Une nouvelle génération de centrales est hors d'atteinte. Pour la Cour des comptes, la France n'a que deux choix : prolonger les centrales existantes ou les énergies renouvelables
Nucléaire : " Pas de coût caché, mais des incertitudes "
La Cour des comptes demande des audits sur l'impact du démantèlement des centrales et de la gestion des déchets
Le rapport de la Cour des comptes sur " les coûts de la filière électronucléaire ", commandé par le gouvernement en mai 2011, a été publié mardi 31 janvier (www.ccomptes.fr). Dans un entretien au Monde, son premier président, Didier Migaud, explique que les magistrats n'ont relevé aucun coût caché, mais que de " nombreuses incertitudes " demeurent sur le démantèlement, la gestion des déchets et la prolongation de la durée de vie des 58 réacteurs d'EDF.
Quel est le principal enseignement de votre rapport ? Le rapport de la Cour rassemble l'essentiel des données disponibles sur les éléments constituant les coûts passés, présents et futurs de la production d'électricité nucléaire en France. J'ajoute que si ce rapport a pu être réalisé dans un temps très court (huit mois), alors qu'il s'agit d'un travail exhaustif et innovant sur les coûts de la filière, c'est parce que la Cour a su se mobiliser, et que tous les acteurs concernés ont " joué le jeu ". Il conclut que tous les coûts futurs sont bien identifiés par les exploitants, mais qu'ils ne sont pas évalués avec un égal degré de précision. De nombreuses incertitudes pèsent, par nature, sur ces estimations et les risques d'augmentation de ces charges futures sont probables. Mais plus que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime, la Cour montre que c'est la durée de fonctionnement des centrales actuelles qui est une donnée majeure, dont l'effet sur le coût de la filière est le plus important. De lourds investissements sont donc à prévoir ? Quels que soient les choix retenus, oui, des investissements importants sont à prévoir pour maintenir la production actuelle, représentant a minima un doublement du rythme actuel d'investissements de maintenance. Ce qui fera augmenter le coût moyen de production de l'ordre de 10 %. La Cour souhaite que les choix d'investissements futurs ne soient pas effectués de manière implicite, mais qu'une stratégie énergétique soit formulée et adoptée, de manière explicite, publique et transparente. D'ici à la fin de 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront quarante ans de fonctionnement. Dans l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans et d'un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel - 74 % de la production d'électricité - , il faudrait donc un effort considérable d'investissement à court terme, qui paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu'à travers l'absence de décision d'investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : prolonger nos centrales au-delà de quarante ans, ou faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d'autres sources d'énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires. Y a-t-il des " coûts cachés ", comme l'affirment les mouvements antinucléaires ? La Cour a vérifié que les charges futures (démantèlement, gestion des combustibles usés et des déchets) sont bien intégrées dans les comptes des exploitants et dans les calculs de coûts. Mais, comme le montant de ces charges n'est pas connu avec certitude, elle a aussi vérifié les conséquences d'une éventuelle sous-estimation de ces coûts : les tests montrent une faible sensibilité du coût global de production de l'électricité nucléaire à l'évolution, même importante, de ces charges. Enfin, j'insiste sur les éléments qui doivent être pris en compte dans l'analyse de la politique énergétique et la comparaison entre les différentes formes d'énergie. Il peut s'agir d'effets a priori positifs, comme la contribution à l'indépendance énergétique ou les moindres émissions de gaz à effet de serre ; ou négatifs, comme l'impact de l'électricité nucléaire sur la santé et le réchauffement des rivières. Comment expliquer qu'il y ait autant d'incertitudes sur le coût du démantèlement des installations nucléaires ? Les charges futures sont incertaines " par nature ". Les dépenses de démantèlement, c'est-à-dire les dépenses de fin de vie des centrales, sont estimées à 18,4 milliards (valeur 2010) en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs, mais la Cour n'est pas en mesure de valider ce montant en l'absence d'études approfondies. Il n'y a pas d'expériences de démantèlement d'un parc cohérent comme le parc français. Les chiffrages d'EDF sont au bas de la fourchette des comparaisons internationales, qui doivent être prises avec prudence. En est-il de même pour la gestion des déchets radioactifs ? Le coût de leur gestion à long terme est estimé à 28,4 milliards d'euros. L'estimation est fragile, car le projet envisagé pour l'enfouissement en grande profondeur des déchets à vie longue n'est pas définitif. Le devis établi en 2005 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a été revu en 2009 et a quasi doublé - à plus de 30 milliards d'euros - . Dans ce domaine, il n'y a aucune référence internationale possible. Doit-on faire évaluer ces coûts par des experts indépendants ? La Cour recommande que son rapport, que je considère comme une " base de données " des coûts du nucléaire, soit régulièrement actualisé, de manière transparente et en toute indépendance. Les coûts de maintenance et les surcoûts de sûreté post-Fukushima vont-ils entraîner une forte hausse des prix de l'électricité ? Le rythme annuel des investissements de maintenance d'EDF, y compris la prise en compte des prescriptions post-Fukushima de l'Autorité de sûreté nucléaire telles qu'on les connaît, devrait doubler dans les quinze ans qui viennent, ce qui représente une augmentation de l'ordre de 10 % du coût moyen de production. Mais ce coût ne représente que 40 % du prix payé par le consommateur. D'autres composantes (investissements sur les réseaux, taxes) ont un effet sur le prix. Les dépenses de recherche pourront-elles continuer à ce rythme ? Ces 55 milliards d'euros calculés, pour la première fois, par la Cour, ne mesurent que les dépenses de recherche nucléaire civile depuis 1957, soit environ un milliard par an. Sur l'ensemble de la période, elles ont été financées à 70 % par des crédits publics, mais cette part diminue. Plus de la moitié de ces dépenses de recherche est financée par les exploitants. La charge en 2010 pour les fonds publics était de 414 millions. Jugez-vous suffisantes les garanties de responsabilité civile plafonnées à 92 millions par centrale pour EDF ? La Cour recommande que l'on applique le plus rapidement possible les protocoles d'amendements aux conventions internationales qui relèvent ce plafond à 700 millions d'euros, somme qui reste très limitée en cas d'accidents graves. Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Pierre Le Hir |
Les investissements de maintenance renchériraient de 10 % les coûts de production
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Berlin Correspondant
Sept mois après le vote de la loi, les industriels ne cachent pas leur déception
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REPORTAGE
Berkeley, symbole de la complexité et du coût du démantèlement
Berkeley (Grande-Bretagne) Envoyé spécial
Les coeurs des deux premiers réacteurs britanniques ont été mis sous scellés en 2010
Les coeurs des deux premiers réacteurs britanniques ont été mis sous scellés en 2010
S'il fallait un symbole de la complexité du démantèlement des centrales nucléaires, les deux réacteurs de Berkeley, à la frontière entre l'Angleterre et le Pays de Galles, pourraient le fournir. La première centrale britannique construite à des fins entièrement civiles, ouverte en 1962, a été fermée en 1989, pour des raisons économiques (son design pionnier n'était guère efficace). Puis, il aura fallu trois ans pour retirer et retraiter le combustible radioactif, puis vingt ans pour réaliser, fin 2010, la mise sous scellés des réacteurs.
S'ouvre maintenant une décennie qui va permettre d'enfouir localement les déchets radioactifs de moyenne activité, avant une attente de soixante ans pour que ceux-ci perdent une partie de leur dangerosité. Restera alors, à partir de 2074, à les transférer dans un lieu de stockage géologique profond de très long terme... qui n'existe pas encore. Au total, cent vingt-deux ans se seront écoulés entre le début de la construction et la conclusion finale, si le calendrier est tenu. La centrale de Berkeley, où travaillent encore 250 personnes, est pourtant un modèle. Des experts du monde entier viennent visiter ces deux réacteurs Magnox, un modèle à refroidissement par gaz unique au Royaume-Uni. " Ce que nous faisons ici n'a jamais été réalisé auparavant pour cette technologie. Nous défrichons les techniques ", explique Sean Sargent, le directeur du site. La mise sous scellés des deux réacteurs est la principale réussite. Une première pour le Royaume-Uni, qui a nécessité de retirer le circuit de refroidissement, de coucher les énormes chaudières de 310 tonnes qui étaient auparavant verticales, et d'abaisser de 15 mètres le sommet de la centrale. A l'intérieur, tous les équipements, du moindre câble électrique jusqu'à la plus petite sonde, ont été retirés. Restent aujourd'hui deux immenses bâtiments hermétiquement clos, qui ne font plus l'objet d'aucune surveillance scientifique. Mais cette avancée fait suite à deux décennies de tâtonnements, qui ont provoqué une escalade des coûts : le démantèlement de Berkeley devrait coûter environ 800 millions d'euros, presque deux fois et demi plus que l'estimation faite en 2005. Et surtout, cette somme laisse de côté la facture la plus importante : le retraitement du combustible nucléaire, qui est effectué à l'usine de Sellafield, située 400 kilomètres plus au nord. Au total, le coût estimé du démantèlement des onze centrales Magnox britanniques - dont deux sont encore en opération -, ainsi que de l'usine de retraitement de Sellafield, s'élève à 58 milliards d'euros. En 1990, le démantèlement de Berkeley avait pourtant plutôt bien commencé. Les barres d'uranium utilisées pour le coeur du réacteur avaient été sorties et refroidies dans des piscines, avant d'être envoyés à Sellafield. Pour Berkeley, c'était un grand pas en avant. " Cela retire 99,9 % de la radioactivité ", explique M. Sargent. Le 0,1 % restant, constitué de déchets de faible et moyenne activité, demeure pourtant un problème. A la fin des années 1950, les constructeurs de la centrale avaient imaginé une solution simple : quatre cuves en béton, aux murs d'un mètre et demi d'épaisseur, étaient destinées à recevoir le matériel de dangerosité moyenne. Aujourd'hui s'y entassent en vrac des tubes utilisés pour le contrôle des réacteurs, des débris qui entouraient les bâtons d'uranium, des boîtes contenant la " boue " radioactive tirée des piscines de refroidissement... Au début des années 1990, cet entassement anarchique a paru inacceptable aux autorités de sûreté nucléaire, qui ont imposé la construction d'un nouveau bâtiment pour entreposer les déchets. Commande a été passée à un sous-traitant, mais l'affaire a tourné au fiasco : l'opérateur de Berkeley n'a pas surveillé le chantier et, quand les autorités ont voulu des preuves de sa sûreté, il a été incapable de les fournir. Ordre a alors été donné d'abandonner le projet : il en demeure aujourd'hui un grand bâtiment vide aux épais murs de béton, où les bras mécaniques chargés de manipuler les déchets radioactifs pendent dans le vide. Cet échec, doublé de gros problèmes sur le site de Sellafield, a poussé les autorités britanniques à tout remettre à plat en 2004, en créant l'Autorité de démantèlement nucléaire (NDA), pour superviser la " démolition " des onze centrales Magnox. Celle-ci a ordonné à Berkeley la construction d'un nouveau bâtiment pour recevoir les déchets de moyenne activité. Mais ce ne sera que pour soixante ans, avant de trouver, quelque part au Royaume-Uni, une vraie solution pour enfouir les déchets à long terme. Eric Albert |
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