28/10/2020

Jacques Sapir: De l'islamo-gauchisme, de son origine et de la confusion que ce terme contribue a créer dans le débat publique, et du problème des "accommodements deraisonnables" avec les islamistes

Le terme « islamo-gauchisme » a envahi le débat publique, ayant été employé en particulier par le ministre de l'Education nationale, M. Blanquer. Il a provoqué de nombreuses protestations, certaines justifiées, d'autres non. Il est en réalité simplificateur (les convergences idéologiques entre l'islamisme et des courants politiques ne concernent pas, à l'évidence, que la gauche) et il porte à confusion car il ne permet pas de traiter du problème des « arrangements déraisonnables » qui ont été passés entre des partis considérés comme « républicains » et la mouvance islamiste pour des raisons de clientélisme électoral ou de contrôle social.

(1) Le terme d'islamo-gauchisme cherche à décrire des convergences idéologiques entre la mouvance « gauchistes » (qui peut être étendue dans le débat à une partie de la gauche que l'on ne considèrera pas comme « gauchiste ») et la mouvance islamiste. Ce terme n'est nullement transposable au terme « judéo-bolchévique » utilisé avant guerre par l'extrême-droite, car ce dernier voulait en réalité désigner le fait que le projet « bolchévique » (et communiste pas association) était fondamentalement l'œuvre des « juifs ». Ces derniers étaient pensés non pas comme une idéologie mais comme un groupe vague incluant toute personne d'origine, même lointaine, juive. Au contraire, le terme d'islamo-gauchisme désigne très clairement une association idéologique, réelle ou supposée. Il n'a donc rien à voir avec le précédent quoi que l'on en dise. Nul n'a prétendu que l'islamisme pouvait être comparable à l'usage qui était fait du terme « juif ». Au contraire, le terme d'islamisme renvoie à une définition précise d'ordre idéologique.

(2) Il est incontestable que des convergences sont apparues entre certains courants d'extrême-gauche et l'islamisme sur deux points : la question d'Israël (et du problème palestinien) et la question de l'émergence de courants dits « anti-impérialistes » dans le monde arabe. Cette convergence implique la reprise d'une partie du discours antisémite des islamistes qui est alors « justifié » par les actions – souvent très discutables voire scandaleuses – du gouvernement israélien. A l'antisionisme originel (mise en cause du projet sioniste ou de l'action du gouvernement israélien) se substitue un antisémitisme à peine masqué. Cette convergence peut aussi être théorisée par le fait que certains analysent les mouvements islamistes comme l'expression d'une « conscience anti-impérialiste » dans le monde arabe, voire d'une « conscience démocratique ». On a ainsi salué les attentats du 11 septembre comme des « actes anti-impérialistes », et présentés des groupes islamistes djihadistes comme des défenseur de la démocratie en Syrie ou en Egypte. Cette convergence n'est d'ailleurs pas le fait seulement de l'extrême-gauche, mais a pu concerner des milieux de la « gauche de gouvernement ».
Mais, les courants ayant assumés cette convergence sont extrêmement minoritaires. Il est ainsi mensonger de considérer la France Insoumise ou le PCF comme « islamo-gauchistes ».

(3) Les convergences avec l'islamisme ne s'arrêtent pas à une fraction de l'extrême-gauche. Une fraction de l'extrême droite, en particulier dans la mouvance identitaire du début des années 2000, s'est rapprochée des islamistes par antisémitisme (déguisé dans une apparence d'antisionisme) et par un discours extrêmement primitif concernant la critique d'un « mondialisme » qui aboutit à faire de quiconque combat l'idéologie et les forces « occidentales » une « force positive ».
Il n'est donc pas étonnant que certaines personnalités de cette mouvance aient pu participer à des manifestations aux côtés d'islamistes notoires, en partageant leurs slogans. Il serait ainsi logique de parler à leur sujet d'islamo-identitarisme. Ici encore, ces courants sont extrêmement minoritaires.

(4) Le principal défaut des termes « islamo-gauchisme » ou « islamo-identitarisme » est qu'ils contribuent à masquer les pratiques de collusion, qui ont été celles de quasiment tous les courants politiques, avec la mouvance islamiste pour des raisons de clientélisme depuis une vingtaine d'années. C'est un problème bien plus important.
Si les groupuscules peuvent être spectaculaires, ils ne sont rien dans l'avancée et la pénétration des idées islamistes par rapport à ces pratiques de collusion. Ces dernières peuvent être très diverses, allant du fait d'accepter la non-mixité dans des établissements publics (les piscines par exemple) à des subventions à des associations diffusant une discours islamistes (associations qui se cachent derrière l'alibi culturel très souvent), en passant par des pratiques de clientélisme électoral ouvertes (dans le cadre des élections municipales notamment). Ces pratiques ont été le fait de quasiment TOUS les partis, de droite, de gauche et du centre. Elles reposent sur l'illusion que par ces « arrangements déraisonnables » les dits partis arriveront à conserver des mairies, à maintenir l'ordre social et à empêcher un embrasement des banlieues. Ces pratiques ont effectivement empêché l'émergence de listes ouvertement communautaristes-islamistes mais se sont traduites par une forme de légitimation « républicaine » aux organisations et aux personnalités islamistes. Le terme d'islamophobie, et son corolaire de « lutte contre l'islamophobie », a joué un rôle important dans la légitimation de ces pratiques clientélistes et a été utilisé pour réduire au silence ceux qui les contestaient.

(5) Au-delà, on peut assimiler à ces pratiques de clientélisme la diffusion au sein des administrations de consignes qui vont dans le sens d'une non-réaction aux provocations incessantes des islamistes, ce que l'on appelle le « pas de vague ».
L'Education nationale fut, historiquement, la plus touchée que ce soit aux titres des enseignements (Histoire-Géographie, EMC, mais aussi SVT et Education Physique, voire Français, Musique et Histoire des Arts) mais cela concerne aussi la fonction publique territoriale et d'autres administrations. Que les consignes de ne pas réagir aient été prises à l'échelon local, à celui du rectorat, ou à l'échelon national, elles font parties de ces « accommodements déraisonnables » avec l'islamisme qui ont favorisé sa croissance et ont contribué à la situation actuelles. Le fait que ces consignes puissent émaner de la gauche comme de la droite montrent bien que ces « accommodements déraisonnables » ne peuvent être liés à un problème partisan.

(6) La réduction du problème des collusions politiques avec l'islamisme à l'islamo-gauchisme, l'utilisation inadéquate et inappropriée de ce terme en particulier au sein du gouvernement de Jean Castex, révèle une volonté de manipulation inquiétante. Il est faux de coller cette étiquette à des forces comme la France Insoumise ou le PCF. Il est juste, par contre, de s'intéresser aux « accommodements déraisonnables » avec les islamistes pouvant exister dans ces partis, mais en ayant l'honnêteté de dire qu'il en va autant (et même parfois plus) de nombreux partis (PS, LAREM, Les Républicains, MODEM,…), que ceux-ci aient lieu au niveau local ou au niveau national.
La prise de conscience du danger que l'islamisme fait courir à notre pays et à notre démocratie impose une prise de conscience générale.

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