On voudrait nous faire croire que la crise du la Covid solde un épisode du capitalisme et ouvre les portes du monde d’après et en accélère l’avènement. Le monde d’avant, qui se meurt sous nos yeux, c’est celui du productivisme carboné et financiarisé. Qui aurait placé la finalité de la valeur actionnariale au-dessus de toutes les autres. Qui aurait fluidifié le capital à un tel degré que le lien des grandes entreprises au territoire se serait totalement distendu. Le monde d’après, c’est l’horizon de l’effondrement final pour les plus pessimistes ou c’est celui qui romprait avec les dérives du précédent, pour le rendre plus soutenable, plus durable. Qui replacerait l’environnement, l’humain, le territoire, les grands équilibres sociaux au cœur de sa régulation. C’est un grand classique. Une histoire sans cesse répétée. Dans un monde en transformation continue, l’avant, sur lequel nous portons soudain un regard dépassionné, paraît définir un régime stable et fonctionnel, mais révolu. Le futur est l’horizon de l’idéalisation, du normatif ou au contraire des prophéties les plus sombres. Et entre les deux, le présent est toujours vécu comme un chaos, un déséquilibre non viable, et au mieux une transition entre deux points supposés stables.
Cette
lecture récurrente du présent nous fait perdre de vue l’essentiel. Nous
ne sommes pas aujourd’hui à la fin d’un monde, mais bien à son apogée.
Croire que ce que nous vivons enterre le capitalisme financiarisé est
une vue de l’esprit. Jamais au contraire, le grand rêve de la finance de
marché de reporter les risques sur les autres agents, et notamment sur
les personnes et de s’immuniser contre les aléas de l’économie réelle
n’a atteint un tel degré. Si l’on voulait avoir une preuve, il suffit de
regarder les cours de bourse, et tout ce qui a été mis en œuvre pour
obtenir un résultat aussi improbable.
Cette
immunité a été conquise d’étape en étape, crise après crise. Sa
première conquête des années 80-90, a été d’obtenir, en mettant à terre
les syndicats, la variabilité des rémunérations et la flexibilité de
l’emploi. Le détenteur du capital refuse de porter le risque d’une
instabilité des profits et reporte l’incertitude sur les salariés ou un
essaim d’emplois flexibles ou en freelance. Cette quête de la
variabilité des coûts n’a cessé de gagner du terrain, via
l’externalisation des process, et la plateformisation, qui permet de
reporter les ajustements sur la sous-traitance. Et elle franchit un
nouveau seuil aujourd’hui avec le télétravail qui permet à certaines
entreprises de toucher du doigt le rêve du « officeless ». Un monde
merveilleux, ou même l’immobilier basculerait dans le champ des coûts
variables. Où le collaborateur fournirait son travail, et la surface qui
va avec… nouveau degré de l’ubérisation du monde. La grande conquête de
la financiarisation du monde, c’est aussi d’intéresser les dirigeants à
tout de qui produit de la valeur actionnariale, et fixe son attention
sur la rentabilité à deux chiffres des fonds propres.
Le ROE que l’on dit à 15% pour simplifier demeure jusqu’à ce jour, et quelles que soient les secousses de l’économie réelle depuis 20 ans, l’objectif inaltérable des groupes cotés. Et tout a été fait pour y parvenir. Les actions ne sont plus un outil de financement. Tout ce qui contribue à la dilution de la valeur est prohibé. Bien au contraire, les groupes les rachètent pour doper les cours. La fair-value permet de faire du levier de façon quasi invisible. La revalorisation des éléments intangibles des bilans accompagne la montée de l’endettement qui demeure stable en apparence lorsqu’on le rapporte à la valeur des actifs. Et peu à peu et plus que jamais, les gestionnaires d’actifs sont devenus l’acteur pivot de la financiarisation. Ils ont atteint une telle taille critique, un tel degré de concentration que nulle entreprise cotée n’ose déroger aux objectifs financiers que ces fonds leur assignent. Ils jouent plus que jamais la concentration des secteurs… pourquoi se priver d’une rente de monopole qui booste la valeur des titres quand on détient les prédateurs et les cibles ? Les banques elles-mêmes se sont tellement engagées dans le jeu du levier, ont leur sort si intimement lié à celui des investisseurs, la menace de faillites en chaîne et d’emballement systémique est si fort, que ce sont toutes les instances de contrôle et de régulation bancaire qui se retrouvent pieds et main liés. Si elles ne fournissent pas la liquidité nécessaire au grand glouton financier, si elles osent rehausser un tant soit peu les taux d’intérêt, c’est tout l’édifice qui s’effondre. Elles se retrouvent de fait assujetties à la loi des gestionnaires de fonds.
Or
c’est bien ce monde-là, qui est à son apogée. Banques centrales et
Etats marchent main dans la main pour éliminer le risque de sinistralité
qui serait couteux pour la finance. Au final c’est le contribuable des
générations futures qui paiera pour l’immunité de la finance
d’aujourd’hui. Et les fonds de gestions, continuent à bien se porter.
Ils ont plus que jamais la main sur les choix d’investissement,
autrement dit sur la construction du monde de demain.
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