Alors que le gouvernement s'apprête à jeter ses ultimes forces dans la bataille du pacte de responsabilité, Michel Sapin vient de faire une sortie tout à fait étrange: il semble s'étonner que le CICE, ancêtre du pacte, n'ait produit aucun effet en matière d'investissement ni d'emploi. En écoutant notre ministre des Finances, on hésite entre la lucidité et la naïveté. A-t-il vraiment cru un instant que le CICE, qui permet une diminution de l'impôt sur les bénéfices proportionnelle à la masse des salaires inférieure à 2,5 SMIC, aurait un quelconque effet sur l'économie? Lire la suite sur Économie Matin
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Mi 2013, toutes les conditions d’une reprise étaient pourtant réunies. Le Sud semblait toucher un point bas. L’Allemagne semblait en passe de rallumer sa demande intérieure. Les États-Unis s’affirmaient comme le moteur du monde. Les conditions de financement étaient historiquement favorables. Les entreprises comme les ménages étaient entrés dans une logique de reconstitution des parcs d’équipements et de biens durables et toutes les enquêtes industrielles de tous les pays-développés étaient orientées à la hausse. Les gouvernements semblaient de surcroît lâcher du leste en matière de rigorisme budgétaire.
RépondreSupprimerMi 2014 néanmoins, le processus s’est enrayé et l’Europe stagne à nouveau, menaçant la dynamique de reprise mondiale, tandis que l’emploi recule à nouveau. Comment en est-on arrivé là ?
D’abord parce que le régime d’inflation-zéro dans lequel sont piégés les pays de la zone euro mais aussi d’autres pays développés est le révélateur d’une concurrence exacerbée par les coûts. Partout, que ce soit du côté des entreprises ou des Etats, cette logique généralisée de rationalisation, de stagnation des salaires, de pression sur les prix des fournisseurs, mine la demande intérieure et conduit au report des projets d’investissement. Résultat, toutes les régions du monde s’engagent aujourd’hui dans des stratégies néo-mercantilistes, cherchant à bâtir leur croissance en siphonnant la demande intérieure des autres. Un jeu dans lequel il peut y avoir des gagnants et des perdants à court terme, mais qui inhibe la diffusion positive des reprises à travers le monde.
La deuxième cause profonde de ce raté c’est que sur aucun segment du marché du travail l’économie européenne ne se rapproche du plein emploi. Même sur les plus qualifiés, le taux de chômage voisine 7,5% et si l’on ajoute les phénomènes de déqualification dans l’emploi et la proportion des travailleurs à temps partiel involontaires qui souhaiteraient travailler plus, les files d’attente à tous niveaux de qualification sont telles, qu’aucune dymamique positive de salaire ne peut s’enclencher. Même pour les pays en proue de la reprise, l’Allemagne, les Etats-Unis, ou le Royaume-Uni, la proximité apparente du plein emploi, (avec des taux de chômage à 5-6 %), ne crée aucun goulot d’étranglement tant ces pays sont dans un pseudo plein emploi en ayant multiplié les petits jobs.
La troisième cause de la panne européenne qui menace de pénaliser la dynamique de reprise mondiale, c’est sont nos déficits. Non pas nos déficits financiers mais nos déficits intellectuels pour bâtir un logiciel d’action anti-crise et anti-déflation. Les menus de réforme que proposent les experts, années après années rivalisent de conformisme. Les cahiers de route proposés en 2014 sont calqués sur ceux de 2007 eux-mêmes calqués sur ceux de 2000. Rien ne change. La voiture est embourbée jusqu’aux essieux, mais nos experts ressortent la liste du dernier contrôle technique. Ils se comportent comme si la crise était la résultante de la somme des erreurs individuelles des différents pays. Dans leur monde idéal, puisque la BCE fait maintenant son job, avec le quantitative easing il ne reste plus qu’à démultiplier les clones de Mario Monti au niveau de chaque État européen, équipé du même logiciel de réforme conformiste.
Et au final le quantitive easing évite tout juste à nos pyramides de Ponzi financières et immobilières de s’effondrer, sans provoquer le moindre souffle d’inflation dans nos économies tandis que la démultiplication des Mario Monti instille toujours plus de déflation, démontrant jour après jour que les réformes structurelles ne sont bonnes ni en tout temps et en toute circonstance. Pendant ce temps, les problèmes de coordination, de déflation, de divergence réelle, de répartition qui sont au cœur du désastre, restent abordés comme des enjeux de second plan quand il n’y a pas dénégation pure est simple.
Olivier Passet, Comment on a cassé la reprise, une vidéo Xerfi Canal