Face au Covid-19, le politique doit s'inspirer de l'état de la connaissance, mais ses décisions ne peuvent être déterminées par lui.
Difficile de trouver meilleure incarnation politique de la démagogie cognitive que ces déclarations au doigt mouillé du leader de la première puissance mondiale, mais elles révèlent assez bien les rapports tumultueux qu'une partie de l'opinion a pu avoir avec l'expertise scientifique tout au long de cette crise dont nous ne sommes pas sortis. Dans un premier temps, on a eu l'impression, comme Sébastien Le Fol l'a justement fait remarquer dans les pages du Point, que cette pandémie était l'occasion, notamment en France – un pays particulièrement marqué par la méfiance envers les vaccins, par exemple –, d'une réconciliation entre l'opinion publique et l'expertise scientifique. À mesure que le danger s'approchait, nos concitoyens paraissaient faire confiance dans les jugements de la médecine et ont accepté sans trop faire de difficultés un confinement pourtant pénible.
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Mais c'est précisément à partir de ce confinement que la démocratie des crédules a paru se remettre en marche. C'est à ce moment, par exemple, qu'on observe un intérêt renouvelé et vif pour les théories du complot, tangible notamment par les recherches Google sur ce thème. Abandonnés à une consultation plus massive d'Internet, comme les données à ce sujet le montrent sans surprise, certains de nos concitoyens ont été victimes de ce que l'on nomme l'effet Dunning-Kruger. Cet effet caractérise la trop grande confiance dont un individu fait preuve lorsqu'il commence à s'initier à un sujet. Il n'en sait pas assez pour prendre conscience de son niveau d'incompétence, mais il croit savoir.
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Le sommet a sans doute été atteint dans ce domaine avec ce sondage qui indiquait que 59 % des Français pensaient que l'hydroxychloroquine était efficace pour soigner du Covid-19. Cet effet Dunning-Kruger révèle qu'une partie de nos concitoyens ne se satisfait pas de s'en remettre à l'expertise scientifique en suspendant son jugement. Cette méfiance renouvelée n'est pas sans raison. Il est vrai que tout au long de cette crise, l'expertise n'a pas toujours parlé d'une même voix que ce soit sur la question de l'utilité des masques, la létalité ou le caractère contagieux de la maladie.
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Or voilà le raisonnement implicite qui conduit au doute : si la science se fonde sur des faits et recherche la vérité, comment est-il possible qu'elle ne parle pas d'une même voix ? Le caractère parfois polyphonique du discours expert ne révèle-t-il pas une incompétence qui se dissimule ou, pire, un discours qui rationalise des intérêts économiques ou idéologiques ? Toutes ces interrogations, qui ne sont pas illégitimes, viennent du fait qu'il est rare que nous assistions collectivement à la science en train de se faire. La plupart du temps, nous observons les résultats de la science lorsqu'ils sont constitués et nous ne savons pas grand-chose de son processus de constitution. Donc nous ne prenons pas conscience que la méthode de la science se débat souvent dans une arborescence de possibles, avec de nombreuses incertitudes et des variables difficiles à saisir.
Que l'on songe, par exemple, à l'épineuse question de la modélisation soulevée récemment dans les pages du Monde par le sociologue Gianluca Manzo. C'est pourquoi le temps de la science n'est pas celui de la crise, même si grâce à la coopération internationale elle va plus vite que jamais. C'est pourquoi aussi ce décalage temporel entre les dommages de l'épidémie et les réponses de la science occasionne une déception. Mais cette déception doit plus à la méconnaissance des processus qui président à la science sérieuse qu'à son impuissance.
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Et pourtant il faut agir. C'est pourquoi la science ne peut se substituer au politique, elle ne doit pas non plus lui servir de paratonnerre. Quels que soient les régimes, c'est la fonction essentielle du politique d'assumer la part d'incertitude indépassable de toute régulation de la vie collective. Il doit le faire en s'inspirant de l'état de la connaissance, mais il n'a pas le droit de le faire en affirmant que ses décisions sont mécaniquement déterminées par lui. Car rares sont les états de la connaissance qui font disparaître l'arborescence du possible. Depuis que les dieux ne nous paraissent plus pouvoir expliquer l'imperfection du monde, c'est devenu la fonction narrative du politique.
Source: lepoint.fr par Gérald Bronner Publié le | Le Point.fr
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