Le Point : L'école est-elle en danger ?
Jean-Pierre Obin : Elle traverse une période noire, du fait de cet assassinat, mais aussi plus largement parce qu'elle résiste mal à l'islamisme. Elle a été désignée comme cible depuis 2015, et ne pas avoir, pendant longtemps, pris la mesure du danger est vraiment dommageable. Il faudrait maintenant annoncer un plan de formation des professeurs pour qu'ils connaissent mieux leurs élèves qui sont aujourd'hui enfermés dans ces logiques de repli religieux. La plupart des enseignants vivent dans des sociétés sécularisées depuis plusieurs générations, ils ignorent tout de la puissance d'une religion et ignorent, par exemple, que chaque fait de la vie sociale ou intime de leurs élèves peut être régi par la religion. Ils ne connaissent ni ne comprennent l'idéologie islamiste et son projet politique, qui vise à embrigader la masse des musulmans de France. Il faut donner au corps enseignant les moyens d'exercer ses compétences et de réagir collectivement en connaissant le droit. Ce n'est pas l'éthique personnelle ou la crainte qui doivent dicter les réactions, mais bien le droit et la loi. Il faut proposer des formations et entraîner les enseignants à faire bloc.
À vous entendre et à lire votre livre, le miracle, c'est que cela ne soit pas arrivé plus tôt…
Pendant la vague d'attentats de 2015, le ministère de l'Intérieur avait pris la mesure de cette menace. Mais, cinq ans plus tard, la menace est devenue plus diffuse et plus erratique. L'argumentaire développé à l'époque par Daech établissait la liste des principaux griefs que les islamistes adressent à l'école publique française. C'est cet argumentaire fascisant que l'on retrouve aujourd'hui dans les milieux islamistes qui essaient de soustraire leurs enfants de l'école publique. Ce nouveau fascisme n'a d'ailleurs pas échappé à Emmanuel Macron, qui, à deux reprises, a dit : « Ils ne passeront pas », une référence à la guerre d'Espagne, où ceux qui luttaient contre le fascisme scandaient : « No pasaran ! »
Entre sursaut et généralisation de l'autocensure, comment va réagir le corps enseignant après cet attentat ?
Il est très clair que la peur a fait un bond en avant et aura des conséquences sur l'avenir. Jusqu'à maintenant, 37 % des enseignants déclaraient s'être déjà autocensurés par peur d'incidents. Je crains que ce chiffre ne croisse. Je donne dans mon livre l'exemple d'une jeune stagiaire de lettres qui, en janvier 2015, débarque en salle des profs en expliquant qu'elle a préparé un « exposé sur la tolérance ». Ses collègues chevronnés la préviennent qu'elle va au casse-pipe. Et, effectivement, des incidents ont eu lieu.
Comment prépareriez-vous cette rentrée ?
Je crois que je ferais rédiger une lettre à lire aux élèves, afin de ne pas laisser chaque prof seul face à sa classe. Tout cela devrait être préparé à l'échelle nationale avec un texte et le mode d'emploi pour les enseignants. Il faudrait aussi que chaque établissement scolaire se prépare. Je préconise une bonne réunion de travail préalable et pas de grand rassemblement. Nous avons l'expérience de moments de recueillement mal préparés, dont l'effet a été dévastateur dans l'opinion. Après les rassemblements en faveur de Charlie Hebdo, certains s'étaient candidement imaginé que la France était unanimement dans les rues, mais ça n'était pas le cas ; une partie s'était abstenue pour des raisons politico-religieuses. Nous sommes aujourd'hui dans la même tectonique des plaques. Cet attentat n'est peut-être qu'une réplique, d'autres séismes sont, hélas, à venir. La diffusion de l'islamisme chez toute une partie de la jeunesse de France, une jeunesse qui sera bientôt adulte, pose un problème terrible à la France. Ceux qui adhèrent à cette idéologie défendront un projet politique contraire à celui que la France développe depuis les Lumières. Nous sommes face à un moment où l'horizon s'obscurcit. Cette dynamique est très compliquée à maîtriser, on imagine mal comment lutter efficacement avec un cycle d'alternances politiques où tout ce qui a été fait est systématiquement détricoté par le suivant. Il faut donc construire un large accord politique sur ce sujet.
Faut-il s'attendre à de nouvelles contestations de l'hommage national qui sera rendu à Samuel Paty ?
On verra à quoi ressemblent les moments de recueillement de la rentrée… Je crains qu'ils ne soient émaillés d'incidents. Quand on voit que des collégiens interrogés par des journalistes déclarent simplement qu'« on a peut-être été un peu trop loin », cela ne me semble pas de bon augure… Il faut porter un constat lucide sur l'univers social et intellectuel de cette jeunesse musulmane embrouillée par l'idéologie islamiste. Lorsque vous demandez aux collégiens musulmans s'ils adhèrent à la théorie de l'évolution, ils ne sont plus que 6 % à y croire ! Lorsque l'Ifop pose la question de l'arbitrage entre les valeurs de la République ou les valeurs de la religion, les trois quarts des jeunes musulmans déclarent mettre en avant la loi religieuse. On a toute une série d'enquêtes qui démontrent clairement que la jeunesse musulmane est pénétrée par l'islamisme. L'école, qui est le reflet de la société, n'échappe pas à ce constat.
Quels sont le rôle et la place de l'écosystème islamiste dans le quotidien de ces jeunes élèves ?
Plus le quartier se ghettoïse, plus l'écosystème sera embrigadant ; plus le secteur est laissé à lui-même, plus les activistes islamistes ont du pouvoir sur les jeunes. C'est pour cela qu'il faut absolument réintroduire de la mixité sociale, ethnique, religieuse dans ces établissements et dans les quartiers. Vouloir intégrer cette jeunesse, d'accord, mais à quoi ? À quel modèle ? À un quartier avec uniquement des gens de la même culture, de la même origine, de la même religion ? On ne peut pas défendre un tel projet. Il faut relire les propos de Khaled Kelkal, interrogé par un sociologue allemand sur son parcours scolaire. Il disait en substance : « Au collège, on était entre nous, c'est les Français qui s'intégraient. » Puis, lorsqu'il s'est retrouvé dans un lycée de centre-ville, il a découvert des élèves dont il ne soupçonnait même pas l'existence et qui vivaient dans un tout autre monde que le sien.
Lire aussi « On ne dialogue pas avec les islamistes comme on pouvait le faire avec les évêques »
L'école républicaine est contestée, notamment parce qu'elle ne tient plus sa promesse d'intégration et d'ascension sociale. Que faire ?
L'école ne parvient plus à assimiler des populations diverses pourtant de plus en plus nombreuses, mais, pour autant, l'échec n'est pas total. Une partie des classes moyennes d'aujourd'hui sont musulmanes et n'adhèrent en rien au projet séparatiste des islamistes. Hélas, ceux qui restent dans les quartiers-ghettos se rallient trop souvent à d'autres formes de valorisation sociale que la réussite des classes moyennes… Beaucoup peinent à s'identifier à un avocat, à un prof, à un médecin, à un ingénieur, bref, à des figures de réussite qui jusque-là permettaient d'enclencher des dynamiques d'ascension sociale.
Dans la revue djihadiste Dar al-Islam publiée par l'État islamique en décembre 2015, l'article « Délaisser l'éducation des mécréants » explique pourquoi l'éducation obligatoire représente une cible et pourquoi il faut tuer les enseignants :
« Cette “éducation”, dans le cas de la France en particulier, est un moyen de propagande servant à imposer le mode de pensée corrompu établi par la judéo-maçonnerie. Le but de cette “éducation” est de cultiver chez les masses l'ignorance de la vraie religion et des valeurs morales telles que l'amour de la famille, la chasteté, la pudeur, le courage et la virilité chez les garçons. […] Le musulman doit savoir que le système éducatif français s'est construit contre la religion en général et que l'islam en tant que seule religion de vérité ne peut cohabiter avec cette laïcité fanatique. De nos jours, la charte de la laïcité est enseignée à l'école. Elle stipule que : “La nation confie à l'école la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République”. Ces “valeurs” ne sont pour le musulman qu'un tissu de mensonges et de mécréance qu'Allah lui a ordonné de combattre et de rejeter. »
Consultez notre dossier : Samuel Paty, assassiné pour avoir enseigné la liberté d’expression
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