage – 33 gigatonnes de CO2 par an. « En d’autres termes, construire 33 000 grandes centrales de capture et stockage du carbone et les faire fonctionner indéfiniment » précisent-ils.

Des centrales permettent déjà de capturer le gaz carbonique émis lors de processus industriels (combustion…) et de le stocker dans les sols, ou de le transformer en énergie ou en produits utilisables (ammoniaque, alcool…). Mais leur nombre est ridiculement faible comparé à ces besoins titanesques, et ces centrales n’extraient pas le gaz carbonique de l’atmosphère – un domaine encore au stade du concept –, elles se contentent d’en éviter les émissions.

Le principe de la capture et du stockage du carbone : le gaz carbonique est transformé dans une usine et injecté dans les profondeurs de la terre (Provided by Global CCS Institute)

Le principe de la capture et du stockage du carbone : le gaz carbonique est transformé dans une usine et injecté dans les profondeurs de la terre (Provided by Global CCS Institute)

Au mois de juin, le think tank international Global CCS Institute en recensait 59, dont 21 en fonction, trois en construction et 35 à différents stages de développement, l’ensemble avec une capacité de capture de 127 millions de tonnes de CO2 par an là où il en faudrait 33 milliards. Cela donne une idée de l’ampleur du problème et de l’enjeu technologique et financier.

« C’est techniquement faisable mais cela serait extrêmement cher », reconnaissent les deux professeurs norvégiens. « Des solutions meilleur marché existent pour stopper un réchauffement auto-entretenu (via différentes formes de géo-ingénierie), mais elles auront des effets secondaires imprévus et non désirés au-delà de rabaisser les températures. »

Ils font allusion à toute une série d’idées avancées ici et là, mais dont l’efficacité est loin d’être démontrée et qui pourraient se retourner contre nous. On a par exemple évoqué la dispersion de grandes quantités de soufre (ou de calcaire) dans l’atmosphère pour « simuler » une méga-éruption volcanique génératrice de refroidissement, ou encore de réduire artificiellement la taille des cirrus [nuages présents dans la couche supérieure de la troposphère].

Il faut bien sûr ajouter des moyens plus naturels comme le reboisement, ou la modification des pratiques agricoles pour capturer davantage de carbone dans les sols… tout ce qui, aujourd’hui, n’est pas fait à grande échelle.

On le voit, si les deux chercheurs norvégiens ont raison, il faudrait tout de suite réfléchir à l’implantation généralisée de centres de capture et de stockage de carbone (et les financer). Mais ont-ils raison ? Le modèle qu’ils ont utilisé n’est pas le seul en circulation. Jørgen Randers et Ulrich Golüke encouragent d’ailleurs d’autres scientifiques à explorer leurs hypothèses en utilisant d’autres instruments d’analyse.

En attendant, la meilleure stratégie à adopter est d’accélérer nos efforts pour faire tomber à zéro les émissions de gaz à effet de serre le plus tôt possible. Car d’ici 2500, la crise climatique aura, hélas, fait de gros dégâts et de nombreuses victimes.

 

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