Mépris pour les alliés traditionnels de l’Amérique, tentation isolationniste et nouvel indice de complaisance envers Vladimir Poutine : les réactions se sont multipliées de part et d’autre de l’Atlantique. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a dénoncé ces propos. « Toute suggestion que les alliés ne se défendront pas mutuellement affaiblit notre sécurité à tous, dont celle des Etats-Unis, et accroît le danger pesant sur les soldats américains et européens », a-t-il écrit.
Même tonalité à la Maison Blanche. « Encourager les invasions de nos plus proches alliés par des régimes meurtriers est scandaleux et délirant, a réagi Andrew Bates, porte-parole adjoint de la présidence. Et cela met en danger la sécurité nationale américaine, la stabilité mondiale et notre économie chez nous. » Pour l’administration Biden, ces propos de Donald Trump sont aussi l’occasion de réorienter les projecteurs sur lui et de rappeler le danger que représente l’ancien dirigeant américain. La fin de semaine fut très difficile pour le président démocrate, confronté au débat croissant sur ses capacités physiques et cognitives.
Approche purement transactionnelle
Le fait que Donald Trump considère l’OTAN comme un simple syndic de copropriété dans lequel les charges seraient inégalement réparties n’est pas une surprise. En 2000, dans son livre The America We Deserve (« L’Amérique que nous méritons », non traduit, Renaissance Books), il écrivait déjà ceci au sujet des « animosités » entre « factions » en Europe orientale : « Leurs conflits ne valent pas des vies américaines. Se retirer d’Europe permettrait à ce pays [les Etats-Unis] d’économiser des millions de dollars par an. »
Sous sa présidence, cette approche purement transactionnelle, au mépris de l’histoire, avait déjà nourri des spéculations sur un retrait américain de l’Alliance. Il semble que le favori des primaires républicaines franchisse un pas supplémentaire. Alors que la guerre en Ukraine fait rage, il attaque l’un des piliers de la charte commune, l’article 5, qui énonce les termes de la solidarité entre ses membres si l’un d’eux était attaqué.
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Le 27 janvier, une première diatribe de campagne de Donald Trump sur ce sujet, à Las Vegas, était passée inaperçue. Tissée de mensonges, elle représentait pourtant un avertissement sans nuance sur ses intentions. « On paie pour l’OTAN et on n’en retire pas grand-chose. Je déteste devoir vous dire ça à propos de l’OTAN, mais si on avait besoin de leur aide, si on était attaqué, je ne crois pas qu’ils seraient là. (…) Mais je me suis occupé de l’OTAN. Je leur ai dit : “Vous devez payer vos factures, si vous ne payez pas vos factures, on ne sera pas là pour vous soutenir.” Le jour suivant, l’argent a coulé à flots vers l’OTAN. » La seule fois où l’article 5 a été invoqué à l’unanimité des membres fut au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis.
Quant à l’augmentation des contributions dans l’OTAN, elle est réelle et ne résulte pas seulement des pressions de Donald Trump : c’est la conséquence directe de la menace russe, concrétisée par l’annexion de la Crimée (2014), puis par l’invasion déclenchée en Ukraine en février 2022. Onze membres de l’OTAN sur trente et un ont déjà atteint l’objectif de 2 % de leur produit intérieur brut consacrés à leur défense, alors qu’ils n’étaient que trois en 2014. Mais cette barre de 2 %, si souvent évoquée par Donald Trump, n’est qu’un indicateur parmi d’autres – comme les capacités militaires disponibles et la contribution aux opérations extérieures – de l’engagement des pays dans l’Alliance. Il ne mérite donc aucun fétichisme ou aucune obsession.
A ce stade, Donald Trump ne prône pas un retrait pur et simple de son pays de l’OTAN, qui nécessiterait une législation spécifique du Congrès ou une majorité des deux tiers au Sénat. Mais il prépare l’opinion publique, il affaiblit l’Alliance et met ses membres sous tension, tout en confortant Vladimir Poutine dans sa stratégie : le temps jouerait pour Moscou. Incapables jusqu’à présent d’envisager de façon concrète un nouveau mandat Trump, les Européens sont pourtant les premiers concernés par ces déclarations. Celles-ci seront au cœur des discussions cette semaine entre ministres de la défense à Bruxelles, mais aussi lors de la conférence de Munich sur la sécurité, qui célébrera son 60e anniversaire à compter du 16 février. Le discours de la vice-présidente, Kamala Harris, y sera très attendu.
« A huit mois de l’élection, il affaiblit déjà l’OTAN »
« Les Européens sont dans un état de panique avancée, et c’est justifié, estime Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution. Ils doivent en tirer trois conclusions : Trump ne croit pas aux organisations multilatérales ; ensuite, il ne les protégera pas s’il est élu ; enfin, il encourage Poutine à les envahir, ce qui constitue un changement de paradigme par rapport à 2016. A huit mois de l’élection, il affaiblit déjà l’OTAN. Le niveau de danger dans lequel Trump met les Européens est une vraie escalade. Ils doivent être en mesure de se défendre eux-mêmes et d’aborder sérieusement ce qu’on discute depuis longtemps, l’autonomie stratégique, c’est-à-dire la nécessité de construire des capacités et de diversifier le réseau des partenaires. »
L’expression « autonomie stratégique » a souvent provoqué des crispations, à la fois à Washington et en Europe orientale, où les pays regardent vers l’Amérique pour leur sécurité. L’élection américaine pourrait enfin accélérer la réflexion sur ce sujet. Elle doit porter à la fois sur les capacités de production et de projection, sur des théâtres de crise. Mais les freins politiques et psychologiques demeurent puissants.
Les propos de Donald Trump s’inscrivent dans une liste de bonnes nouvelles reçues récemment par Vladimir Poutine en provenance d’Amérique. La première est la confusion régnant au Congrès sur l’aide militaire à l’Ukraine. Depuis octobre, les élus républicains à la Chambre continuent de bloquer l’adoption d’un nouveau paquet de 60 milliards de dollars (55,5 milliards d’euros), sous différents prétextes successifs. Un texte bipartisan, encore discuté les 10 et 11 février, tente de passer l’étape du Sénat, mais sans garantie d’être mis au vote à la Chambre par le speaker, Mike Johnson. Le deuxième cadeau est l’opération promotionnelle organisée par l’ancien présentateur de Fox News Tucker Carlson. S’étant rendu à Moscou, ce dernier a offert l’occasion à Vladimir Poutine de réécrire l’histoire et de nier l’existence de l’Ukraine comme nation et Etat légitime.
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