18/10/2020

Ces centaines d'incidents que décrivait le rapport sur la laïcité à l'école remis à Jean-Michel Blanquer

Dès son entrée en fonction rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer a fait de la défense de la laïcité à l'école un de ses marqueurs politiques. Triste concordance de temps, cette semaine, un premier bilan du dispositif mis en place par le ministre de l'Education début 2018 avait été présenté. Un rapport rédigé par quatre inspecteurs généraux et publié ce mardi 13 octobre, faisant le point sur "l’application du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics".

Télécharger le rapport ici.

Voir aussi le rapport Jean-Pierre Obin 2004  (les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires)

Blanquer avait mis sur pied un système à trois branches : du côté de l'administration centrale, une équipe spécialisée sur le sujet (le pôle national "Valeurs de l'école de la République", VALEREP) ; dans chaque académie, une déclinaison déconcentrée de ce cabinet, placée sous l'autorité du recteur et chargée de réagir aux signalements effectués dans les établissements scolaires grâce à une application dédiée ; et enfin, le fameux Conseil des sages de la laïcité.

A la clef, un enjeu essentiel pour la République française, comme l'énonce le rapport et et qui résonne encore plus fortement aujourd'hui, après l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire à Conflans-Saint-Honorine : "Garantir aux enfants et aux jeunes, quelle que soit leur religion ou leur croyance, la délivrance des mêmes savoirs, à l’abri de toute pression religieuse ou de tout endoctrinement, dans le respect de la liberté de conscience de chacun et de tous".

Afin d'élaborer leur rapport, les experts du ministère ont auditionné l'ensemble des fonctionnaires chargés du dispositif, mais également envoyé un questionnaire aux 30 recteurs d'académie et effectué six déplacements sur le terrain. Objectif : recenser les atteintes à la laïcité à l'école, au collège et au lycée, dégager des tendances, et améliorer la politique du ministère. Depuis le printemps 2018, les académies ont pris pour habitude de "faire remonter tous les trimestres des synthèses des informations relatives aux atteintes au principe de laïcité sur leur territoire". La tendance est à la baisse du nombre de signalements, mais le rapport souligne qu'elle "ne signifie pas forcément une baisse" des incidents ; cela pourrait plutôt refléter les progrès sur le terrain dans la manière de gérer les situations localement sans les faire remonter rue de Grenelle. Les précautions méthodologiques et l'utilisation prudente des données constituent, on le verra, une constante du rapport.

13 % des atteintes concernent la contestation d'un enseignement

Le chiffre suivant est donc à prendre avec des pincettes : 935 faits d'atteinte à la laïcité ont été comptabilisés entre septembre 2019 et mars 2020, une somme en baisse par rapport à l'année précédente. Les faits ont été classés en cinq catégories : le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse (20% des cas), le refus d'une activité scolaire (16%), la suspicion de prosélytisme (11%), la contestation d'un enseignement (13%)... et une vaste catégorie recensant "tous les autres faits perturbant le fonctionnement de l'établissement", qui rassemble 40% des atteintes à la laïcité.

S'agissant des responsables des incidents, les élèves en sont à l'origine à 57%, leurs parents à 23%, le reste se divisant entre les personnels des établissements (11%) et les personnes extérieures (9%). A noter que les remontées varient considérablement en fonction des zones géographiques, puisque six académies sur 30 regroupent 60% des signalements. Les rapporteurs ne savent pas vraiment comment interpréter cette hétérogénéité, émettant plusieurs hypothèses. Si certaines zones concentrent plus que d'autres les difficultés sociales, et donc les incidents, la disparité des données pourrait aussi refléter la "sensibilité très inégale des chefs d’établissement du second degré à la nécessité du signalement des atteintes à la laïcité".

Refus d'étudier Harry Potter

Une tendance incontestable est toutefois l'augmentation relative du nombre d'incidents se produisant à l'école primaire : de janvier 2018 à juillet 2019, "la part occupée par le premier degré dans le recensement des faits signalés passe de 23 à 37 %", celle du collège de 54 à 44% et celle des lycées de 23 à 19%. S'agissant des collèges et des lycées, ce sont les établissements professionnels "qui demeurent les plus exposés aux faits d’atteinte à la laïcité". A l'école primaire, ce sont fréquemment les parents d'élèves, plutôt que leurs enfants, qui sont à l'origine des signalements, contestant "au nom de leurs convictions religieuses, la légitimité de certains enseignements, voire de certains choix pédagogiques".

Le rapport cite quelques exemples : refus d'étudier certaines théories scientifiques contraires à des dogmes, ou "des romans tels que Harry Potter qui font selon eux l’apologie de la sorcellerie", refus de visite d'églises ou de cathédrales, de laisser les filles aller à la piscine ou "montrer leur corps", refus "des enseignements sur la reproduction ou de l’éducation à la sexualité"... Des troubles sont également causés par des demandes d'aménagement des activités scolaires, soit durant les périodes de pratique religieuse (notamment le ramadan), soit à la cantine (refus de la viande non halal). Le rapport relève que ces revendications venues des parents "génèrent des tensions entre les enfants et du mal-être pour nombre d’entre eux, [car] elles placent certains élèves au coeur d’un conflit de légitimité et de loyauté, entre les exigences de la famille et celles de l’école, qu’il est très difficile à de jeunes enfants de résoudre."

Refus d’un élève d’adresser la parole à une femme professeure

Dans l'enseignement secondaire, la catégorie "autres" se taille la part du lion, et notamment pour une mauvaise raison : les signalements incluent beaucoup de simples demandes de conseils de la part des établissements, qui sollicitent souvent le ministère pour savoir comment statuer sur "la question du port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse par des parents d’élèves accompagnant des sorties scolaires", signe que le flou règne à ce sujet. Pour le reste, le rapport liste là encore une série d'atteintes à la laïcité de diverses natures : insultes et menaces de mort exprimées par des élèves en référence à Daesh, refus d’un élève d’adresser la parole à une femme professeure, refus de parents d’élèves de serrer la main de personnels d’un établissement, interdiction faite à des filles d’accéder au foyer des élèves parce qu’elles ne sont pas de confession musulmane…

Quant aux situations impliquant des personnels, elles recouvrent en majorité les "suspicions de prosélytisme", suiviées de près par "la délivrance d’un enseignement non conforme au principe de laïcité et le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse". Le rapport note quelques exemples plus précis, comme des "propos désobligeants à l’égard de Simone Veil faisant référence à sa confession juive à l’occasion de l’évocation de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse" ou le "refus de distribuer des bonbons contenant de la gélatine animale".

Des atteintes à la laïcité parfois non perçues

L'enjeu saillant relevé par le rapport des inspecteurs généraux constitue probablement "la méconnaissance par les enseignants, et parfois les directeurs d’école, des conditions et règles d’application du principe de laïcité". Ce manque de maîtrise entraîne toute une série d'effets pervers, et notamment une tendance à ne pas signaler des atteintes à la laïcité à l'école, soit parce que les personnels "ne les perçoivent pas", soit parce qu'ils "s’y habituent et finissent par s’en accommoder", notamment dans les territoires ghettoïsés.

Le rapport note aussi, chez certains enseignants et chefs d'établissements, une "peur de se confronter à des sensibilités politiques locales lorsqu’il s’agit notamment de rappeler les règles en vigueur à des agents municipaux qui ne respectent pas le principe de laïcité", ou encore une réticence à effectuer un signalement motivée par "l'impression de faire de la délation ou de l'islamophobie". Certains professeurs évitent carrément "d’aborder avec leurs élèves certains contenus polémiques pourtant inscrits au programme" pour ne pas faire de vagues. Samuel Paty, le professeur assassiné, n'a, lui, pas hésité.

A LIRE AUSSI >> Enquête du Cnesco sur la laïcité à l'école : encourageant, mais peut mieux faire

 

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