21/10/2020

Oui au séparatisme. Le Point par Kamel Daoud

A
u discours de Macron sur le séparatisme islamiste, les réactions ont été nombreuses, comme attendu. Mais les plus fascinantes sont celles des non-Français rétifs à l’idée d’un islam de France structuré, soumis à la loi et pensé librement, qui leur fait pousser de grands cris. La raison ? Des raisons. Ainsi, dans l’élan de sa mythologie d’incarnation de l’islam mondial, Erdogan a été le premier à s’insurger : « provocation », délit d’« impertinence » et procès en légitimité qualifient, selon lui, le discours de Macron. On peut facilement saisir le sens de cette réaction. Erdogan travaille depuis maintenant des décennies l’idée sous-entendue d’une représentation mondiale de l’islam et du retour, en mode soft, d’une conception du califat. Par l’usage du souvenir, des milices syriennes et libyennes, du parrainage de la galaxie des Frères musulmans ou de la « défense » de la Palestine et des musulmans opprimés dans le monde. L’« internationale islamiste » a son représentant et le contre-discours d’Erdogan au discours de Macron était prévisible. La réaction est venue par ailleurs d’un concurrent du Grand Turc pour le leadership : l’institution égyptienne El-Azhar, qui a qualifié le discours sur l’islam français de « raciste » et de « provocation »

Que penser, alors ? Le plus flagrant : un islam de France, structuré par l’État, encadré par des lois et soumis à la République n’arrangerait pas les affaires de l’internationale islamiste et de ses leaderships concurrents. Une telle volonté, pourtant souveraine et légitime de par le droit, leur ferait perdre la main sur les communautés locales et le communautarisme nourri à la « confession ». Un islam de France fait perdre l’usage d’un islam contre la France, fait perdre du pouvoir d’interventionnisme dans un pays tiers et appauvrit le mythe, jamais épuisé ni oublié, d’une contre-croisade. 

Mais de quel droit, alors, croit-on pouvoir intervenir dans les affaires d’un pays tiers ? Celui de la propriété : l’islam appartient aux musulmans, ceux du sud, et donc pas à la France. Il est conçu comme une sorte de nationalité, supranationale bien sûr, en soi, concurrentielle de la francité. Le voir soumis à une république et à ses lois, c’est le voir s’émanciper et inaugurer une idée intolérable : celle de sa réforme possible, ici, au sud, de sa libération des castes dominantes et des tutelles des orthodoxies. Celle de devoir le concilier avec la modernité et la laïcité. 

Perte de territoire. L’islam peut avoir une prétention universelle, l’islamisme vise un impérialisme au sens le plus brutal. Un islam français, c’est une atteinte possible à la frontière, en extension permanente, de l’islamisme. C’est une perte de territoire. Et la « vérité » ne peut pas se contenter de la moitié de la géographie. C’est de cette croyance en une vérité universelle que procèdent les réactions absurdes d’El-Azhar et d’Erdogan. « Qui es-tu, pour parler de structuration de l’islam ? » avait hurlé Erdogan à Macron. On peut rétorquer, lassé : « Qui est Erdogan, pour se scandaliser de cette question française ? »

Le chroniqueur s’est d’ailleurs toujours étonné de cette outrecuidance amusante : si la France évoque le sort des chrétiens en Algérie ou la christianophobie en Égypte, il s’agira d’intervention étrangère, d’immixtion scandaleuse et d’atteinte à la souveraineté, selon les élites de ces pays. Mais le contraire ne l’est pas, ironiquement. C’est d’ailleurs cette clause qui a faussé le débat en France : on permet qu’un ministre des Affaires religieuses algérien donne son avis et pose ses conditions sur la gestion de l’islam en France, mais on interdit à un politique français de se prononcer sur cette question, sous risque de procès en islamophobie, d’atteinte au tabou identitaire, de discours racial. Cette dépossession étant convenue, tout le reste en procède : Erdogan en imam universel, Macron en ennemi de l’islam et l’islam en propriété des pays d’« origine ». On se scandalisera, à la fin, d’évoquer le droit à la souche, sauf pour une croyance précise. 

Oui, donc, au séparatisme : celui qui séparera une confession du mythe d’un pays d’origine pour lui faire épouser un pays réel§

 
 

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