27/04/2024

Chine Les ports de Belgique débordent de voitures électriques chinoises

Des milliers de voitures tout juste sorties des usines locales, garées sur les quais du port de Yantai en vue d'être exportées vers les marchés étrangers, dans la province du Shandong (Chine), le 12 avril 2024.Les ports de Belgique débordent de voitures électriques chinoises : « On en a désormais qui stationnent ici pendant un an, un an et demi parfois » Du fait des surcapacités productives de la Chine, qui aspire à capter un quart du marché européen du véhicule électrique, Anvers et Zeebruges sont saturés. Des milliers de voitures tout juste sorties des usines locales, garées sur les quais du port de Yantai en vue d'être exportées vers les marchés étrangers, dans la province du Shandong (Chine), le 12 avril 2024. CFOTO / NURPHOTO VIA AFP

Il faut sans doute voir ces endroits pour mesurer les difficultés de la transition de l'automobile vers l'électrique. Il faut y venir, aussi, pour observer comment une industrie chinoise en surcapacité peut inonder le marché européen.

Ce matin-là, alors qu'un soleil inattendu illumine le dédale autoroutier qui mène à ce bras lointain du port d'Anvers (Belgique), un gigantesque cargo de la compagnie norvégienne Höegh Autoliners débarque des milliers de voitures dans l'un des terminaux d'International Car Operators (ICO), une filiale du groupe japonais Nippon Yusen Kaisha.

C'est, avec le suédo-norvégien Wallenius Wilhelmsen, l'un des principaux opérateurs du port désormais fusionné d'Anvers-Bruges, le plus grand terminal automobile du monde, par lequel transitait jusqu'ici la production d'une quarantaine de marques. Avant l'arrivée de leurs concurrentes chinoises.

A Calloo, près d'Anvers, et Zeebruges, sur la côte de la mer du Nord, les immenses parkings peuvent accueillir quelque 130 000 véhicules, mais ils sont désormais trop exigus. En 2022, 3,4 millions de véhicules ont transité par les deux ports et, depuis, le marché a encore évolué, les difficultés se sont multipliées et les opérateurs s'efforcent tant bien que mal de résoudre les questions relatives au stockage des véhicules.

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Devant les grilles soigneusement gardées d'ICO, à Calloo, le regard se perd sur les voitures de toutes les marques alignées que des camions venus d'Italie, du Royaume-Uni, de Pologne ou d'Allemagne s'apprêtent à charger. Au premier plan, des modèles souvent encore inconnus du grand public. « Tous chinois. Moi, je préfère les bagnoles allemandes », maugrée Rinus De Vries, un camionneur néerlandais, qui patiente dans sa cabine.

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MG, BYD, Nio, XPeng, Lynk & Co, Omoda, Hongqi, etc. Une dizaine de constructeurs chinois ont lancé une offensive commerciale, avec l'exportation de près de 4,1 millions de voitures en 2023 (+ 58 % en un an). Objectif : conquérir un marché européen en pleine mutation à la faveur, entre autres, des aides prévues dans plusieurs pays pour l'acquisition d'un véhicule électrique.

« Un bazar ingérable »

Selon certaines prévisions des dirigeants du port, de 600 000 à 1 million de véhicules fabriqués en Chine, électriques mais aussi thermiques, seront débarqués en 2024 à Anvers-Bruges. Avec, dans le lot, des Tesla, des BMW et des Polestar − la marque suédoise est détenue par le chinois Geely − toutes assemblées dans l'empire du Milieu. Audi commence la préproduction d'un SUV électrique dans sa nouvelle usine de Changchun (province du Jilin).

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Des problèmes de stockage ? A la suite d'un article publié par le Financial Times, le 9 avril, et évoquant l'engorgement de plusieurs ports européens, dont Anvers-Bruges et Bremerhaven, en Allemagne, les demandes d'interview restent sans réponse. « Nous ne sommes pas, à l'heure actuelle, confrontés à de tels problèmes », affirme David Hopkins, le porte-parole de Wallenius Wilhelmsen à Zeebruges. Chez ICO, on n'a « pas d'informations complémentaires » à fournir. Une simple visite aux abords des parkings gérés par les deux opérateurs suffit toutefois pour comprendre qu'ils tentent de minimiser les difficultés afin de ne pas écorner leur image.

« Oui, on a désormais des voitures qui stationnent ici pendant un an, un an et demi parfois », confirme une employée d'ICO sous le couvert de l'anonymat. « Certains jours, c'est vraiment un bazar ingérable », confirme l'un de ses collègues, en écrasant sa cigarette du bout du pied.

En 2022, Wallenius Wilhelmsen annonçait le doublement de ses capacités à Zeebruges, avec un projet d'extension sur une cinquantaine d'hectares, qui sera achevé en 2027. ICO projette la construction d'un garage additionnel sur plusieurs étages, qui devrait abriter 13 000 voitures. L'afflux de voitures électriques oblige aussi les opérateurs à augmenter le nombre de bornes de recharge et les éoliennes sur leurs sites.

Pour Anvers et Zeebruges, une première alerte à l'embouteillage était survenue en 2020 : la crise due au Covid-19 et le quasi-arrêt des ventes qu'elle avait entraîné avaient limité fortement les exportations, d'où une longue immobilisation de nombre de voitures. A la fin de 2023, les attaques des rebelles houthistes en mer Rouge et la diminution du trafic qui en a résulté n'ont, elles, offert qu'un court répit.

« Cadences infernales »

Souvent obligés de contourner par le cap de Bonne-Espérance, ce qui allonge fortement la durée et les coûts, les transporteurs ont affrété des bateaux capables de charger jusqu'à 7 000 véhicules, au lieu de 1 000 à 2 000 habituellement. Et ils se dirigent désormais directement vers la Belgique, sans décharger une partie de leur cargaison dans des ports du sud de l'Europe, comme ils le faisaient auparavant.

La congestion actuelle a d'autres causes encore. « Les cadences sont infernales. On manque partout de camions et de chauffeurs », souligne Rinus De Vries, le camionneur néerlandais. Pas besoin d'être un expert pour constater cette pénurie de main-d'œuvre : à Zeebruges, comme à Anvers, toutes les « naties », les entreprises qui opèrent dans ces ports, arborent pancartes et banderoles pour inviter « de nouveaux collègues » à les rejoindre. « On manque aussi de bateaux pour la navigation courte et les exportations vers d'autres ports européens », note Gert Ickx, le porte-parole d'Anvers-Bruges.

La demande de véhicules électriques, plus faible que cela était envisagé, notamment par les constructeurs chinois soucieux d'écouler leur surproduction, contribue évidemment, elle aussi, à l'encombrement des ports. Par ailleurs, une majorité des nouveaux acteurs du marché ne dispose pas d'un réseau de distribution et ils maintiennent donc leurs voitures sur les parkings des ports, dans l'attente de leur vente.

« Les Chinois nous avouent leurs difficultés, mais leur but reste bien de capter 25 % du marché européen de la voiture électrique », commente, sans donner son nom, un cadre des services portuaires. Un pari qui sera peut-être difficile à tenir, à en croire la chambre de commerce chinoise pour l'Europe, sur la base de données des douanes pour les deux premiers mois de 2024. Apparemment très éloignées de l'objectif officiel, les exportations de véhicules vers l'Union européenne (UE) ont chuté de près de 20 % par rapport à la même période de 2023, passant de 94 102 unités à 75 626, sur un total général de 248 200 voitures produites pour l'export.

La menace de sanctions douanières européennes, en raison des subventions allouées par Pékin aux constructeurs nationaux, pourrait aggraver la situation, même si les principaux acteurs européens feront sans doute tout pour freiner les ardeurs de la Commission de Bruxelles. En effet, ils redoutent une emprise chinoise sur le marché de l'UE, mais ils craignent plus encore des représailles qui handicaperaient leurs ventes en Chine.

Jean-Pierre Stroobants (Anvers, Zeebruges (Belgique), envoyé spécial)

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