13/10/2020

Les trois fractures de la gauche par Gilles Raveaud via Alternatives économiques

La gauche, dans son état actuel, n’a aucune chance en 2022. Elle est traversée par trois conflits majeurs (*), pour des raisons profondes. Tant qu’ils seront ignorés, nous n’aurons aucune chance.
(*) L'Europe, l'Environnement, l'Identité...

1/ L’Europe

Comme d’autres, j’ai perdu des amis lors du débat sur la Constitution européenne en 2005. En 2017, la position sur l’Europe a été la première cause de désaccord entre les électeurs de Benoît Hamon et ceux de Jean-Luc Mélenchon.

Pour les hamonistes, le climat, l’immigration, l’emploi… sont des problèmes européens, et même mondiaux, qui appellent une solution qui dépasse les frontières de la France. Pour eux, c’est une évidence factuelle, ce n’est même pas une opinion. C’est donc un argument très fort.

Pour les mélenchonistes, l’Union européenne, par la mise en concurrence des pays, mine leur capacité d’agir. L’UE a été à l’origine de la destruction des services publics en monopole, cœur de l’identité de gauche, et même de la France. L’UE accentue la mondialisation marchande.

Il est en outre facile de démontrer que l’euro, depuis sa création, a aggravé le chômage en France. Tout d’abord lors de la longue période de conversion, au cours des années 1990, réalisée au moyen de politiques d’austérité qui ont entraîné des millions de chômeurs supplémentaires sur le continent. Ensuite après la crise de 2008, lorsque l’UE a, une nouvelle fois, mené des cures de rigueur budgétaire.

Enfin et surtout, pour les mélenchonistes, l’UE n’est pas démocratique, puisque le Parlement européen n’a aucun pouvoir ni sur la Commission, ni sur le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. Ce sont là aussi des justifications puissantes.

2/ L’environnement

Pour les écologistes, nous sommes en train de détruire la possibilité de vivre sur terre. Le mode de vie français exige trois planètes. Il faut donc massivement réduire la production, le chauffage, les transports, tout. Pour les écologistes, la croissance économique est condamnée par les limites physiques de la planète. Le seul choix est alors entre décroître de manière organisée tout de suite, ou subir cyclones, sécheresses, inondations… c’est-à-dire subir une violente décroissance.

A l’inverse, pour les productivistes, qui sont la branche de la gauche ultra-dominante depuis deux siècles, la croissance économique permet l’emploi, et la réduction des inégalités, en donnant une chance au fils d’ouvrier de devenir cadre. A leurs yeux, c’est la croissance qui nous a donné le confort moderne, sans précédent dans l’histoire de l’humanité : logements vastes et confortables, boulots peu fatigants, voiture, voyages, ciné, congés payés... Des choses très importantes dans la vie.

Les fractures sur l’Europe, l’écologie, l’identité viennent s’ajouter aux déchirures habituelles de la gauche, à commencer par l’opposition entre réforme et révolution, toujours présente. Cela fait donc trop, beaucoup trop

Autrement dit encore, pour les productivistes, la croissance est une condition nécessaire de l’émancipation individuelle. La génération qui avait 20 ans en 1968, celle de mes parents, a pu, bien plus qu’aucune génération avant elle, choisir son métier, parce qu’il y avait du boulot. Génial !

Enfin, les productivistes estiment que l’écologie réduit le niveau de vie à coups d’énergie propre, de nourriture bio, de biens produits en France plutôt qu’en Chine... Tout cela coûtera très cher, alors que le pouvoir d’achat des classes populaires baisse à cause du chômage, de la stagnation des salaires, du coût croissant du logement, de la santé, et des études.

Pour rapprocher ces points de vue, il faudra démontrer que l’écologie améliore le niveau de vie. Et même cela ne résoudra pas le clivage frontal sur la croissance, problème numéro un pour les uns, solution à tout pour les autres.

3/ L’identité

Pour les universalistes, attachés à une laïcité stricte, l’aveuglement volontaire de la République aux différences entre les individus est la condition sine qua non de l’égalité. Chacun doit avoir les mêmes droits et devoirs, point.

Pour celles et ceux que l’on peut qualifier d’« identitaires », même si ce terme est très problématique – et le fait qu’il n’y ait pas de mot qui convienne est un problème majeur –, ce discours est hypocrite, prononcé par les individus qui ne subissent aucune discrimination : hommes, bourgeois, blancs, hétérosexuels... Les identitaires pensent que l’accès à l’égalité réelle nécessite la reconnaissance des différences. Les Noirs connaissent mieux leurs problèmes spécifiques que les autres, tout comme les personnes LGBT. Invoquer leur « identité », la revendiquer dans l’espace public, la voir discutée, est une immense fierté pour les personnes concernées.

Pour ces personnes, tous les débats sur le racisme, les statues, les violences discriminatoires des policiers… constituent un immense progrès car elles sont le premier pas nécessaire vers une égalité réelle qui n’a jamais existé, ni en France, ni nulle part.

A l’inverse, pour les universalistes, la logique identitaire conduit à une surenchère permanente, avec des divisions à l’infini entre groupes, sous-groupes, sous-sous-groupes... Elle alimente la concurrence de tous contre tous pour la reconnaissance de sa spécificité. De plus, pour les universalistes, la logique identitaire fait le jeu du patronat, comme aux Etats-Unis, où l’élection de Donald Trump s’explique en partie par un discours unique aux ouvriers, contrairement à Hillary Clinton, qui avait un message différent pour chaque « communauté ».

Résoudre ces clivages

Je résume. La gauche est fracturée en trois morceaux au moins : l’Europe, l’écologie, l’identité.

Ces fractures viennent s’ajouter aux déchirures habituelles de la gauche, à commencer par l’opposition entre réforme et révolution, toujours présente. Cela fait donc trop, beaucoup trop.

Il n’est pas du tout absurde de se demander si le mot « gauche » a encore un sens, et il vaudrait mieux travailler sérieusement sur cette question plutôt que de se laisser aller à des facilités intellectuelles et de venir chougner après chaque défaite électorale.

Ces fractures existent aussi à droite, évidemment. Mais la droite a un électorat naturel – vieux, personnes aisées, agriculteurs, professions libérales... – qui, surtout, vote, lui. De plus, la droite peut jouer sur des thèmes faciles : immigration, sécurité, ordre... C’est donc du velours pour elle. Thèmes qui par ailleurs divisent la gauche, et qui vont de plus en plus la scinder, avec la montée de la misère et des violences au cours des mois à venir.

A propos des trois questions étudiées ici, les femmes et les hommes de gauche ont des convictions profondes, réfléchies. Ce ne sont pas des positions que l’on peut réconcilier avec des programmes électoraux fourre-tout. Surtout qu’elles sont en opposition frontale.

Les dirigeants de gauche doivent travailler à résoudre ces clivages, ce qui sera très difficile. Or je constate que, pour l’instant, leur existence, évidente, n’est même pas admise publiquement par la majorité des élus et dirigeants des partis concernés.

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