24/04/2020

Patrick Artus – Pourquoi les choix individuels des entreprises sont en décalage avec le bien-être collectif, via @LePoint

La crise du coronavirus illustre à nouveau la différence essentielle entre la rationalité individuelle des entreprises et l'intérêt collectif. En effet, la crise du coronavirus va pousser durablement les entreprises à réduire leurs dépenses et leurs investissements, ce qui, si ces choix individuels des entreprises ne sont pas corrigés par des politiques économiques adaptées, va entraîner une stagnation durable de l'activité. Il ne s'agit pas de critiquer les choix des entreprises qui, nous allons le voir, sont rationnels et nécessaires pour elles ; il s'agit de montrer la difficulté qui résulte de l'agrégation de ces choix.

Mais ce que révèle la crise du coronavirus, nous allons le voir, est vrai à toutes les périodes : les entreprises ne prennent pas naturellement en compte les externalités liées à leurs choix, ce qui ouvre un champ d'action important pour les politiques économiques.

Gérer la hausse de l'endettement

La chute du chiffre d'affaires des entreprises, pendant la crise du coronavirus, sera en partie compensée par des aides publiques (annulation d'impôts, chômage partiel, subventions), mais en partie aussi par la hausse de l'endettement des entreprises, favorisé par le fait que tous les États ont mis en place des garanties publiques sur les crédits. Après la crise sanitaire, au moment où l'économie va repartir, les entreprises, si elles ont évité la faillite, seront beaucoup plus endettées.
La réaction normale d'entreprises plus endettées et ayant subi pendant la crise un fort recul de leurs profits ou même de fortes pertes sera de réduire leurs dépenses et leurs investissements. Déjà, de très nombreuses entreprises ont annoncé le gel des salaires et des embauches, une baisse des budgets d'investissement et l'annulation des projets non essentiels. Cette décision est complètement rationnelle et inévitable au niveau de chaque entreprise, qui préserve sa trésorerie et essaie de redresser la structure de son bilan après la hausse de l'endettement.

Résultat ? Une croissance atone

Le problème est que si toutes les entreprises cessent d'augmenter les salaires, stoppent les embauches et réduisent leurs investissements, il en résultera au niveau macroéconomique une longue période de croissance faible après la crise, et une grande lenteur du processus de rattrapage de la baisse de production et de revenu. Il s'agit typiquement d'un problème d'externalités (chaque entreprise ne voit pas les effets macroéconomiques, collectifs, de ses décisions) et d'absence de coordination entre les entreprises (un supplément de dépense dans une entreprise est bon pour les autres entreprises).
Les États ont compris d'ailleurs cette situation et préparent des plans de soutien de l'investissement (baisse des impôts des entreprises, amortissement accéléré des investissements) et de l'emploi (baisse des cotisations sociales).

Le rôle de la politique économique

En dehors des périodes de crise, de manière continuelle, il existe un décalage entre les choix individuels des entreprises et le besoin collectif de l’économie. Ceci vient de ce que les entreprises ne peuvent pas intégrer dans leurs décisions les externalités positives ou négatives qu’elles génèrent. Bien sûr, la situation macroéconomique serait meilleure si les entreprises accroissaient davantage les salaires, l’emploi, l’investissement, les dépenses de R & D ; la situation climatique serait meilleure si elles réduisaient leurs émissions de CO2.
Mais les entreprises ne font pas de macroéconomie ; elles prennent des décisions en fonction de leur situation individuelle, ce qui est parfaitement normal. Il ne s'agit pas de critiquer les choix des entreprises, il s'agit de montrer que la politique économique a un travail important à mener.

Internaliser les externalités

La politique économique a donc un objectif central d'internaliser les externalités liées aux choix des entreprises, c'est-à-dire de faire en sorte que les entreprises prennent en compte les effets sur le bien-être collectif de leurs décisions. Ce n'est que dans un monde sans externalités que les comportements individuels des entreprises seraient efficaces collectivement.
Les politiques économiques nécessaires sont connues et, dans certains cas, déjà présentes. On peut donner comme exemple l'intéressement et la participation, pour soutenir le revenu des salariés ; les aides diverses à l'investissement et à la recherche (crédit d'impôt recherche par exemple) ; le bonus-malus souvent suggéré pour l'emploi (des cotisations chômage plus élevées pour les entreprises qui licencient, plus faibles pour les entreprises qui embauchent) ; ou un prix suffisamment élevé du CO2
Cette analyse des externalités liées au comportement des entreprises et des politiques économiques nécessaires pour les internaliser nous paraît très importante, en temps de crise, mais aussi en régime permanent.

 Source: Le Point 

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