21/10/2020

L'Observatoire de la laïcité dans la tourmente: un organe consultatif abonné aux polémiques

La sanction est donc tombée. Matignon confirme ce mardi 20 octobre soir les changements à venir à la tête de l'Observatoire de la laïcité, organisme consultatif chargé «d'assister le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France». Ce communiqué fait suite à un article du Point publié la veille, révélant le limogeage prochain de Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité.

«Il ne s'agit pas simplement d'une question de personnes», précise alors Matignon. «(...) La volonté du premier ministre est de renouveler une instance afin qu'elle soit davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes», poursuit Matignon. Le premier ministre Jean Castex recevra «dans les tout prochains jours Jean-Louis Bianco pour lui faire part de la décision du gouvernement».

Ce n'est pas la première fois que la direction de cette instance consultative est directement visée. Ces dernières années, en réalité, l'Observatoire de la laïcité n'a cessé d'être la cible de critiques, à droite comme à gauche de l'échiquier politique.

Conception ouverte de la laïcité

Mais les controverses suscitées par ses avis ont surtout reflété le véritable clivage de la gauche politique française autour de la notion de laïcité. Face à une gauche républicaine et laïque, partisane d'une vision intransigeante de la laïcité, souhaitant imposer la neutralité dans l'espace public au sens large, l'Observatoire de la laïcité a toujours défendu une conception plus ouverte. Pour défendre cette vision, ses représentants disent s'appuyer uniquement sur le droit et notamment la loi de 1905 : «toute la loi, rien que la loi», se plaisent-ils à répéter. Des positions toutefois jugées laxistes, notamment sur des sujets sensibles liés à la question de l'islam en France, sur fond de montée de l'islamisme et de multiplication des attentats islamistes sur le territoire.

Régulièrement, cette commission rattachée à Matignon dénonce par ailleurs une «instrumentalisation de la laïcité» qui ne servirait qu'à alimenter division et discrimination, notamment à l'encontre des musulmans. Dès sa nomination à la présidence de l'Observatoire, en 2013, le socialiste Jean-Louis Bianco faisait ainsi part de sa préoccupation face à « la montée évidente de l'islamophobie dans notre pays ».

Jean-Louis Bianco et son comparse Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire, sont alors accusés de défendre, en s'abritant derrière leurs compétences juridiques solides, une conception anglo-saxonne de la régulation des cultes, favorisant alors le communautarisme.

Janvier 2016 : la polémique Valls-Bianco, démissions successives à l'Observatoire

Une vive polémique éclate notamment en janvier 2016 entre Jean-Louis Bianco et le premier ministre Manuel Valls, partisan d'une vision «intransigeante» de la laïcité. À l'origine, une tribune intitulée « Nous sommes unis », parue dans Libération en novembre 2015, et signée par Bianco, ainsi que plusieurs entités musulmanes, dont certaines réputées proches de l'islamisme, telle les Frères musulmans et le Comité contre l'islamophobie en France (CCIF), que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin souhaite dissoudre, comme il l'a annoncé peu après l'attentat visant le professeur Samuel Paty.

«Il doit être clair sur les appels que l'on signe: on ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant d'un climat nauséabond», attaque alors Manuel Valls, le 18 janvier, à l'occasion du dîner des Amis du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Mais Manuel Valls s'en prend également à Nicolas Cadène, qui avait critiqué la vision intransigeante de la laïcité défendue par la philosophe Élisabeth Badinter : «Un collaborateur d'un observatoire de la République ne peut pas s'en prendre à une philosophe comme Élisabeth Badinter (…) à partir de ses propos: c'est une défense intransigeante, que je partage d'ailleurs, de la laïcité dans bien des domaines. (…) L'observatoire est indépendant, mais là il y a des lignes qui ont été dépassées et je le rappellerai à chacun ». Le 6 janvier, Élisabeth Badinter avait mis le feu aux poudres en déclarant : « il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe ». Nicolas Cadène avait alors accusé la philosophe, sur Twitter, d'avoir « détruit un travail de pédagogie de trois ans sur la laïcité ».

Au sein même de l'Observatoire, s'affrontent alors ces deux conceptions de la laïcité : celle dite «apaisée», que souhaitent incarner Bianco et Cadène, et l'autre, plus offensive face à la montée de l'islamisme. Depuis un an déjà, trois membres de l'Observatoire contestent publiquement les prises de position de leur direction : Jean Glavany, député socialiste, Françoise Laborde, sénatrice radicale de gauche et Patrick Kessel, président du comité laïcité République. Ce tweet de Nicolas Cadène contre Élisabeth Badinter est «l'affaire de trop». Cinq jours après, ils claquent la porte de l'Observatoire. Le 21 janvier, c'est au tour du juriste Hugues Portelli, sénateur LR du Val-d'Oise. Une pétition, relayée par l'hebdomadaire Marianne, demande la démission de Jean-Louis Bianco. Soutenue par le parti radical de gauche, elle est alors signée par plusieurs milliers de personnes.

Alors premier ministre, Manuel Valls tente lui-même d'obtenir le départ des deux dirigeants de l'Observatoire de la laïcité auprès du Président François Hollande. En vain. «Parce qu'il ne maîtrisait pas le sujet», relatait un proche de Valls au Figaro, et qu'il craignait les remontrances de Ségolène Royal, proche de Cadène et de Bianco (qui fut son directeur de campagne en 2007 puis son conseiller au ministère de l'écologie).

Août 2016 : Nicolas Cadène contre les arrêtés anti-Burkini

En août 2016, Bianco et Cadène s'attirent de nouveau des critiques en prenant position contre les arrêtés municipaux anti-Burkini, alors attaqués en justice par le CCIF. «Cet arrêté renforce la stigmatisation des personnes de confession musulmane», assure ainsi Nicolas Cadène dans 20 minutes. Selon lui, si «l'interdiction du voile intégral dans l'espace public repose, elle, sur un motif de sécurité publique, le principe de laïcité ne peut pas être invoqué pour justifier l'interdiction du burkini».

C'est peut-être l'une de ses faiblesses, qu'il reconnaît lui-même : Nicolas Cadène, tout en dénonçant les polémiques inutiles» sur la laïcité, y réagit très régulièrement sur Twitter. En 2018, il prend ainsi la défense de Maryam Pougetoux, vice-présidente de l'Unef, boycottée par plusieurs élus parce qu'elle se présentait voilée à l'Assemblée nationale en mai 2018. Le 12 août, de nouveau, il prend position à propos de la campagne polémique de Gap, présentant une fillette voilée, en expliquant qu'elle n'est pas contraire à la loi.

Or, c'est cette position purement juridique qui, souvent, agace ses opposants, l'accusant alors d'éluder le fond du débat. «La question n'est ni juridique, ni même à proprement parler religieuse, elle est politique. Le hijab n'est pas un bout de tissu neutre. C'est un symbole de l'islam politique», lui répond ainsi l'hebdomadaire Marianne à propos de la polémique de l'Unef.

Janvier 2019 : polémique autour du service national universel

En janvier 2019, un nouveau différend oppose le président de l'Observatoire de la laïcité au gouvernement, à propos du service national universel (SNU). Consultée par Gabriel Attal, secrétaire d'État chargé de piloter sa mise en place, l'instance consultative estime que le droit ne permet pas d'interdire les signes religieux ostensibles durant cette période, hormis pour certaines activités.

Le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer, défendant une approche stricte de la laïcité à l'école, se fend d'un commentaire glaçant : «L'Observatoire de la laïcité ne m'a pas consulté avant (…). C'est évidemment une recommandation que je ne suivrai pas». Le ministre ne s'arrête pas là. Il saisit le Conseil des sages de la laïcité, instance qu'il a lui-même créée en janvier 2018, présidé par la sociologue Dominique Schnapper – dont Bianco est également membre. Dans son avis du 4 février 2019, le Conseil des sages contredit et désavoue alors la position de l'Observatoire.

En octobre 2019, une nouvelle polémique éclate tandis qu'une proposition de loi LR vise à interdire le port de signes religieux pour les parents accompagnant les sorties scolaires. Sur Twitter, Nicolas Cadène martèle qu'en vertu du droit actuel, le port du voile n'est pas interdit pour les mamans accompagnant les sorties scolaires.

Plus récemment, pourtant, Nicolas Cadène avait fait preuve d'un soutien public aux annonces récentes d'Emmanuel Macron contre le séparatisme. Et pour cause : nombre des propositions de l'Observatoire de la laïcité ont été officiellement reprises dans ces annonces, telles la transparence sur les fonds des mosquées, le basculement de leur forme associative vers le régime prévu par la loi de 1905, la fin du système des imams détachés ou encore le renforcement de l'article 35 de cette loi.

Les mandats du président et du rapporteur général de l'Observatoire devaient être renouvelés en avril 2021. L'Élysée pourrait attendre cette date pour apaiser les esprits... ou faire le choix d'agir vite, au risque de perdre des alliés à gauche - Cadène et Bianco bénéficiant de nombreux soutiens, y compris chez LREM - et de se voir reprocher un acte politique, en pleine émotion après l'attentat de vendredi dernier contre le professeur Samuel Paty.

À VOIR AUSSI - Zemmour: "Le sentimentalisme et l'humanitarisme s'allient pour détruire la France"

 

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