28/10/2020

Jérôme Fourquet : "L'état d'esprit ambiant est une acceptation résignée des mesures sanitaires"

Fin de la récréation. Emmanuel Macron doit annoncer ce mercredi 28 octobre de nouvelles mesures contre la recrudescence de l'épidémie de Covid-19, dans une allocution télévisée diffusée à 20 heures. Le président français devait trancher entre plusieurs scénarios lors d'un conseil de défense mercredi matin, alors que le nombre de cas graves connaît une brusque remontée : 2.909 malades du Covid-19 étaient hospitalisés en réanimation ce mardi, soit un niveau équivalent à celui du 25 mars dernier. Et face à des courbes de plus en plus inquiétantes, l'exécutif pourrait ressortir l'artillerie lourde. Selon France Inter et Europe 1, un confinement généralisé était en effet l'option privilégiée mardi, dans une version plus souple que celle de la première vague : les écoles et les collèges resteraient notamment ouverts.

Une telle mesure est aujourd'hui désapprouvée par une majorité de Français, à en croire un sondage Harris Interactive pour LCI. Dans cette étude, réalisée mardi auprès d'un échantillon représentatif de 1.026 personnes, seuls 45 % des répondants se disent ainsi favorables à un confinement "tous les jours au niveau national". Ils sont toutefois nettement moins nombreux à affirmer vouloir défier les consignes : 15 % indiquent qu'ils ne respecteraient pas le confinement, quand 31 % l'appliqueraient "en [se] permettant quelques exceptions". Tandis qu'un dispositif moins contraignant serait nettement plus soutenu, toujours selon ce sondage. Un confinement limité au week-end et aux zones "où le virus circule le plus" y recueille notamment 73 % d'approbation, un taux qui tombe à 65 % si la mesure devait s'appliquer tous les jours de la semaine. Mais malgré ces chiffres, un nouveau confinement ne devrait pas susciter une large opposition selon Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l'Ifop et auteur de L'Archipel français.

Marianne : Les nouvelles restrictions que doit annoncer Emmanuel Macron risquent-elles d'être rejetées par les Français ?

Jérôme Fourquet : Tout dépendra de l'ampleur des sacrifices demandés, et s'il y aura des exemptions, des seuils de tolérance. Un autre paramètre très important est le niveau d'inquiétude de la population, son évaluation de la menace. On a bien vu pendant la première vague que la peur était très présente, et qu'elle avait été un ingrédient déterminant du large respect du confinement. Aujourd'hui, l'inquiétude pour soi ou ses proches mesurée dans les sondages est très élevée, et assez similaire à celle observée en mars-avril. D'autres indicateurs peuvent attester de ces craintes, comme les très nombreux recours aux tests, et le respect massif du port du masque dans la rue. Tout le monde a aussi en tête le risque d'avoir une forme grave de la maladie, et de se retrouver face à des urgences saturées. Savoir si la France est un cas isolé ou pas est un troisième facteur : voir que la flambée de l'épidémie n'est pas l'apanage de notre pays, et que nos voisins prennent aussi des mesures contraignantes peut atténuer le sentiment de colère.

"Le crédit de certains spécialistes a été malmené mais les soignants gardent un très haut niveau de légitimité"

Une fois que l'on a regardé tout ça, je pense que l'état d'esprit ambiant est une forme d'acceptation résignée des mesures. Sur le mode : "Il faut en passer par là, même la mort dans l'âme et en traînant des pieds nous allons nous y conformer". Il y aura beaucoup de rancœur, mais nos concitoyens sont avant tout inquiets, et perçoivent clairement les chiffres d'hospitalisation comme les appels au secours du personnel soignant. Car si le crédit de certains spécialistes a été malmené par les joutes auxquelles nous avons assisté sur les plateaux télé, les soignants gardent un très haut niveau de légitimité, notamment ceux qui travaillent en réanimation. Et ce qu'ils disent depuis une dizaine de jours sur la situation des hôpitaux est fortement entendu.

Le sondage d'Harris suggère pourtant une forte opposition à un nouveau confinement…

À mon avis, ces résultats ne reflètent pas une opposition ferme et argumentée, mais davantage une forme de souhait, une préférence si l'on n'était pas obligé d'en repasser par là. Sinon, vous n'auriez pas derrière 85 % des gens qui indiquent être prêts à l'appliquer, même si la peur de l'amende peut jouer en ce sens. Pour les 15 % restants, il faut aussi avoir en tête la géographie extrêmement diversifiée de la France. Dans des territoires très ruraux ou peu touchés par le virus, des habitants peuvent se dire que malgré le confinement, ils vont prendre leur voiture pour aller voir leur famille, en empruntant des petites routes parce qu'on sait qu'il n'y a jamais de gendarmes. Et si le confinement a été bien respecté partout pendant la première vague, on a aussi vu que l'inquiétude vis-à-vis du virus était vécue différemment entre un arrondissement de Paris et une zone à faible densité.

Des représentants du patronat ont alerté en début de semaine sur les dégâts que provoquerait un nouveau confinement. Les Français ont-ils choisi entre les impératifs sanitaires et économiques ?

On voit dans nos enquêtes que les inquiétudes sur les conséquences économiques de la crise sont encore plus partagées que sur l'aspect sanitaire. Mais pour autant, on ne voit pas de majorité ou même de minorité forte pour réclamer l'arrêt des mesures et que l'on mette la priorité sur la survie du tissu économique. Face aux courbes des décès et des admissions en réanimation, aux traumatismes que peuvent provoquer les nombreuses morts dans certains EHPAD, tout contre-argumentaire est balayé. Il n'y a d'ailleurs pas de voix forte dans le débat public qui dise que le remède est pire que le mal : aucun responsable politique ou patronal n'a défendu un tel message.

Aujourd'hui, le mot d'ordre est davantage de faire la guerre avec zéro morts.

Plus largement, un enseignement important de la crise est que le prix de la vie humaine a été placé tout en haut de l'échelle en matière de décisions politiques. Et je pense que la plupart des pays occidentaux se sont rangés derrière cette hiérarchie de valeurs. J'ai travaillé sur une comparaison avec la grippe de Hong Kong de 1968, qui avait balayé l'Europe et les États-Unis. À l'époque, il n'y a pas eu de débat : ce n'est même pas venu à l'esprit de mettre à l'arrêt des pays entiers pour combattre une vague épidémique. Il y a eu un changement profond depuis, avec une société devenue plus hédoniste, et une sacralisation de la vie humaine et de l'individu. Autrefois, il était collectivement admis que certaines décisions peuvent conduire à de nombreux décès, typiquement une intervention militaire. Aujourd'hui, le mot d'ordre est davantage de faire la guerre avec zéro morts. On l'a vu aussi en matière de sécurité routière : là où les morts sur la route étaient vu comme une fatalité il y a 50 ans, elles ne sont plus acceptables aujourd'hui.

Les Français acceptent-ils davantage les mesures sanitaires que dans d'autres pays ?

À ce stade, nous n'avons pas eu de manifestation de rue témoignant d'une hostilité violente contre les mesures. Alors que des opposants au port du masque ont défilé il y a quelques semaines en Allemagne et en Espagne, et que des manifestations ont parfois viré à l'émeute dans certaines régions italiennes. En Allemagne, cela peut s'expliquer par un attachement à la liberté en même temps qu'une moindre inquiétude, alors que le pays a été nettement moins touché que la France en septembre. Mais en même temps, l'application de traçage allemande a été bien plus téléchargée que StopCovid. Une autre comparaison peut être faite avec les États-Unis, où une forte politisation politique s'est installée autour des mesures sanitaires, qui ont été critiquées par Trump et les Républicains. Ce qui n'est pas du tout le cas en France sur ces questions.

À LIRE AUSSI >>Décès, personnes contaminées, en réanimation… Le vrai du faux des indicateurs Covid


marianne.net

Jérôme Fourquet : "L'état d'esprit ambiant est une acceptation résignée des mesures sanitaires"

Sébastien Grob

Fin de la récréation. Emmanuel Macron doit annoncer ce mercredi 28 octobre de nouvelles mesures contre la recrudescence de l'épidémie de Covid-19, dans une allocution télévisée diffusée à 20 heures. Le président français devait trancher entre plusieurs scénarios lors d'un conseil de défense mercredi matin, alors que le nombre de cas graves connaît une brusque remontée : 2.909 malades du Covid-19 étaient hospitalisés en réanimation ce mardi, soit un niveau équivalent à celui du 25 mars dernier. Et face à des courbes de plus en plus inquiétantes, l'exécutif pourrait ressortir l'artillerie lourde. Selon France Inter et Europe 1, un confinement généralisé était en effet l'option privilégiée mardi, dans une version plus souple que celle de la première vague : les écoles et les collèges resteraient notamment ouverts.

Une telle mesure est aujourd'hui désapprouvée par une majorité de Français, à en croire un sondage Harris Interactive pour LCI. Dans cette étude, réalisée mardi auprès d'un échantillon représentatif de 1.026 personnes, seuls 45 % des répondants se disent ainsi favorables à un confinement "tous les jours au niveau national". Ils sont toutefois nettement moins nombreux à affirmer vouloir défier les consignes : 15 % indiquent qu'ils ne respecteraient pas le confinement, quand 31 % l'appliqueraient "en [se] permettant quelques exceptions". Tandis qu'un dispositif moins contraignant serait nettement plus soutenu, toujours selon ce sondage. Un confinement limité au week-end et aux zones "où le virus circule le plus" y recueille notamment 73 % d'approbation, un taux qui tombe à 65 % si la mesure devait s'appliquer tous les jours de la semaine. Mais malgré ces chiffres, un nouveau confinement ne devrait pas susciter une large opposition selon Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l'Ifop et auteur de L'Archipel français.

Marianne : Les nouvelles restrictions que doit annoncer Emmanuel Macron risquent-elles d'être rejetées par les Français ?

Jérôme Fourquet : Tout dépendra de l'ampleur des sacrifices demandés, et s'il y aura des exemptions, des seuils de tolérance. Un autre paramètre très important est le niveau d'inquiétude de la population, son évaluation de la menace. On a bien vu pendant la première vague que la peur était très présente, et qu'elle avait été un ingrédient déterminant du large respect du confinement. Aujourd'hui, l'inquiétude pour soi ou ses proches mesurée dans les sondages est très élevée, et assez similaire à celle observée en mars-avril. D'autres indicateurs peuvent attester de ces craintes, comme les très nombreux recours aux tests, et le respect massif du port du masque dans la rue. Tout le monde a aussi en tête le risque d'avoir une forme grave de la maladie, et de se retrouver face à des urgences saturées. Savoir si la France est un cas isolé ou pas est un troisième facteur : voir que la flambée de l'épidémie n'est pas l'apanage de notre pays, et que nos voisins prennent aussi des mesures contraignantes peut atténuer le sentiment de colère.

"Le crédit de certains spécialistes a été malmené mais les soignants gardent un très haut niveau de légitimité"

Une fois que l'on a regardé tout ça, je pense que l'état d'esprit ambiant est une forme d'acceptation résignée des mesures. Sur le mode : "Il faut en passer par là, même la mort dans l'âme et en traînant des pieds nous allons nous y conformer". Il y aura beaucoup de rancœur, mais nos concitoyens sont avant tout inquiets, et perçoivent clairement les chiffres d'hospitalisation comme les appels au secours du personnel soignant. Car si le crédit de certains spécialistes a été malmené par les joutes auxquelles nous avons assisté sur les plateaux télé, les soignants gardent un très haut niveau de légitimité, notamment ceux qui travaillent en réanimation. Et ce qu'ils disent depuis une dizaine de jours sur la situation des hôpitaux est fortement entendu.

Le sondage d'Harris suggère pourtant une forte opposition à un nouveau confinement…

À mon avis, ces résultats ne reflètent pas une opposition ferme et argumentée, mais davantage une forme de souhait, une préférence si l'on n'était pas obligé d'en repasser par là. Sinon, vous n'auriez pas derrière 85 % des gens qui indiquent être prêts à l'appliquer, même si la peur de l'amende peut jouer en ce sens. Pour les 15 % restants, il faut aussi avoir en tête la géographie extrêmement diversifiée de la France. Dans des territoires très ruraux ou peu touchés par le virus, des habitants peuvent se dire que malgré le confinement, ils vont prendre leur voiture pour aller voir leur famille, en empruntant des petites routes parce qu'on sait qu'il n'y a jamais de gendarmes. Et si le confinement a été bien respecté partout pendant la première vague, on a aussi vu que l'inquiétude vis-à-vis du virus était vécue différemment entre un arrondissement de Paris et une zone à faible densité.

Des représentants du patronat ont alerté en début de semaine sur les dégâts que provoquerait un nouveau confinement. Les Français ont-ils choisi entre les impératifs sanitaires et économiques ?

On voit dans nos enquêtes que les inquiétudes sur les conséquences économiques de la crise sont encore plus partagées que sur l'aspect sanitaire. Mais pour autant, on ne voit pas de majorité ou même de minorité forte pour réclamer l'arrêt des mesures et que l'on mette la priorité sur la survie du tissu économique. Face aux courbes des décès et des admissions en réanimation, aux traumatismes que peuvent provoquer les nombreuses morts dans certains EHPAD, tout contre-argumentaire est balayé. Il n'y a d'ailleurs pas de voix forte dans le débat public qui dise que le remède est pire que le mal : aucun responsable politique ou patronal n'a défendu un tel message.

Aujourd'hui, le mot d'ordre est davantage de faire la guerre avec zéro morts.

Plus largement, un enseignement important de la crise est que le prix de la vie humaine a été placé tout en haut de l'échelle en matière de décisions politiques. Et je pense que la plupart des pays occidentaux se sont rangés derrière cette hiérarchie de valeurs. J'ai travaillé sur une comparaison avec la grippe de Hong Kong de 1968, qui avait balayé l'Europe et les États-Unis. À l'époque, il n'y a pas eu de débat : ce n'est même pas venu à l'esprit de mettre à l'arrêt des pays entiers pour combattre une vague épidémique. Il y a eu un changement profond depuis, avec une société devenue plus hédoniste, et une sacralisation de la vie humaine et de l'individu. Autrefois, il était collectivement admis que certaines décisions peuvent conduire à de nombreux décès, typiquement une intervention militaire. Aujourd'hui, le mot d'ordre est davantage de faire la guerre avec zéro morts. On l'a vu aussi en matière de sécurité routière : là où les morts sur la route étaient vu comme une fatalité il y a 50 ans, elles ne sont plus acceptables aujourd'hui.

Les Français acceptent-ils davantage les mesures sanitaires que dans d'autres pays ?

À ce stade, nous n'avons pas eu de manifestation de rue témoignant d'une hostilité violente contre les mesures. Alors que des opposants au port du masque ont défilé il y a quelques semaines en Allemagne et en Espagne, et que des manifestations ont parfois viré à l'émeute dans certaines régions italiennes. En Allemagne, cela peut s'expliquer par un attachement à la liberté en même temps qu'une moindre inquiétude, alors que le pays a été nettement moins touché que la France en septembre. Mais en même temps, l'application de traçage allemande a été bien plus téléchargée que StopCovid. Une autre comparaison peut être faite avec les États-Unis, où une forte politisation politique s'est installée autour des mesures sanitaires, qui ont été critiquées par Trump et les Républicains. Ce qui n'est pas du tout le cas en France sur ces questions.

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