31/01/2012

Nucléaire: pas de coûts cachés mais des incertitudes!


Nucléaire : la France n'a plus les moyens de remplacer son parc vieillissant de centrales

Une nouvelle génération de centrales est hors d'atteinte. Pour la Cour des comptes, la France n'a que deux choix : prolonger les centrales existantes ou les énergies renouvelables
La Cour des comptes a rendu public, mardi 31 janvier, son rapport sur " les coûts du nucléaire " commandé en mai 2011 par le gouvernement. Au terme d'un travail sans précédent, les magistrats n'ont relevé aucun coût caché mais soulignent l'importance des " inconnues " financières et techniques sur le démantèlement des centrales, le traitement et le stockage des déchets et la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire. La Cour indique qu'il faudra multiplier par deux les investissements pour maintenir la production. Ce qui augmentera les coûts de 10 %. Plus largement, la Cour considère que la France n'a plus les moyens de renouveler son parc de centrales. " A travers l'absence de décision d'investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : soit faire durer nos centrales au-delà de quarante ans, soit faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d'autres sources d'énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires ", explique Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, dans un entretien au Monde.

Nucléaire : " Pas de coût caché, mais des incertitudes "

La Cour des comptes demande des audits sur l'impact du démantèlement des centrales et de la gestion des déchets




Le rapport de la Cour des comptes sur " les coûts de la filière électronucléaire ", commandé par le gouvernement en mai 2011, a été publié mardi 31 janvier (www.ccomptes.fr). Dans un entretien au Monde, son premier président, Didier Migaud, explique que les magistrats n'ont relevé aucun coût caché, mais que de " nombreuses incertitudes " demeurent sur le démantèlement, la gestion des déchets et la prolongation de la durée de vie des 58 réacteurs d'EDF.


Quel est le principal enseignement de votre rapport ?

Le rapport de la Cour rassemble l'essentiel des données disponibles sur les éléments constituant les coûts passés, présents et futurs de la production d'électricité nucléaire en France. J'ajoute que si ce rapport a pu être réalisé dans un temps très court (huit mois), alors qu'il s'agit d'un travail exhaustif et innovant sur les coûts de la filière, c'est parce que la Cour a su se mobiliser, et que tous les acteurs concernés ont " joué le jeu ".
Il conclut que tous les coûts futurs sont bien identifiés par les exploitants, mais qu'ils ne sont pas évalués avec un égal degré de précision. De nombreuses incertitudes pèsent, par nature, sur ces estimations et les risques d'augmentation de ces charges futures sont probables. Mais plus que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime, la Cour montre que c'est la durée de fonctionnement des centrales actuelles qui est une donnée majeure, dont l'effet sur le coût de la filière est le plus important.


De lourds investissements sont donc à prévoir ?

Quels que soient les choix retenus, oui, des investissements importants sont à prévoir pour maintenir la production actuelle, représentant a minima un doublement du rythme actuel d'investissements de maintenance. Ce qui fera augmenter le coût moyen de production de l'ordre de 10 %. La Cour souhaite que les choix d'investissements futurs ne soient pas effectués de manière implicite, mais qu'une stratégie énergétique soit formulée et adoptée, de manière explicite, publique et transparente.
D'ici à la fin de 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront quarante ans de fonctionnement. Dans l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans et d'un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel - 74 % de la production d'électricité - , il faudrait donc un effort considérable d'investissement à court terme, qui paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu'à travers l'absence de décision d'investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : prolonger nos centrales au-delà de quarante ans, ou faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d'autres sources d'énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires.


Y a-t-il des " coûts cachés ", comme l'affirment les mouvements antinucléaires ?

La Cour a vérifié que les charges futures (démantèlement, gestion des combustibles usés et des déchets) sont bien intégrées dans les comptes des exploitants et dans les calculs de coûts. Mais, comme le montant de ces charges n'est pas connu avec certitude, elle a aussi vérifié les conséquences d'une éventuelle sous-estimation de ces coûts : les tests montrent une faible sensibilité du coût global de production de l'électricité nucléaire à l'évolution, même importante, de ces charges.

Enfin, j'insiste sur les éléments qui doivent être pris en compte dans l'analyse de la politique énergétique et la comparaison entre les différentes formes d'énergie. Il peut s'agir d'effets a priori positifs, comme la contribution à l'indépendance énergétique ou les moindres émissions de gaz à effet de serre ; ou négatifs, comme l'impact de l'électricité nucléaire sur la santé et le réchauffement des rivières.


Comment expliquer qu'il y ait autant d'incertitudes sur le coût du démantèlement des installations nucléaires ?


Les charges futures sont incertaines " par nature ". Les dépenses de démantèlement, c'est-à-dire les dépenses de fin de vie des centrales, sont estimées à 18,4 milliards (valeur 2010) en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs, mais la Cour n'est pas en mesure de valider ce montant en l'absence d'études approfondies. Il n'y a pas d'expériences de démantèlement d'un parc cohérent comme le parc français. Les chiffrages d'EDF sont au bas de la fourchette des comparaisons internationales, qui doivent être prises avec prudence.


En est-il de même pour la gestion des déchets radioactifs ?


Le coût de leur gestion à long terme est estimé à 28,4 milliards d'euros. L'estimation est fragile, car le projet envisagé pour l'enfouissement en grande profondeur des déchets à vie longue n'est pas définitif. Le devis établi en 2005 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a été revu en 2009 et a quasi doublé - à plus de 30 milliards d'euros - . Dans ce domaine, il n'y a aucune référence internationale possible.


Doit-on faire évaluer ces coûts par des experts indépendants ?


La Cour recommande que son rapport, que je considère comme une " base de données " des coûts du nucléaire, soit régulièrement actualisé, de manière transparente et en toute indépendance.


Les coûts de maintenance et les surcoûts de sûreté post-Fukushima vont-ils entraîner une forte hausse des prix de l'électricité ?


Le rythme annuel des investissements de maintenance d'EDF, y compris la prise en compte des prescriptions post-Fukushima de l'Autorité de sûreté nucléaire telles qu'on les connaît, devrait doubler dans les quinze ans qui viennent, ce qui représente une augmentation de l'ordre de 10 % du coût moyen de production. Mais ce coût ne représente que 40 % du prix payé par le consommateur. D'autres composantes (investissements sur les réseaux, taxes) ont un effet sur le prix.


Les dépenses de recherche pourront-elles continuer à ce rythme ?

Ces 55 milliards d'euros calculés, pour la première fois, par la Cour, ne mesurent que les dépenses de recherche nucléaire civile depuis 1957, soit environ un milliard par an. Sur l'ensemble de la période, elles ont été financées à 70 % par des crédits publics, mais cette part diminue. Plus de la moitié de ces dépenses de recherche est financée par les exploitants. La charge en 2010 pour les fonds publics était de 414 millions.


Jugez-vous suffisantes les garanties de responsabilité civile plafonnées à 92 millions par centrale pour EDF ?

La Cour recommande que l'on applique le plus rapidement possible les protocoles d'amendements aux conventions internationales qui relèvent ce plafond à 700 millions d'euros, somme qui reste très limitée en cas d'accidents graves.
Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Pierre Le Hir

Les investissements de maintenance renchériraient de 10 % les coûts de production




DANS SON VOLUMINEUX rapport (380 pages), la Cour des comptes indique que les dépenses futures pour la maintenance des centrales, leur démantèlement et la gestion des déchets radioactifs ne feront pas exploser les coûts de production de l'électricité nucléaire. Il n'en reste pas moins que de " nombreuses incertitudes " demeurent. Le rapport ne clôt pas pour autant le débat sur la pertinence de développer d'autres filières énergétiques, comme celles des renouvelables.
Coûts de construction Le coût au mégawatt (MW) installé n'a cessé de progresser, notamment pour répondre à des normes de sûreté plus exigeantes. De 1,07 million d'euros par MW à Fessenheim (1978), il est passé à 1,37 million à Civaux, le dernier réacteur mis en service (2000). Pour le réacteur EPR (troisième génération), la " tête de série " de Flamanville (Manche), qui coûtera au moins 6 milliards, le coût du MW est de 3,7 millions ; les EPR de série pourraient coûter 5 milliards, ramenant ce coût à 3,1 millions. " Il est beaucoup trop tôt pour donner et valider un calcul du coût de production d'un parc d'EPR ", juge la Cour.
Charges d'exploitation Elles étaient de 8,9 milliards en 2010 pour le parc de 58 réacteurs et sont " bien identifiées ". Toutefois, elles sont appelées à augmenter en raison du renforcement de la sûreté et du nécessaire renouvellement des effectifs dans la filière.
Coûts du démantèlement Les dépenses de " démolition " des 58 réacteurs étaient estimées à 18,4 milliards fin 2010. Toutefois, " les résultats des évolutions passées font craindre la possibilité de futures augmentations de certains devis ". D'autant que " les charges de démantèlement pourraient augmenter du fait d'une plus grande exigence dans le futur des normes de dépollution des sites ". Les rapporteurs observent aussi que " les comparaisons internationales mettent toutes en évidence que le montant retenu par EDF (...) est inférieur aux coûts calculés à l'étranger ". Un doublement du devis de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % des coûts de production. Le gouvernement a lancé un processus d'audits techniques pour connaître ces coûts.
Coûts du traitement et du stockage des déchets radioactifs Leur estimation (28,4 milliards fin 2010) est, elle aussi, jugée " fragile ". Pour les déchets à vie longue, le devis du projet de centre de stockage profond de Bure (Meuse), qui était de 16,5 milliards en 2005, se monte désormais à 36 milliards. La Cour note que le coût final de cet enfouissement est appelé à évoluer " du fait des évolutions techniques et réglementaires au cours de son exploitation, qui durera au moins cent ans ". Un doublement de la facture initiale entraînerait une hausse de 1 % des coûts de production de l'électricité.
Coûts de maintenance et de prolongation des réacteurs Leur évolution est " nettement plus sensible " que celle relative au démantèlement des centrales ou au stockage des déchets. Les investissements de maintenance, estimés par EDF à 55 milliards entre 2011 et 2025 - soit 3,7 milliards par an contre 1,5 milliard en 2008-2010 - renchériraient " de l'ordre de 10 % " le coût du MWh. Ces 55 milliards tiennent compte des nouvelles exigences imposées à EDF par l'Autorité de sûreté nucléaire après Fukushima. Elles alourdissent la facture de 5 milliards.
Prolonger l'exploitation au-delà de quarante ans, c'est " éloigner le moment du décaissement des charges futures, ce qui diminue le montant des provisions et repousse à plus tard les investissements de renouvellement du parc, qui nécessiteront des ressources de financement importantes ", prévient la Cour. D'autant que les coûts des réacteurs de nouvelle génération seront bien supérieurs à ceux des anciens.
Coûts de la recherche Le programme d'étude des réacteurs dits de 4e génération (à neutrons rapides) - la France finance pour l'instant à hauteur de 650 millions le démonstrateur Astrid - va " sensiblement " accroître les dépenses de recherche sur crédits publics, notent les rapporteurs. Ils jugent " prudent de travailler à des solutions alternatives, au cas où l'hypothèse de la 4e génération ne se révélerait pas réalisable à grande échelle ". Mais le coût de la 4e génération, qui pourrait être exploitée à l'horizon 2040, est " inconnu ".
Coûts des garanties en responsabilité civile d'EDF En cas d'accident, l'engagement d'EDF est aujourd'hui plafonné à 91,5 millions d'euros par accident. Le gouvernement doit déposer un projet de loi pour porter ce plafond à 700 millions, conformément aux conventions européennes. Il reste que ces sommes sont dérisoires en cas d'accident grave. C'est l'Etat qui, selon la Cour, reste le " garant ultime ".
J.-M. B. et P.L.H.

En Allemagne, le virage n'est pas si simple à négocier

Berlin Correspondant
Sept mois après le vote de la loi, les industriels ne cachent pas leur déception




Qu'un dirigeant d'une grande entreprise allemande critique son gouvernement à l'étranger n'est pas fréquent. Aussi la " sortie ", au Forum de Davos, de Peter Terium, qui s'apprête à prendre la direction de l'électricien RWE, n'est pas passée inaperçue. Samedi 28 janvier, celui-ci a reproché au gouvernement allemand d'avoir " surréagi " à la catastrophe de Fukushima en programmant pour 2022 la fin du nucléaire civil. " Le risque de coupures de courant augmente ", a-t-il déclaré.
L'Allemagne n'en est pas là. Mais, en raison de la fermeture, dès 2011, de sept réacteurs nucléaires (sur dix-sept), le pays, qui est traditionnellement exportateur d'électricité, a été importateur en 2011.
S'il n'y avait que les producteurs d'électricité nucléaire pour se plaindre de ce virage d'Angela Merkel, cela serait sans doute secondaire. Mais, sept mois après le vote de la loi entérinant ce revirement, les critiques contre la gestion de ce dossier par le gouvernement se multiplient et les industriels ne cachent plus leur déception.
Ainsi, en 2011, Peter Löscher, président de Siemens, se félicitait de l'abandon du nucléaire, une activité dont son groupe s'est d'ailleurs désengagé. Pour Siemens, l'avenir était à l'électro-mobilité et aux énergies renouvelables : le solaire et surtout l'éolien.
Pourtant, le 24 janvier, devant son assemblée générale, Peter Löscher a dû reconnaître que le virage n'avait rien d'évident. Si les profits du groupe, au cours du premier trimestre (décalé) de l'exercice 2011-2012, ont baissé de 17 % à 1,5 milliard d'euros, ce sont notamment les énergies renouvelables qui expliquent cette contre-performance. Cette activité affiche une perte de 48 millions d'euros.
Non seulement le solaire perd de l'argent, mais l'éolien aussi, bien que Siemens se vante d'être le leader mondial des installations au large des côtes. " L'âge d'or est révolu ", a commenté le président en présentant cette activité.
Pourtant, 2 007 nouveaux mégawatts ont été installés en 2011, portant à 29 075 mégawatts la production d'électricité d'origine éolienne en Allemagne.
Un autre monstre sacré de l'industrie allemande fait grise mine : Bosch, le leader mondial de la sous-traitance automobile. Ses investissements dans l'énergie solaire - 2 milliards d'euros de 2009 à 2011 - commencent à lui coûter cher : 400 millions d'euros de pertes en 2010 et 500 millions en 2011.
Sans parler des 400 millions d'euros investis dans les moteurs alternatifs, dont la rentabilité est loin d'être assurée.
Siemens et Bosch ont les reins assez solides pour passer ce cap délicat et tous deux espèrent bien être les grands gagnants de la révolution verte en cours. D'autres n'ont pas cette chance.
Le fabricant de panneaux solaires Solon (500 emplois) a annoncé, juste avant Noël, qu'il était contraint de déposer le bilan. Une première dans ce secteur en Allemagne.
Une autre entreprise emblématique, Q-Cells, lutte pour sa survie. Comme tous les occidentaux, Q-Cells a du mal à faire face à la concurrence chinoise. En un an, les prix des panneaux solaires ont chuté en Allemagne de 40 %, mais, comme le gouvernement subventionne les installations photovoltaïques, pas moins de 7 500 mégawatts ont été raccordés au réseau en 2011, un record.
Faut-il continuer à subventionner une industrie qui fait essentiellement travailler des Chinois ? Le ministre de l'économie, Philipp Rösler (FDP, parti libéral), y est opposé. Son collègue de l'environnement, Norbert Röttgen (CDU), est plus nuancé.
Chargés de gérer conjointement la sortie du nucléaire, les deux hommes sont à couteaux tirés. Philipp Rösler semble tenté de se refaire une santé politique en jouant la carte de l'industrie et de la croissance face au " lobby vert " et à son collègue de l'environnement.
Difficile donc pour les deux ministres de repenser, ensemble, les subventions publiques ou de gérer l'autre question délicate que pose la sortie du nucléaire : le déploiement de milliers de kilomètres de lignes à haute tension à travers le pays pour relier les champs éoliens au nord et les industries au sud.
Symboliquement, c'est à Angela Merkel qu'une trentaine de chercheurs ont envoyé une lettre ouverte, le 19 janvier, pour rappeler que la sortie du nucléaire sera un échec si elle ne s'accompagne pas d'une politique visant à économiser l'énergie. Une politique qui nécessite un clair soutien public qu'ils jugent pour le moment largement insuffisant.
Frédéric Lemaître

REPORTAGE

Berkeley, symbole de la complexité et du coût du démantèlement

Berkeley (Grande-Bretagne) Envoyé spécial
Les coeurs des deux premiers réacteurs britanniques ont été mis sous scellés en 2010




Une hausse de 60% du coût de la " déconstruction "
Quand les premières centrales nucléaires ont été construites, le gouvernement britannique vantait une électricité qui serait tellement peu chère que les compteurs électriques deviendraient inutiles. Un demi-siècle plus tard, le coût du démantèlement, financé presque entièrement par l'Etat, est estimé à 58 milliards d'euros pour les onze centrales Magnox (première génération) et pour l'usine de retraitement de Sellafield, dont la déconstruction représente près des trois quarts de la facture, soit 38 milliards d'euros. De l'aveu même de l'Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), ce chiffre est sujet à révision : depuis sa création en 2005, la NDA a revu avec une hausse de 60 % le coût du programme. Cette enveloppe ne comprend pas le démantèlement des huit centrales plus modernes aujourd'hui possédées par EDF au Royaume-Uni, et encore moins celles que l'électricien français souhaite construire prochainement au Royaume-Uni. - (Intérim.)
S'il fallait un symbole de la complexité du démantèlement des centrales nucléaires, les deux réacteurs de Berkeley, à la frontière entre l'Angleterre et le Pays de Galles, pourraient le fournir. La première centrale britannique construite à des fins entièrement civiles, ouverte en 1962, a été fermée en 1989, pour des raisons économiques (son design pionnier n'était guère efficace). Puis, il aura fallu trois ans pour retirer et retraiter le combustible radioactif, puis vingt ans pour réaliser, fin 2010, la mise sous scellés des réacteurs.
S'ouvre maintenant une décennie qui va permettre d'enfouir localement les déchets radioactifs de moyenne activité, avant une attente de soixante ans pour que ceux-ci perdent une partie de leur dangerosité. Restera alors, à partir de 2074, à les transférer dans un lieu de stockage géologique profond de très long terme... qui n'existe pas encore. Au total, cent vingt-deux ans se seront écoulés entre le début de la construction et la conclusion finale, si le calendrier est tenu.
La centrale de Berkeley, où travaillent encore 250 personnes, est pourtant un modèle. Des experts du monde entier viennent visiter ces deux réacteurs Magnox, un modèle à refroidissement par gaz unique au Royaume-Uni. " Ce que nous faisons ici n'a jamais été réalisé auparavant pour cette technologie. Nous défrichons les techniques ", explique Sean Sargent, le directeur du site.
La mise sous scellés des deux réacteurs est la principale réussite. Une première pour le Royaume-Uni, qui a nécessité de retirer le circuit de refroidissement, de coucher les énormes chaudières de 310 tonnes qui étaient auparavant verticales, et d'abaisser de 15 mètres le sommet de la centrale. A l'intérieur, tous les équipements, du moindre câble électrique jusqu'à la plus petite sonde, ont été retirés. Restent aujourd'hui deux immenses bâtiments hermétiquement clos, qui ne font plus l'objet d'aucune surveillance scientifique.
Mais cette avancée fait suite à deux décennies de tâtonnements, qui ont provoqué une escalade des coûts : le démantèlement de Berkeley devrait coûter environ 800 millions d'euros, presque deux fois et demi plus que l'estimation faite en 2005. Et surtout, cette somme laisse de côté la facture la plus importante : le retraitement du combustible nucléaire, qui est effectué à l'usine de Sellafield, située 400 kilomètres plus au nord. Au total, le coût estimé du démantèlement des onze centrales Magnox britanniques - dont deux sont encore en opération -, ainsi que de l'usine de retraitement de Sellafield, s'élève à 58 milliards d'euros.
En 1990, le démantèlement de Berkeley avait pourtant plutôt bien commencé. Les barres d'uranium utilisées pour le coeur du réacteur avaient été sorties et refroidies dans des piscines, avant d'être envoyés à Sellafield. Pour Berkeley, c'était un grand pas en avant. " Cela retire 99,9 % de la radioactivité ", explique M. Sargent.
Le 0,1 % restant, constitué de déchets de faible et moyenne activité, demeure pourtant un problème. A la fin des années 1950, les constructeurs de la centrale avaient imaginé une solution simple : quatre cuves en béton, aux murs d'un mètre et demi d'épaisseur, étaient destinées à recevoir le matériel de dangerosité moyenne. Aujourd'hui s'y entassent en vrac des tubes utilisés pour le contrôle des réacteurs, des débris qui entouraient les bâtons d'uranium, des boîtes contenant la " boue " radioactive tirée des piscines de refroidissement...
Au début des années 1990, cet entassement anarchique a paru inacceptable aux autorités de sûreté nucléaire, qui ont imposé la construction d'un nouveau bâtiment pour entreposer les déchets. Commande a été passée à un sous-traitant, mais l'affaire a tourné au fiasco : l'opérateur de Berkeley n'a pas surveillé le chantier et, quand les autorités ont voulu des preuves de sa sûreté, il a été incapable de les fournir. Ordre a alors été donné d'abandonner le projet : il en demeure aujourd'hui un grand bâtiment vide aux épais murs de béton, où les bras mécaniques chargés de manipuler les déchets radioactifs pendent dans le vide.
Cet échec, doublé de gros problèmes sur le site de Sellafield, a poussé les autorités britanniques à tout remettre à plat en 2004, en créant l'Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), pour superviser la " démolition " des onze centrales Magnox. Celle-ci a ordonné à Berkeley la construction d'un nouveau bâtiment pour recevoir les déchets de moyenne activité. Mais ce ne sera que pour soixante ans, avant de trouver, quelque part au Royaume-Uni, une vraie solution pour enfouir les déchets à long terme.
Eric Albert

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