01/02/2024

Ecophyto mis en pause : « Sur les pesticides, une contre-révolution culturelle est en cours »

La Fédération nationale des Syndicats d’Exploitants agricoles (FNSEA) peut avoir le sourire. Pour tenter de calmer la colère des agriculteurs, le gouvernement a présenté ce jeudi 1er février une deuxième salve de mesures. Parmi elles, la mise en pause du plan Ecophyto, qui vise à réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici à 2030 et contre lequel le syndicat majoritaire ferraille depuis des années. Dans la foulée de l’annonce de l’exécutif, la FNSEA a d’ailleurs appelé à suspendre les blocages…

Ancien agriculteur et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les causes de l’échec des plans Ecophyto, le député socialiste Dominique Potier juge cette décision dramatique pour la santé publique.

Nouvel Obs: Comment réagissez-vous à la décision du gouvernement de mettre en pause le plan Ecophyto ?

Dominique Potier C’est une nouvelle très inquiétante. Les pesticides sont une menace pour la santé publique, mais aussi pour la fertilité de nos sols et donc pour notre souveraineté alimentaire, que tout le monde invoque en ce moment. Alors que nous aurions besoin d’accélérer et d’amplifier les politiques de réduction de leur usage, Gabriel Attal et son gouvernement font exactement tout le contraire, ce qui démontre leur absence totale de vision de ce que seront l’agriculture et le monde de demain. Ils agissent comme si l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique n’existaient pas…

NO: Quelles conséquences peut avoir cette décision ?

Du seul point de vue de la santé publique, c’est terrible. Comment un ministre de la Transition écologique et une ministre de la Santé peuvent-ils cautionner un tel recul ? L’utilisation des pesticides a un coût sanitaire et financier énorme pour la société. Prenez le cas de l’eau. Nous avons montré dans notre rapport que les pesticides contribuent fortement à dégrader la qualité de la ressource sur de vastes portions de territoire. Entre 1980 et 2019, 4 300 captages ont été fermés pour cause de pollution. Parmi eux, 41 % ont été abandonnés pour cause de contamination par les nitrates ou les pesticides. Si on ne fait rien pour diminuer l’usage des pesticides, la situation va vite devenir insoutenable. Déjà, les coûts de traitement de l’eau potable du fait de ces contaminations sont estimés entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an ! Il est à craindre un scénario noir dans lequel des territoires ruraux pourraient ne pas avoir les moyens demain de mettre en œuvre ces traitements complexes et coûteux…

Mais cette décision est aussi une mauvaise nouvelle pour les agriculteurs, car cela va encore retarder des changements pourtant inévitables. Au vu des impacts désastreux des pesticides sur la santé et sur les sols, on sait qu’il nous faut apprendre à produire sans avoir recours - ou alors le moins possible - à ces produits phytosanitaires. En mettant en pause le plan Ecophyto, on ne va faire que freiner encore un plus l’évolution du modèle agricole vers des pratiques agroécologiques vertueuses pour le climat et la biodiversité mais aussi pour les exploitants eux-mêmes, qui sont maltraités par le modèle actuel.

J’ajoute que, contrairement à ce que répètent les défenseurs du statu quo, la réduction des pesticides est compatible avec le respect de nos objectifs climat et l’impératif de souveraineté alimentaire. Mais à la condition que l’on mène une reconception profonde de nos systèmes agricoles.

NO: Ce recul n’était-il pas, pour le gouvernement, le seul moyen de calmer la fronde actuelle ?

Le gouvernement commet une terrible erreur de diagnostic. C’est une souffrance économique et sociale qui est à l’origine du mouvement de colère des agriculteurs. Les manifestants parlent d’abord de leurs revenus trop bas et d’une perte de sens de leur métier. En lâchant sur le plan Ecophyto, le gouvernement ne répond pas à ces aspirations-là. Il ne va que dans le sens des revendications des agriculteurs les plus libéraux.

NO: Faut-il voir dans ce recul l’influence de la FNSEA ?

Cette demande faisait effectivement partie de la liste des doléances publiées par le syndicat. Mais plus largement ce recul est surtout le résultat d’une contre-révolution culturelle qui est en cours depuis un an environ sur ce sujet des pesticides. Certes, pendant des années, les plans Ecophyto n’ont pas eu les résultats escomptés. Mais au moins personne n’avait jamais vraiment osé remettre en question leur objectif principal, qui est de réduire de 50 % l’utilisation des pesticides. Or depuis le dernier Salon de l’Agriculture, je perçois une offensive assez nette pour revenir sur cette cible, qui semblait acquise. Cette offensive émane du monde agricole lui-même, mais aussi d’une partie du personnel politique.

Les attaques répétées de certains politiques contre l’Agence nationale de Sécurité sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (Anses), qui a la charge d’évaluer les risques des pesticides, sont un autre signe de ce qui ressemble beaucoup à une dérive illibérale. Au cours des derniers mois, on a notamment vu le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau lui-même tancer l’Anses – qui est pourtant indépendante du pouvoir politique – pour qu’elle « réévalue sa décision » sur un herbicide, le S-métolachlore. C’est du jamais-vu ! Malheureusement, j’observe que Gabriel Attal, lors de ses annonces, a de nouveau visé l’instance, sans toutefois la nommer. Tous ces signes sont extrêmement préoccupants.

 nouvelobs.com Sébastien Billard

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