13/11/2020

En France, l’école de la République est désormais un terrain miné

En France, les établissements scolaires sont devenus des zones de lutte où enseigner sans tabous constitue un défi, constate la presse étrangère après l’assassinat de Samuel Paty. Elle se penche sur le sort des professeurs, et sur le rôle particulier de l’école dans l’Hexagone.

Vu des Pays-Bas •​ La fabrique des citoyens

Si l’assassinat de Samuel Paty a tant touché la France, affirme De Volkskrant, “c’est que, outre la tragédie humaine, les idéaux les plus profonds du pays ont été atteints”. Le quotidien néerlandais explique à ses lecteurs la conception française de la laïcité et, surtout, de l’école républicaine : “En France, il est impensable que vous entriez en classe pour déposer votre enfant. Les parents saluent leurs enfants devant la porte, et ceux-ci entrent seuls, comme si, symboliquement, ils étaient confiés aux enseignants au service de l’État, qui en feront de bons citoyens* français.”

“Avec la sécularisation qui a accompagné l’après-guerre”, le principe de séparation de l’Église et de l’État – qui a accompagné l’instauration de l’école républicaine sous la IIIe République – “n’était pratiquement plus remis en cause, poursuit le journal. Mais cela a changé avec l’immigration en provenance de pays musulmans”, qui a reposé la question de cet aménagement. Elle se manifeste dans des questions “d’ampleur assez limitée”, comme les repas halal, ou plus centrales, comme le respect de la minute de silence après l’attentat de Charlie Hebdo.

Dès lors, il est devenu évident que la République, avec sa tradition parfois irrévérencieuse, ne parvenait plus à atteindre certains de ses membres. La tâche des enseignants n’en a été que renforcée : celle de porter les valeurs françaises jusqu’aux banlieues* les plus reculées”. Et c’est précisément de cette responsabilité que Samuel Paty a tenté de s’acquitter, conclut le quotidien.

Vu d’Allemagne • Des professeurs pris en étau

En France, les professeurs sont pris en étau entre un programme scolaire qui prévoit expressément d’enseigner la liberté d’expression, et un manque d’expérience et de formation qui les rend vulnérables face à des jeunes et des familles radicalisés, analyse die Zeit. 

L’hebdomadaire allemand s’appuie notamment sur le rapport Obin pour détailler dans son article, les difficiles conditions de certains enseignants, et leur solitude. “Or ce sont précisément les jeunes professeurs inexpérimentés qui, pour leurs premiers postes, sont généralement affectés dans des établissements situés dans des zones socialement défavorisées”, relève die Zeit.

Le journal cite le témoignage de Katja Terhechte, professeur d’allemand en France. Cette native de Munster a longtemps enseigné à Marseille dans un quartier majoritairement pauvre et musulman, un quartier où “ça bouillonne”, raconte-t-elle. De son point de vue, poursuit die Zeit, la mission des professeurs est plus difficile en France qu’en Allemagne : “avec le principe de laïcité, ils se retrouvent pris en tenaille entre des élèves musulmans qu’il s’agit de ne pas offenser et les valeurs de la République qu’ils ont la charge de faire respecter. C’était la position de Samuel Paty. Deux sons de cloche. En réalité, cette tension est presque irréductible. Il y a d’un côté la République, qui veut voir garanti le droit de blasphémer, y compris à l’école ; de l’autre, il y a des élèves musulmans qui apprennent à la maison que toute forme de critique de leur religion, et a fortiori de mépris, ne saurait être tolérée.” 

Vu du Danemark • “Charlie” obligatoire pour tous ?

Et si l’enseignement des célèbres dessins de Charlie Hebdo devenait obligatoire pour tous ? Ce débat a surgi au Danemark après qu’une professeure, en signe de solidarité avec Samuel Paty, avait annoncé sur Facebook vouloir montrer les caricatures de Mahomet lors des cours ; déclaration qu’elle a vite dû rendre “privée” après avoir reçu des menaces. Plusieurs hommes politiques se sont prononcés en faveur d’un enseignement obligatoire, l’idée étant qu’ainsi il n’incomberait pas aux professeurs de décider ce qu’il faut inclure dans les cours, pour les dispenser de cette responsabilité.

Mais aux yeux du quotidien Jyllands-Posten – le premier à avoir publié les caricatures du Prophète, et qui n’ose plus le faire par peur d’attaques d’islamistes extrémistes –, l’État ne peut pas garantir la sécurité des professeurs.

“L’enseignement peut toujours être insultant, chacun trouvera raison de se sentir offensé à un moment ou à un autre. C’est honteux quand les hommes politiques veulent faire assumer par les professeurs les conséquences d’un état sociétal qu’ils ont eux-mêmes créé.” Ce sont les professeurs qui se retrouvent en première ligne. “Et ce n’est pas une honte d’avoir peur de se faire égorger. La violence fonctionne. On est arrivé à la même conclusion ici au journal.”

Vu de Suisse • Des témoignages qui sidèrent

Être professeur d’histoire-géo dans la France de 2020 n’a plus rien du cours pépère sur le Roi-Soleil ou les maquettes de volcans, écrit la Tribune de Genève. “Après la décapitation de Samuel Paty, les langues se délient et les témoignages nous sidèrent en Suisse, où ces matières n’ont jamais été contestées. […] En face des professeurs, c’est de plus en plus la dérive d’ados désinformés, croix gammées gribouillées sur les cahiers. Des ados, qui, grâce à Instagram et TikTok, ont déjà un avis sur tout, imparfait et tronqué, auquel s’ajoute celui de la famille. Sur le millier de signalements d’atteintes à la laïcité ces six derniers mois, 20 % concernaient les parents. Et on est loin de la réalité, puisque beaucoup d’incidents sont passés sous silence, par refus de stigmatiser l’élève, mais aussi par peur. Alors, lorsqu’il faut aborder en classe la décolonisation à travers l’exemple de l’Algérie ou de l’Inde, certains profs choisissent Gandhi. Franchement, qui peut leur en vouloir ?”

Vu d’Italie • Une autocensure silencieuse

Selon le quotidien romain La Repubblica, la particularité de l’école française est qu’elle est considérée comme l’endroit où s’effectue “le passage des valeurs républicaines entre générations”. Une République qui, affirme le journal, “a dans la laïcité sa religion civile”. Il s’agit donc là d’une valeur à transmettre mais, comme le constate le journal italien, ce passage de valeurs est désormais menacé, ce qui ouvre le débat sur la “liberté de l’enseignement”. “Il y a deux ans déjà, une enquête du gouvernement expliquait que 38 % des professeurs s’étaient déjà sentis ‘menacés’ et donc ‘conditionnés’ dans leurs enseignements de la laïcité, rappelle La Repubblica. 37 % des enseignants avaient, eux, reconnu s’être autocensurés à cause de menaces reçues par des parents d’élèves intégristes. Très peu d’entre eux ont dénoncé ces pressions violentes. Ces professeurs ont géré dans la solitude le poids de la peur et des menaces islamistes et, toujours dans le silence, ont décidé de revoir leurs choix didactiques, en mutilant leur liberté d’enseigner.”

Vu du Canada • La nécessaire liberté pédagogique

“Alors que la France pleure aujourd’hui un ‘martyr de la République’, il me semble que la leçon de cet assassinat sauvage est moins celle de tenir tête coûte que coûte aux fous d’Allah comme le clament de plus belle les autorités françaises”, écrit le quotidien Le Devoir. “La leçon est plutôt celle de la nécessaire liberté pédagogique. La liberté de dire et de montrer les choses comme elles sont lorsqu’il s’agit d’expliquer des événements ou des idées, lorsqu’il s’agit, en fait, de se heurter à ce qu’on ne connaît pas encore. Être forcé de sortir du confort de l’indifférence, obligé de se cogner continuellement à ses propres limites, n’est-ce pas là le but de toute éducation ?”

 Source Courrier International

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